OPINION

Remettre la santé et la démocratie au cœur de notre système de santé

Au cours des quatre dernières années, nous avons manifesté notre désaccord avec le contenu de ce que nous considérons être une contre-réforme de la santé.

Notre critique s’est inscrite dans un ensemble de témoignages et d’analyses réclamant du gouvernement en place de cesser de forcer des changements dont les effets pervers sont plus importants que les avancées.

Le temps est venu pour la population de se prononcer sur ce qu’elle a observé dans le réseau de la santé et des services sociaux depuis quatre ans et de se faire entendre sur ses besoin et ses attentes.

Pour contribuer au nécessaire débat entourant cette question, nous avons rédigé et fait parvenir aux quatre principaux partis politiques un document intitulé Pour remettre la santé et la démocratie au cœur de notre système de santé et services sociaux. Le document revient sur des constats partagés, propose une vision globale et suggère des moyens à privilégier (regroupés dans un tableau de bord) pour améliorer notre système de santé et de services sociaux et lui permettre de mieux répondre aux besoins de la population québécoise. En voici les grandes lignes.

SYSTÈME DE SANTÉ

Les piliers du système mis à mal

Notre système s’est constitué autour de quatre piliers principaux : son caractère public, l’union des services de santé et des services sociaux, une gestion démocratique et une régionalisation des structures.

Nos constats sont à l’effet que ceux-ci ont été mis à mal par l’effet combiné de cinq grands types de pressions : 

1-La priorité accordée au médico-hospitalier au détriment de la prévention, des services sociaux, des services aux personnes vulnérables, des services à domicile et des organismes communautaires ;

2-Des courants de gestion placés sous la seule règle de l’efficacité, du normatif et du contrôle des coûts entraînant déshumanisation et négligence quant aux services de proximité ; 

3-L’éloignement de la personne des décisions qui la concernent, la réduction des lieux de participation citoyenne et de l’accès aux services ;

4-La progression du corporatisme et d’intérêts singuliers, source de déséquilibres importants entre les différents acteurs ;

5-L’adoption d’un paradigme comptable qui a contribué à affaiblir l’offre de services, à assurer la dominance progressive d’une gestion privée et à opter pour une centralisation excessive caractérisée par un leadership autocratique et directif qui laisse peu de place à l’initiative et à la critique.

SYSTÈME DE SANTÉ

Un redressement possible !

Trois axes directeurs permettent de dégager les pistes à suivre : la vision incarnée dans les principes et les objectifs de la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS), actuellement en vigueur ; les connaissances acquises et l’exemple des systèmes les plus performants ; le recours à l’expertise disponible au Québec et la mobilisation de tous les acteurs.

La loi qui nous régit a pour objet la santé qu’elle définit comme un état global selon un angle individuel et collectif, ce qui entre en contradiction avec la perspective dominante dans l’organisation du réseau qui est essentiellement curative et l’offre de services, de la première ligne jusqu’à ce qui existe de plus sophistiqué, qui est déployée autour des médecins. Il s’impose de rappeler cet objectif.

La LSSSS propose comme principes directeurs la démocratie, considérée essentielle pour l’atteinte des objectifs retenus ; la complémentarité et la continuité des services, ainsi que l’action sur les déterminants de la santé.

Un système performant ? En voici les caractéristiques.

1-Public, qui offre des soins et des services considérés comme essentiels et rendus universellement accessibles à tous ;

2-Décentralisé, qui tient compte des caractéristiques et des particularités des populations et des territoires ;

3-Qui repose sur des soins de proximité s’appuyant sur des valeurs d’équité, de solidarité et de continuité dans les soins ;

4-Qui requiert une action coordonnée de tous (intersectorialité) et qui mise sur l’interprofessionnalisme ;

5-Fondé sur des méthodes et des pratiques scientifiquement valables et socialement acceptables.

En s’appuyant sur la Loi et les connaissances acquises, nous remettons en cause : les pouvoirs excessifs attribués au ministre ; la taille des différentes organisations qui est maintenant démesurée (population à desservir, territoires à couvrir, multiples missions, nombre d’employés) ; l’absence de concertation et de collégialité dans les prises de décisions et la faiblesse de la reddition de comptes aux différents échelons de l’organisation des services ; la centralisation qui a généré la standardisation des modes d’intervention ignorant les différences géographiques, démographiques et culturelles.

SYSTÈME DE SANTÉ

La démocratie est essentielle

Il convient donc de rapidement mettre sur pied des démarches de concertation (acteurs locaux et régionaux concernés) ; déterminer si certaines structures décisionnelles mises à mal ou abolies (C.A., notamment) doivent être revues ou ravivées ; évaluer la possibilité de redonner de l’autonomie à certains regroupements nés de la Loi 10 (par exemple le secteur des soins de longue durée ou celui de la protection de la jeunesse) et mettre en place des mécanismes consultatifs pour soutenir les prises de décisions ; revoir au sein des établissements regroupés quels paliers intermédiaires permettraient de mieux soutenir le personnel ; évaluer si la répartition des responsabilités ainsi que la reddition de comptes peuvent se réaliser selon les missions plutôt qu’en fonction de consignes ministérielles centralisées.

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La complémentarité et la continuité des services

Nous adhérons à la proposition d’André-Pierre Contandriopoulos (La Presse+ du 8 avril). La solution n’est pas de créer de nouvelles structures, mais de favoriser l’organisation dans tout le Québec de réseaux intégrés de soins de proximité adaptés à la réalité de chaque milieu et dans lesquels des professionnels collaborent pour mettre réellement la personne au centre du système de santé.

Quelles formes particulières doivent prendre ces réseaux intégrés pour maintenir le caractère public, gratuit et multidisciplinaire de la première ligne ? Pas de recette unique : convenir de modes d’organisation de services de proximité, définis par les communautés à desservir, selon leurs besoins.

Pour favoriser les services de proximité, l’allocation des ressources selon les différentes composantes de services (hôpital, ressources intermédiaires, soins à domicile, etc.) doit être révisée, en concertation avec les acteurs et les milieux.

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La prévention

La prévention et l’action sur les déterminants de la santé, proposées dans la Loi et soutenues par la Loi sur la santé publique, ont été marginalisées. L’évolution amorcée vers une plus grande responsabilité populationnelle dans les établissements du réseau a reçu un dur coup. Le rôle des instances de santé publique a été réduit à une peau de chagrin, les budgets, réduits, et le soutien à la recherche menée dans ce domaine, diminuée. La prévention doit être remise à l’ordre du jour.

Il nous faut donc reprendre le travail accompli en matière de responsabilité populationnelle à l’échelle de territoires significatifs pour les différentes communautés et y associer l’ensemble des acteurs qui ont une contribution à y apporter.

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Les acteurs

La situation actuelle des intervenants du réseau est, selon leurs propos, caractérisée par la perte du sentiment d’appartenance à une organisation vouée aux services à la population et la perte de contact entre les décideurs et les praticiennes et praticiens sur le terrain.

Plus grave encore est la perte de sens dans leur travail, facteur de démobilisation. Le paradigme comptable a aussi touché les différentes professions, notamment dans les domaines de la santé mentale et des services sociaux ainsi qu’en médecine de famille, alors qu’on a fait fi de la caractéristique distinctive de son approche qui consiste à avoir une connaissance des patients dans leur globalité.

Il faut rapidement ramener et renforcer le rôle des acteurs du réseau dans la prise de décisions sur les orientations à donner à l’organisation des services. Leur compétence est requise pour définir les priorités afin d’en arriver à une meilleure utilisation de la main-d’œuvre.

SYSTÈME DE SANTÉ

Et pour le long terme…

Enfin, il y a un consensus sur la nécessité de réfléchir aux grandes composantes du système dans la perspective d’en assurer la pérennité. Parmi celles-ci figurent le statut de l’organisation responsable de l’application de la Loi (ministère ou agence indépendante ?) ainsi que la rémunération des médecins.

Nous suggérons que le prochain gouvernement dresse rapidement la liste des éléments devant faire l’objet d’une analyse approfondie et forme un groupe d’experts indépendants pour réaliser une évaluation des problèmes en cause, documenter les différentes options à considérer afin de les soumettre à un débat éclairé.

* Signataires : Marc-André Maranda, directeur du programme de santé publique au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) de 2003 à 2009, et Pierre Joubert, directeur de la recherche et de l’évaluation au MSSS de 1997 à 2001, et directeur de la recherche, de la formation et du développement à l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) de 2003 à 2010. 

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