Opinion

Une ombre au tableau nommée Fortnite

Mon Augustin,

Demain l’école recommence. Bientôt l’insouciance des grandes vacances et la perte de notion du temps cédera la place à la routine.

J’ose à peine l’évoquer, car je connais trop bien cette petite boule à l’estomac qui immanquablement s’installe à la fin août. La petite Julie la Pie n’est jamais bien loin… Comme toi, j’ai adoré mon été, ces moments à la fois simples et parfaits en famille, ces instants magiques où l’on touche le bonheur du bout des doigts. Malgré cette douceur estivale, il y a une ombre au tableau. Un nuage, un bémol de huit lettres… Tu me vois venir ? Il s’appelle Fortnite !

Tu as passé beaucoup de temps dehors à t’amuser avec ta sœur, les copains, les cousins et c’est formidable ! Mais que faisais-tu à peine l’œil ouvert ou dès que tu rentrais à la maison ?

Telle une obsession, Fortnite ! Quand ce n’est pas sur la PS4, c’est sur la tablette. Quand ceux-ci sont confisqués, tu trouves le moyen de chiper mon téléphone ou de t’installer sur mon ordinateur. Bref quand ton centre d’intérêt est d’être le dernier survivant sur une île déserte, le mien est de faire la police et de m’inquiéter ! Pas cool de répéter sans cesse et de parler dans le vide ! J’en ai eu marre de ce bras de fer et j’ai voulu connaître mon « ennemi » à fond ! Non, non, ne roule pas les yeux et essaie simplement de saisir mon point de vue.

Il y a quelques jours, je lisais un billet très intéressant dans la revue Science & Vie. Pour qu’il y ait un tel engouement pour ce Battle Royale, que 150 millions de joueurs soient conquis depuis moins d’un an et que l’entreprise Epic Games ait franchi le cap du milliard de dollars avec ce jeu, il y a forcément une recette à ce succès ! Quel exploit !

Fortnite est fondé sur les dernières connaissances en psychologie cognitive, c’est-à-dire que des experts l’ont créé pour que le gamer comme toi ait un effet de dépendance et de désir.

Cent joueurs maximum commencent sur un pied d’égalité. Ils ont tous les mêmes chances de départ, donc pas d’injustice, et rapidement ils acquièrent une sensation de contrôle absolu et de performance totale. Ni trop dur ni trop simple, motivant et rythmé ! Avec une touche d’humour (les différentes danses rigolotes que tu ne cesses de me montrer), un graphisme près du dessin animé, une boutique en ligne qui fait regretter la gratuité du départ. Sans oublier les streams ou live des utilisateurs diffusés sur Twitch et YouTube que je trouve abrutissants, mais que les users adorent ! Une liste d’ingrédients savamment utilisés et étudiés pour vous rendre bien accros et complètement insensibles aux voix des parents qui vous rappellent à l’ordre !

Tuer pour sauver sa peau

Dans la plupart des articles que j’ai consultés, on encense le jeu vidéo « le plus populaire de l’heure », mais on oublie un élément fondamental : son but est de tuer froidement ses adversaires pour sauver sa peau, dans la tête si possible avec des armes qui existent vraiment. On y banalise des actes extrêmement violents et barbares qui vont à l’encontre des valeurs que nous véhiculons, ton papa et moi. Il est là, mon problème avec Fortnite ou avec tout autre jeu qui prône les mêmes atrocités. Dans une société de plus en plus agressive et pugnace, j’ai un énorme malaise avec ça… Même si c’est un jeu, même s’il n’y a pas de sang, même si ce n’est pas pour vrai, même si c’est trop l’fun, même si tous les amis jouent à Fortnite

Récemment, papi te demandait en combien de temps tu lisais un livre. « Deux heures », as-tu répondu.

Peux-tu seulement imaginer le nombre de romans que tu aurais lus cet été au lieu de passer toutes ces heures à tuer virtuellement avec un pump shotgun ?

Ta maman qui t’aime et qui ne se gênera jamais pour te dire ce qu’elle pense… XX

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