Philippe Couillard est à la pêche au saumon dans le haut de la rivière Sainte-Anne avec son maître de pêche Roger Lauriault, en 2012, lorsque les libéraux sont défaits par le Parti québécois. Pour une rare fois, la politique s’est invitée dans leur voyage : une petite radio retransmet les résultats de la soirée électorale. Lorsqu’il ressort du bois, son téléphone portable sonne sans cesse.
« Des gens m’appelaient, des anciens collègues. “Écoute, on veut absolument que tu reviennes…” Ma première réponse a été de dire non, j’ai fait mon époque. La pression s’est accentuée. J’ai dit : “OK, peut-être, mais pourquoi ? Pour quoi faire ?” C’est là que je me suis dit que j’ai une variété d’expériences et une vision de ce que le Québec doit être qui, je pense, correspond aux valeurs du Parti libéral du Québec… Donc, allons-y. »
Dans la course à la direction, celui qui a horreur des attaques personnelles voit sa relation avec Arthur Porter revenir sur le tapis lors de charges menées par les camps adverses. « J’essaie toujours de garder le respect et la considération pour la personne qui est devant moi. Je trouve que l’un des défauts les plus grands de notre société, du monde politique et de la communication, c’est le manque d’empathie », dit-il aujourd’hui.
Le 17 mars 2013, à l’Auditorium de Verdun, il est élu chef du Parti libéral du Québec au premier tour de scrutin, avec 58,5 % des voix.
L’année suivante, au terme d’une campagne largement influencée par le spectre d’un référendum sur la souveraineté, il réussit à reporter le parti au pouvoir, un tour de force après seulement 18 mois de gouvernement Marois et un dernier mandat libéral marqué par les scandales et les allégations de corruption. « Pour plusieurs, le purgatoire n’était pas terminé », note un ancien adjoint.
« Je me souviens que, quand on a gagné l’élection, il est devenu très calme. Il avait comme accepté la responsabilité. Nous, on était bien énervés, mais lui, il est devenu très calme, parce qu’il réfléchissait tout de suite aux prochaines étapes. »
— Harold Fortin, l’un des proches collaborateurs de Philippe Couillard depuis 2004
Le premier ministre Couillard ne tarde pas à déployer cette « vision de ce que le Québec doit être » et qui l’a ramené en politique. Dès le premier budget, il annonce des compressions pour rééquilibrer les finances publiques. Il refuse l’étiquette d’austérité, mais l’exercice provoquera un important ressac qui se fait ressentir encore aujourd’hui. Son gouvernement se fait attaquer sur tous les fronts : des histoires de corruption de l’ère Charest, tout comme ses propres histoires sur Arthur Porter, l’Arabie saoudite ou un compte bancaire dans un paradis fiscal, reviennent le hanter. Deux ministres, Yves Bolduc et Sam Hamad, quittent la politique après avoir mis le gouvernement dans l’embarras.
La grogne populaire gagne aussi le caucus, où la démission des députés Marguerite Blais et Gilles Ouimet est tantôt attribuée à des désaccords avec le chef et son entourage, tantôt au fait d’avoir été écartés du Conseil des ministres. Le style de gestion de Philippe Couillard et celui de son ex-directeur de cabinet, son ami d’enfance Jean-Louis Dufresne, sont critiqués et comparés défavorablement à celui de son prédécesseur Jean Charest. « Ça pouvait aller mal, très mal à l’époque des carrés rouges, par exemple, et M. Charest réussissait toujours à garder son caucus soudé serré. Il faisait des farces, il gardait son sens de l’humour et il écoutait son caucus. Je considère que c’est fondamental », lance un ancien collègue.
Philippe Couillard, évidemment, est plus réservé que M. Charest. « J’ai connu deux catégories de chefs », dit Ronald Poupart, militant de longue date qui a travaillé de près ou de loin avec à peu près tous les chefs libéraux depuis Robert Bourassa.
« Il y a ceux de très haut niveau intellectuel : Georges-Émile Lapalme, Robert Bourassa, Philippe Couillard. Et il y a ceux qui ont une très grande connaissance des dossiers, mais qui sont plus portés vers la communication : Jean Lesage, M. Charest, M. Johnson… »
— Ronald Poupart
M. Couillard est reconnu pour sa maîtrise impeccable de la langue française, mais ce n’est pas un « harangueur, comme on disait dans le temps », estime M. Poupart. « Ils vont livrer leur message de façon très correcte, mais pas d’éclat. »
Un ancien ministre renchérit : « Il réfléchit trop. Et quand on réfléchit trop, on laisse tomber nos feelings. La politique, c’est beaucoup de la perception, c’est beaucoup les sentiments. Il faut influencer les gens. C’est là-dessus que, des fois, il ne l’a pas pantoute. »
« Nation-building »
Philippe Couillard le reconnaît lui-même : « Je suis quelqu’un de réservé. Par respect pour les autres, je ne m’impose pas. Je donne mes opinions, sans envahir les autres. » Mais il insiste pour dire que sa timidité ne doit pas être interprétée comme un manque d’empathie ou de considération : ce qu’il a trouvé le plus difficile comme premier ministre, dit-il, a été de former son Conseil des ministres. « Ce sont des considérations humaines. »
Quant à sa capacité à soulever des foules, « il n’est pas guidé par les sondages ou par les commentateurs, insiste Harold Fortin, qui a longtemps été son ombre en tant qu’attaché de presse. Il n’est pas guidé par ça. Il dit : “Moi, j’ai confiance en l’intelligence des gens.” C’est tout ».
« Peut-être qu’à l’époque, on n’a pas assez verbalisé parce qu’on était tous dans la mécanique de la chose, [mais] j’avais une idée très, très précise [de] pourquoi on le faisait, renchérit M. Couillard en parlant du rééquilibre des finances publiques. Ce n’était pas pour faire un exercice stérile de comptabilité ; c’était pour se donner les moyens de faire les trucs pour lesquels on vient tous en politique – l’éducation, la santé, soutenir l’économie, le prestige international du Québec. »
À son bureau de Québec, on trouve un vieux parchemin signé par Charles Jacques Huault de Montmagny et par Guillaume Couillard, sieur de l’Espinay, premier colon anobli en Nouvelle-France en 1654 par Louis XIV. Philippe Couillard, ou Philippe Couillard de l’Espinay de son nom complet, est son descendant en ligne directe – la 11e génération.
« [Ces temps-ci,] c’est drôle, je me sens très près de lui, avec toute cette histoire de la colonisation de la Nouvelle-France », confie M. Couillard.
Il y a les questions de l’immigration et de la politique identitaire, qui ne manqueront pas d’animer la prochaine campagne. « Lorsqu’on parle de Québécois de souche, là, vous en avez un devant vous ! [Mais] ça ne fait pas de moi quelqu’un qui détient une citoyenneté supérieure à quelqu’un qui est arrivé il y a quelques années au Québec. Ça, pour moi, c’est central dans ma pensée politique. »
Et il y a cette entreprise d’édification du Québec, ce « nation-building » entrepris il y a plus de 400 ans et qu’il promet de poursuivre s’il réussit l’épreuve ultime d’être réélu le 1er octobre. « Les résultats de notre gouvernement, je pense, sont parmi les meilleurs des dernières années. Je suis persuadé que ce sera dit même à l’avenir », plaide-t-il.
« On a vraiment changé le Québec. Maintenant, il faut continuer dans la même direction. »