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La maternelle 4 ans pour touS
Une mauvaise affaire pour tous

Lorsque les maternelles 4 ans furent créées, l’objectif était simple : favoriser la fréquentation de milieux d’apprentissage consacrés en priorité aux enfants de milieux défavorisés qui n’auraient pas eu auparavant l’occasion de fréquenter un service de garde de qualité avant 4 ans.

Cela venait répondre au constat que ces enfants étaient sous-représentés dans la population de 0-3 ans des CPE et qu’il fallait leur donner au moins cette dernière chance. Cet objectif ciblé d’équité envers les enfants plus vulnérables a été progressivement gommé durant les dernières années au profit d’une approche de scolarisation hâtive pour tous. Si bien que désormais, le chef de la CAQ va jusqu’à lier son sort à la promesse d’offrir la maternelle 4 ans pour tous.

Ce chef et son parti font fausse route.

L’âge de l’entrée à l’école

Vrai, la littérature scientifique n’est jamais totalement unanime, mais de grandes tendances s’y expriment souvent. Ainsi, la majorité des études européennes et nord-américaines arrivent à la conclusion que les enfants plus jeunes à leur arrivée dans le réseau scolaire éprouvent davantage de difficultés que les plus âgés au moins durant les premières années du primaire. La régulation moins assurée des émotions et des comportements nécessaires pour suivre les règles, porter attention, mémoriser serait en cause dans ce phénomène.

À ce sujet, l’Enquête québécoise sur le développement des enfants de maternelle faite auprès de plus de 60 000 enfants démontre clairement que ce sont les enfants les plus jeunes, et non les plus âgés, qui présentent en plus grand nombre une vulnérabilité dans leur développement en cours d’année.

La scolarisation hâtive de tous peut mettre les plus jeunes à risque et n’est pas porteuse en soi de l’amélioration d’un système scolaire. 

L’école finlandaise, une des plus performantes du monde, favorise davantage l’apprentissage par le jeu jusqu’à 6 ans plutôt qu’une scolarisation précoce. L’école y devient obligatoire seulement à compter de 7 ans. À cela, certains répondront que la maternelle 4 ans en Ontario a fait des miracles. C’est vite tirer une conclusion de cause à effet à propos d’une réforme qui a porté simultanément sur de nombreux autres aspects très importants de la vie et de l’organisation scolaire et à partir d’un système éducatif qui ne pouvait, comme au Québec, compter sur un réseau de services éducatifs à la petite enfance de qualité comme celui des CPE.

Une précocité tardive

Le chef de la CAQ répète, avec raison et comme plusieurs d’ailleurs, qu’il faut intervenir tôt dans la vie des jeunes enfants pour assurer leur réussite scolaire ; cependant, il réfère quasi exclusivement aux enfants de 4 ans lorsqu’il énonce ce principe, comme si les 1460 premiers jours de la vie ne comptaient pas.

La CAQ ne jure que par les maternelles 4 ans. Or, c’est surtout durant les trois premières années que s’installent les fondements du langage, de la numératie, du contrôle des émotions et des comportements sociaux, de l’audition, de la vision. Remettre à 4 ans une stratégie de soutien au développement de l’enfant ou de prévention tient d’une méconnaissance navrante de ce que nous savons du développement des tout-petits.

Il faut au contraire investir massivement dans des services de garde de qualité dès les trois premières années et développer des stratégies de recrutement et d’accueil des enfants qui en ont le plus besoin : gratuité et tarifs réduits pour les enfants de familles à faible revenu, campagne soutenue de promotion de ces services auprès des parents qui en ignoreraient les avantages pour leur enfant et création de places de services de garde de qualité en CPE, là où ils peuvent faire une réelle différence dans la vie des enfants.

Ce réseau a fait la démonstration très nette qu’il est le meilleur, et de loin, parmi les services de garde éducatifs. Il est doté d’un personnel mieux formé et plus expérimenté en matière de petite enfance que dans les maternelles.

De plus, en ce qui a trait spécifiquement aux enfants de 4 ans, les CPE sont mieux équipés que les maternelles, ils sont de plus petite taille et ils ont tissé de longue date des liens de collaboration précieux avec les services de santé pour les enfants présentant des défis particuliers auprès desquels ils font un formidable travail. Qui dit mieux ?

Développer des maternelles 4 ans pour tous, c’est revenir en arrière : il nous faudrait énormément de temps et d’argent avant que les milliers de nouvelles classes nécessaires soient prêtes, sans compter la formation du personnel requis. Nous n’y gagnons rien ; nous perdons du temps et des ressources précieuses que l’on pourrait investir judicieusement dans le développement accéléré d’un réseau éducatif de la petite enfance de qualité déjà bien amorcé.

Parlons affaires

On fait miroiter la « gratuité » et « plus d’argent dans les poches des familles » avec les maternelles 4 ans pour tous. Faux. Faites le calcul. Les CPE sont ouverts 261 jours par année jusqu’à 18 h. L’école : 182 jours jusqu’à 15 h. Combien coûteraient annuellement aux parents, et pour chaque enfant, des services de garde après les heures d’école (entre 15 h et 18 h), les services de garde pour les 79 jours manquants de maternelle, les collations et les lunchs offerts en CPE, mais pas en maternelle, les fournitures scolaires ? Et que coûtera aux contribuables l’ouverture de 2700 classes au moins, souvent dans des écoles en mauvais état de surcroît, en comparaison du développement prioritaire de CPE en milieux défavorisés ?

Et que nous coûteront les services spécialisés que l’on devra offrir à des centaines d’enfants de 4 ans parce qu’on aura négligé de développer une stratégie d’accueil et d’accompagnement robuste dans des services éducatifs de qualité plus tôt dans leur vie ?

Opter pour des garderies commerciales de moindre qualité pour ces enfants comme le propose la CAQ (« les garderies commerciales non subventionnées, un bon modèle d’affaires », disent-ils) et investir trop tardivement dans leur vie, c’est créer un problème que l’on voudra ensuite corriger en maternelle 4 ans.

Ce n’est pas d’un modèle d’affaires inapproprié que nos tout-petits ont besoin. Ils méritent plutôt un modèle éducatif respectueux de leur développement et de leur bien-être ; autrement, nous faisons tous une mauvaise affaire.

* Cosignataires du texte : Johanne April, professeure à l’Université du Québec en Outaouais ; Liesette Brunson, professeure à l’Université du Québec à Montréal ; Geneviève Cadoret, professeure à l’Université du Québec à Montréal ; Sylvain Coutu, professeur à l’Université du Québec en Outaouais ; Stéphanie Duval, professeure à l’Université Laval ; Isabelle Laurin, professeure adjointe de clinique à l’Université de Montréal, Joanne Lehrer, professeure à l’Université du Québec en Outaouais ; Audette Sylvestre, professeure à l’Université Laval

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