Théâtre

KINK ou le BDSM démystifié

À l’entrée : un homme momifié. Au sous-sol : une femme, en dessous coquins, ajuste son rouge à lèvres, en toute tranquillité. Plus loin, la placière, cordes en main, vous attend pour vous guider. Non, vous n’êtes pas ici dans un quelconque donjon, mais bien à l’Espace Libre, qui présente ces jours-ci KINK, une expérience théâtrale sur le BDSM (bondage, discipline, sadisme, masochisme), mesdames et messieurs.

Précisons-le d’emblée : non, il n’y a pas ici de nudité. Vous ne subirez aucune souffrance. Même qu’en toute franchise, vous ne serez probablement pas trop émoustillé. Parce que KINK n’est pas un spectacle érotique, mais plutôt une « expérience performative » qui propose une réflexion sur le jeu théâtral et le jeu sexuel, le désir, les fantasmes, la communication et, par-dessus tout, le consentement. Une réflexion assez essentielle, finalement, sur fond de masque de chien, de lanières de cuir et de lames de couteaux, certes.

Au menu : des performances, des témoignages et, oui, la participation du public. Mais jamais forcée.

À la question : « Veux-tu jouer avec moi ? », posée des dizaines de fois tout au long du spectacle, le spectateur a toujours le loisir de dire non. De demander des précisions. De savoir où s’arrête sa participation. Parce que c’est le fondement du consentement, et, vous l’aurez deviné, du BDSM.

Les deux créateurs du projet, Frédéric Sasseville-Painchaud et Pascale St-Onge (ce n’est pas un couple, prennent-ils soin de préciser), se sont connus à l’école de théâtre (lui en mise en scène, elle en écriture). C’est là qu’ils ont découvert qu’ils étaient tous deux adeptes et qu’est née l’idée de faire du BDSM une création théâtrale.

Objectif ? Au-delà du cuir et du latex, démystifier la pratique, en se concentrant sur l’« essence » de la relation entre les partenaires. « C’est la force du lien entre deux personnes qu’on trouvait intéressante, et pas tant la pratique en tant que telle », a expliqué Pascale St-Onge en entrevue la semaine dernière, à quelques jours de la première. Et cette « essence », c’est cela : une relation basée d’abord sur la confiance, la communication, l’expression de ses fantasmes, ses désirs, et enfin ses limites. Et vice-versa. Le tout dans le respect.

À cet effet, notez que le texte, d’une actualité criante, a été écrit bien avant la vague #metoo, quoiqu’en plein procès Ghomeshi.

C’est que la question du consentement transcende effectivement tous les thèmes présentés. Du début à la fin. D’entrée de jeu, les deux créateurs (qui sont aussi les seuls acteurs, hormis Sammi Bessette, aux cordes, dans une longue et dérangeante performance de ligotage, et Christophe Godon à la musique) proposent une série de « règles du jeu » au public : tout le monde a le droit de ne pas être « kinky » (adepte), tu as le droit de ne pas regarder, de sortir avant la fin, d’en vouloir moins, d’en vouloir plus, de dire non, de dire oui…

Ensuite s’enfilent les témoignages (poétiques) sur leurs parcours respectifs et souvent malhabiles (si tu n’es pas prêt à être soumis 24 heures sur 24, précise-le, a vite appris Frédéric), révélations sur leurs fantasmes (Frédéric est homosexuel, essentiellement soumis, Pascale pansexuelle, curieuse d’explorer son côté sadique), leurs limites (explicites : le sang, la merde, les animaux, le sexe non protégé), leurs impressions (« je suis excitée par la peur », « chaque marque est comme un trophée »). En alternance, les spectateurs consentants sont invités à sauter la clôture et à jouer à leur tour, en versant de la cire sur le dos de Frédéric, ou en démenottant Pascale.

Pour conclure, les deux personnages se questionnent sur leurs fantasmes, leur expression, leur réalisation. « On dit que j’ai des fantasmes tordus », confie Pascale, qui raconte ici s’être déjà fait sauvagement approcher par un homme, lors d’un voyage à Séville, qui pensait l’exciter en l’emmenant violemment dans les toilettes d’un restaurant. Sans lui demander son avis. Jamais. « J’avais rien demandé, conclut-elle. C’est pas mon genre de fantasme. Ce que j’aime, c’est savoir à qui je cède mon corps. » Une anecdote à méditer.

KINK est présentée par Frédéric Sasseville-Painchaud et Pascale St-Onge à l’Espace Libre jusqu’au 27 octobre. Représentations nocturnes les 26 et 27 à 22 h.

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