Vers les élections provinciales / Portrait

Les épreuves de Philippe Couillard

Médecin à 22 ans, neurochirurgien à 28 ans, ministre à 45 ans et premier ministre à 56 ans, tout semble réussir à Philippe Couillard. Mais à 61 ans, voilà qu’il s’apprête à affronter son plus grand défi politique : obtenir un deuxième mandat comme premier ministre.

Un dossier d’Hugo de Grandpré

L’ultime test

Philippe Couillard et Michel Baron mangeaient ensemble presque chaque midi au temps où le docteur Couillard dirigeait le département de chirurgie de l’Université de Sherbrooke et le docteur Baron était doyen de la faculté de médecine. « À la cafétéria, les neuros étaient des early birds, et moi aussi, pour éviter la foule », dit ce dernier.

Le professeur Couillard discutait beaucoup de politique, du système de santé et de la manière de l’améliorer. « Il était très conservateur, se souvient l’ancien doyen. Mais tous les neuros sont conservateurs… C’est presque un vice de leur profession. Quand on touche au cerveau, on ne veut rien détruire, alors on a une attitude assez prudente. »

Lorsque son collègue a fait le saut en politique active, en 2003, le Dr Baron a été dithyrambique à son égard, vantant dans les médias la qualité de l’homme et du médecin dont il a été le patron. Il plaçait beaucoup d’espoir, dit-il, dans les capacités d’un tel homme de principes.

Mais 15 ans plus tard et après un mandat de premier ministre, il a déchanté. Comme plusieurs autres dans le domaine de la santé, il ne digère pas les réformes des dernières années.

« Je ne lui pardonne pas ce qu’il a fait en santé, et d’avoir laissé Barrette faire ça… Je ne lui pardonne pas. »

Il compare les compressions et les changements suivis d’annonces de réinvestissements massifs à la veille des élections à de la vieille politique.

« C’est de la politique comme on l’a vécue dans les années 50 et 60 avec l’Union nationale et les libéraux… Je me souviens, mon père était organisateur dans les Cantons-de-l’Est ; on remplissait le truck de caisses de bière et on faisait le tour du rang. On disait : “Un cadeau de Duplessis !” Je me souviens, j’étais petit gars, assis sur les caisses de bière… »

« Il a fait de la vieille maudite politique comme avant. Exactement ce qu’il avait dit qu’il ne ferait pas. »

— Michel Baron, ex-doyen de la faculté de médecine de l’Université de Sherbrooke

Tous les gens qui connaissent Philippe Couillard s’entendent pour lui accorder une intelligence hors du commun. Michel Baron ne fait pas exception. « C’est un gars d’une telle intelligence ! Vous lui expliquez un dossier complexe pendant une heure et il vous le résume en deux minutes après. Il est excessivement brillant. »

Ce qui, à ses yeux, rend les récentes mesures d’autant plus difficiles à comprendre : « Je n’en reviens pas, dit-il. Je suis en train de me poser la question si le pouvoir ne l’a pas transformé. Je ne sais pas… »

Le mécontentement du Dr Baron trouve écho dans plusieurs autres milieux, à quelques mois des élections et au terme d’un premier mandat marqué par les compressions et un rééquilibre des finances publiques pour le gouvernement Couillard.

Le premier ministre est habitué aux épreuves de toutes sortes : à 16 ans, on lui avait fait passer une batterie de tests avant de l’admettre en médecine parce qu’on craignait qu’il ne soit pas assez mature. À 27 ans, lors des examens du Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada, l’un de ses professeurs a lancé à ses collègues : « Allez-y, posez-lui les questions les plus cochonnes », avant de se retirer du panel, comme le voulait la tradition. « Il est sorti après une dizaine de minutes. Ils n’avaient plus de questions difficiles à lui poser. »

Mais avec un électorat animé par un désir de changement et son parti qui peine à rattraper la Coalition avenir Québec (CAQ) dans les sondages, Philippe Couillard pourrait, à 61 ans, subir l’épreuve de sa vie d’ici au 1er octobre : celle de convaincre les électeurs de lui accorder un deuxième mandat.

Remonter à la source

Quand on lui demande pourquoi il fait de la politique, M. Couillard parle de son désir d’avoir un impact, d’améliorer la société. Mais pourquoi lui plus qu’un autre ? Quel trait de personnalité le pousse, lui, à occuper cette fonction souvent ingrate de premier ministre ? Il répond après une rare hésitation, assis dans un fauteuil de son bureau de Montréal.

« J’ai quand même une assez grande confiance dans la façon que j’ai d’exercer le leadership et de faire changer les choses. Et comme je l’ai constaté à peu près à toutes les étapes de ma vie, il y a vraiment là quelque chose que tu es capable de faire avec l’équipe, avec un groupe… »

— Philippe Couillard

Selon lui, les mesures apportées au cours des dernières années pour équilibrer les finances publiques n’étaient pas seulement nécessaires, elles étaient inévitables pour que le Québec puisse se donner les moyens de ses ambitions. « Les conséquences de ne pas le faire auraient été désastreuses », insiste le premier ministre.

Plusieurs ont tracé le parallèle entre cet exercice d’équilibre budgétaire et son ancienne vocation chirurgicale. Mais pour tenter de comprendre ses motivations, ce sens du devoir et ce qui, au cours des quatre dernières années, a motivé ses prises de position, que ce soit en matière de finances publiques, de santé ou d’immigration, il faut aller plus loin et remonter jusqu’à sa jeunesse – et plus encore.

Les leçons du jeune « Couillard »

La Seconde Guerre mondiale a eu une influence importante sur Philippe Couillard.

La famille de sa mère, Hélène Pardé, a été durement éprouvée par les brutalités du régime nazi. Le frère de Mme Pardé, Émile, était un médecin militaire. Il a été exécuté par les Allemands en 1944, au terme d’affrontements dans le massif du Taillefer, près de Grenoble.

Sa tante Marcelle Pardé s’occupait de renseignement au sein de la Résistance et est morte au camp de concentration de Ravensbrück en 1945. Jean Guillon, un autre oncle, a été libéré de Dachau par les Américains « en train de mourir du typhus […], et il avait des marques de chien sur lui », dit M. Couillard.

« Ma mère m’a raconté qu’un soir, sa mère l’a prise par la main en disant : “Viens, je vais te montrer quelque chose”, relate le premier ministre. Je pense qu’elle avait 12 ans… Et elle l’a emmenée à Grenoble dans une cour d’école où il y avait plein d’enfants avec une étoile jaune. Le lendemain, ils partaient pour les camps. Et elle a dit : “Je ne veux jamais que tu oublies ça.” »

« Mon enfance a été marquée indirectement et directement par les mémoires de la Deuxième Guerre mondiale. De sorte que – et je ne fais aucun lien entre les deux –, je suis particulièrement irrité par les démonstrations d’intolérance et de xénophobie. C’est quelque chose pour moi qui est hideux dans la société auquel je réagis très, très fort. »

— Philippe Couillard

Né à Outremont en 1957, M. Couillard est l’aîné d’une famille de trois enfants, une fille et deux garçons. Leur père, Pierre Couillard, a été l’un des premiers Québécois francophones à obtenir un doctorat de biologie. Plutôt que de faire carrière à l’étranger, il a choisi de consacrer sa vie à l’avancement des sciences à l’Université de Montréal. « Il travaillait sept jours sur sept, se souvient le cadet, Denis Couillard. Il était très occupé parce qu’il refusait de négliger ses étudiants pour la recherche et il refusait de négliger sa recherche pour ses étudiants. »

Leur mère, Hélène Pardé, a rencontré son futur mari dans les années 50 à Philadelphie, où il faisait son doctorat et où elle étudiait les sciences politiques. Elle a aussi étudié le droit et la géographie, et s’est plus tard impliquée auprès de groupes comme l’UNICEF et la Fédération des femmes du Québec.

Philippe Couillard était un enfant, puis un adolescent doué et curieux. Vers 12 ans, il demandait des livres sur l’Antiquité pour Noël et il se délectait de ses cours de grec ancien au collège Stanislas. Son jeune frère était particulièrement impressionné par sa capacité de reproduire à main levée, « à l’encre et à la perfection », une case de bande dessinée sur une feuille qu’il plaçait à côté, sur le bureau de sa chambre.

« Mais il n’était pas un rat de bibliothèque », insiste Denis Couillard. Son grand frère a la réputation de lire très rapidement. « Donc, quand il lit, ça ne lui prend pas grand temps. » Il pouvait ainsi se concentrer sur autre chose, dont le hockey. Il était défenseur pour les Lions d’Outremont durant des années où le port de la visière était optionnel ; il en conserve une cicatrice sur le menton.

Il aimait aussi jouer dans la ruelle derrière la maison de la rue Davaar, chanter dans la chorale et jouer du piano ou, plus tard, aller voir des films à 99 cents au Cinéma Outremont. La nuit des morts-vivants lui avait fait jeter des regards inquiets en remontant la rue Bernard, après la représentation.

AIDE-BÛCHERON

Peut-être plus difficile à imaginer : « Couillard », comme l’appelaient ses camarades de classe, était un brin dissipé. Philippe Colas était à côté de lui dans la première rangée, et « c’était la bolle du cours », dit-il. Mais ils s’amusaient aussi à jouer des tours, à s’enfermer dans l’armoire à balais, à s’envoyer des messages codés dans le cours d’histoire de la Première Guerre mondiale et à se lancer des défis, comme de faire des sons pendant le cours sans se faire pincer par l’enseignant.

L’été de ses 16 ans, le jeune Philippe vit une expérience marquante. Avec d’autres élèves, il se rend sur la Côte-Nord et travaille comme aide-bûcheron pour l’entreprise Rexfor au bord de la rivière aux Outardes. On faisait encore flotter le bois à l’époque et leur rôle était de dégager les embâcles avec une longue perche. « Quand tu l’avais dégagé, tu partais à courir et tu plongeais. C’était excessivement risqué, mais on trouvait ça le fun. »

« J’étais dans un grand dortoir avec tous les bûcherons et il y avait tous les étudiants aussi. On mangeait avec eux, on voyait c’était qui, on voyait d’où ils venaient, on travaillait avec eux. Et ça, ça m’a beaucoup marqué. Je pense que ça m’a beaucoup aidé à comprendre la société beaucoup plus largement que ce que j’en comprenais. Il y a une certaine tolérance pour les maringouins aussi, ce qui n’est pas inutile quand on est à la pêche… »

C’est à la même époque qu’il est admis en médecine à l’Université de Montréal. Il quitte le domicile familial quelques années plus tard, dans la jeune vingtaine, après avoir travaillé dans un internat de Blanc-Sablon pendant un été, où il a rencontré sa première épouse. Diplômé à 22 ans, il hésite entre une spécialisation en psychiatrie ou en neurochirurgie, mais il choisit la deuxième parce qu’elle est considérée comme étant la plus difficile.

Un collègue de l’époque, le Dr Michel Bojanowski, le décrit comme un jeune médecin calme et très apprécié, doté d’un esprit de synthèse impressionnant, d’un bon sens de l’humour et « d’une analyse visuospatiale qui dépassait la moyenne ». 

« Même les profs voulaient son opinion. C’était très rassurant d’avoir quelqu’un comme lui. »

— Le Dr Michel Bojanowski

Il devient chirurgien-chef à l’hôpital Saint-Luc à 32 ans, mais le rythme est exigeant. Trois ans plus tard, au début des années 90, une occasion se présente : celle de participer à la fondation d’un centre de chirurgie créée par la société pétrolière Aramco, en Arabie saoudite. Il s’envole avec sa femme et leurs trois jeunes enfants. Ils y restent pendant cinq ans, jusqu’à ce que sa « fille déclar[e] à qui voulait l’entendre qu’elle était saoudienne ! », a-t-il confié à L’actualité en 2003.

De retour au Québec en 1996, la famille s’installe à Sherbrooke, mais le mariage éclate. Philippe Couillard, alors dans la jeune quarantaine, s’investit dans son travail de professeur et de chirurgien, et commence à écrire des lettres d’opinion sur l’administration du système de santé dans les quotidiens. « Il cherchait un moyen de s’impliquer en politique », dit l’ex-doyen Baron. Après avoir rencontré Jean Charest à son bureau de circonscription, il décide de faire le saut en politique active aux élections de 2003.

Entrée réussie, sortie chaotique

Comme lors de son entrée en médecine à 16 ans et au Collège royal à 27 ans, le nouveau candidat dans le château fort de Mont-Royal est mis à l’épreuve.

Cette fois-ci, ce sont par des gens du « war room » du Parti libéral du Québec pour s’assurer qu’il ne tombera pas dans les pièges des journalistes et de ses adversaires. Ils en ressortent « incroyablement surpris, raconte une personne qui participait à l’exercice. Il était d’une clarté, d’une limpidité d’esprit qui étaient fort impressionnantes ».

Les libéraux sont portés au pouvoir en avril 2003 et Philippe Couillard devient ministre de la Santé. Il s’impose rapidement comme le membre le plus populaire du gouvernement Charest, après le premier ministre. Cette popularité le prend par surprise. Une ancienne adjointe raconte que souvent, il ne comprenait pas pourquoi des gens voulaient lui parler ou lui serrer la main lors de sorties publiques.

Son mandat est marqué par le désaccord avec M. Charest sur l’emplacement du futur Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM). Le premier ministre souhaitait qu’il soit bâti dans la gare de triage d’Outremont ; son ministre de la Santé préférait l’emplacement de l’hôpital Saint-Luc. « L’ours », comme le surnommaient sa conjointe et les fonctionnaires de la Santé pour son allure physique et sa démarche, aura finalement gain de cause. Ce qui ne manquera pas d’alimenter les rumeurs quant à ses ambitions de diriger le Parti libéral.

L’impression est renforcée le soir des élections de 2007, lorsque Jean Charest est déclaré (à tort) pendant un instant défait dans sa circonscription de Sherbrooke. M. Couillard apparaît à la télévision au rassemblement de Québec en train de haranguer les militants, comme s’il préparait déjà le terrain en vue d’une future course. 

La sortie provoque un malaise chez certains libéraux et, quelques mois plus tard, au souper de la tribune de la presse, M. Charest lance à la blague que chaque fois que son ministre de la Santé vient chez lui, il mesure les fenêtres. « Je ne comprends pas ! »

Encore aujourd’hui, Philippe Couillard se défend d’avoir nourri de telles ambitions. « C’était justement le bureau du premier ministre qui m’avait demandé de sortir et de mettre de l’enthousiasme dans la salle », dit-il au sujet du discours de mars 2007. « Je faisais mon travail de ministre de la Santé, essentiellement. Je ne faisais pas de militantisme ou de ralliement de qui que ce soit. »

Ses faits d’armes à la Santé incluent l’interdiction de fumer à l’intérieur des lieux publics et la création de 95 centres de santé et de services sociaux (CSSS) pour optimiser le rendement du système et réduire le personnel administratif.

PÊCHER POUR DÉCROCHER

C’est durant cette période qu’il découvre la pêche à la mouche, devenue l’une de ses grandes passions. Le trouvant stressé, l’un de ses anciens résidents en neurochirurgie, Hans McLelland, l’invite à une partie de pêche au saumon sur la rivière York, en Gaspésie. « J’ai été très chanceux parce qu’un des premiers lancers que j’ai faits, j’ai eu un saumon sur le bout de la ligne, dit M. Couillard. Mais c’était un hasard total, parce que je n’avais aucune idée de ce que je faisais. Naturellement, j’ai perdu le poisson en quelques minutes. Mais ça m’a donné la piqûre. »

Il affirme qu’encore aujourd’hui, la pêche est son seul moyen de « décrocher » totalement. Son « maître de pêche » Roger Lauriault, avec qui il fait désormais son voyage annuel de pêche au saumon, le confirme : « On ne parle pas de politique. Zéro ! D’abord, moi, je ne connais pas ça du tout, la politique. Pantoute ! » Le comptable à la retraite s’amuse du fait que Philippe Couillard est le seul de ses partenaires qui taquine le poisson en compagnie de ses gardes du corps.

Autres soupapes de décompression : les livres d’histoire qu’il dévore continuellement, le magazine The Economist qu’il lit religieusement pour rester au fait des dernières tendances internationales… et l’humour. Des collègues évoquent son amour pour Monty Python, ou le plaisir qu’il avait lors de débats qui s’étiraient à l’Assemblée nationale à choisir un mot au hasard pour tenter de l’inclure dans ses interventions.

DÉPART HOULEUX

Encore aujourd’hui, M. Couillard détient le record de longévité pour un ministre de la Santé. C’est en 2008 qu’il décide de tirer sa révérence. Mais son départ s’avère chaotique et son passage dans le secteur privé soulèvera plus de controverses pour lui que les cinq années au gouvernement.

Beaucoup a été dit et écrit sur chacun de ces épisodes : il y a d’abord le contrat négocié avec le Fonds d’investissement PCP, qui détient les cliniques Medisys, alors qu’il était toujours ministre et s’apprêtait à laisser une plus grande place aux cliniques privées. Il y a le rôle de membre du conseil consultatif international créé par le ministre de la Santé de l’Arabie saoudite. Et il y a sa proximité avec Arthur Porter, PDG du Centre universitaire de santé McGill, accusé de fraude, avec qui il a créé une firme de consultants. M. Couillard a toujours défendu son intégrité dans chacun de ces dossiers.

Peu après son départ en 2008, Philippe Couillard achète une maison à Saint-Félicien, au Lac-Saint-Jean, d’où vient sa nouvelle femme, Suzanne Pilote. Après quelques années dans la capitale nationale, il s’établit pour de bon en région. « Ça fait plusieurs décennies qu’il n’y a pas eu de premier ministre qui habite – pas qui visite, qui habite – en région rurale », dit-il aujourd’hui avec fierté. L’ancien gîte est situé au bord de la rivière Ashuapmushuan, à côté de celle de la maison du ministre conservateur Denis Lebel.

Il enseigne à l’Université McGill, siège à plusieurs conseils d’administration et au comité fédéral chargé d’examiner les activités des services de renseignements canadiens (avec le Dr Porter, mort en 2015). Il se rapproche ainsi du gouvernement de Stephen Harper, qu’il conseille sur certains enjeux par l’entremise du directeur des communications Dimitri Soudas. 

Les deux politiciens ont d’ailleurs une personnalité similaire, croit M. Soudas : « Comme Stephen Harper, il est très intellectuel, très cérébral. C’est un homme avec une très belle personnalité d’être humain », insiste cet ancien adjoint fédéral qui a tenté en vain de convaincre l’ancien ministre de la Santé d’être candidat pour le Parti conservateur.

M. Couillard obtiendra même un contrat de consultation en 2010 auprès de Développement économique du Canada pour les régions du Québec, une agence fédérale alors dirigée par le ministre Lebel. Le contrat de gré à gré, d’une valeur de 24 950 $, prévoyait un « accompagnement » des fonctionnaires dans l’exercice de compressions mené au sein des programmes de l’organisme. Cet « examen stratégique » mené dans la foulée de la crise financière s’est soldé par une « réaffectation budgétaire » de l’ordre de 5 %, soit 13,4 millions.

Son rapport annonce certaines de ses positions futures à l’égard de l’innovation, de la recherche et du développement régional : « Au lieu de limiter le message politique à un simple exercice de “coupures”, cette action permet de démontrer une intervention de soutien au développement adaptée aux défis et aux forces des régions. »

Couillard de l’Espinay

Philippe Couillard est à la pêche au saumon dans le haut de la rivière Sainte-Anne avec son maître de pêche Roger Lauriault, en 2012, lorsque les libéraux sont défaits par le Parti québécois. Pour une rare fois, la politique s’est invitée dans leur voyage : une petite radio retransmet les résultats de la soirée électorale. Lorsqu’il ressort du bois, son téléphone portable sonne sans cesse.

« Des gens m’appelaient, des anciens collègues. “Écoute, on veut absolument que tu reviennes…” Ma première réponse a été de dire non, j’ai fait mon époque. La pression s’est accentuée. J’ai dit : “OK, peut-être, mais pourquoi ? Pour quoi faire ?” C’est là que je me suis dit que j’ai une variété d’expériences et une vision de ce que le Québec doit être qui, je pense, correspond aux valeurs du Parti libéral du Québec… Donc, allons-y. »

Dans la course à la direction, celui qui a horreur des attaques personnelles voit sa relation avec Arthur Porter revenir sur le tapis lors de charges menées par les camps adverses. « J’essaie toujours de garder le respect et la considération pour la personne qui est devant moi. Je trouve que l’un des défauts les plus grands de notre société, du monde politique et de la communication, c’est le manque d’empathie », dit-il aujourd’hui.

Le 17 mars 2013, à l’Auditorium de Verdun, il est élu chef du Parti libéral du Québec au premier tour de scrutin, avec 58,5 % des voix.

L’année suivante, au terme d’une campagne largement influencée par le spectre d’un référendum sur la souveraineté, il réussit à reporter le parti au pouvoir, un tour de force après seulement 18 mois de gouvernement Marois et un dernier mandat libéral marqué par les scandales et les allégations de corruption. « Pour plusieurs, le purgatoire n’était pas terminé », note un ancien adjoint.

« Je me souviens que, quand on a gagné l’élection, il est devenu très calme. Il avait comme accepté la responsabilité. Nous, on était bien énervés, mais lui, il est devenu très calme, parce qu’il réfléchissait tout de suite aux prochaines étapes. »

— Harold Fortin, l’un des proches collaborateurs de Philippe Couillard depuis 2004

Le premier ministre Couillard ne tarde pas à déployer cette « vision de ce que le Québec doit être » et qui l’a ramené en politique. Dès le premier budget, il annonce des compressions pour rééquilibrer les finances publiques. Il refuse l’étiquette d’austérité, mais l’exercice provoquera un important ressac qui se fait ressentir encore aujourd’hui. Son gouvernement se fait attaquer sur tous les fronts : des histoires de corruption de l’ère Charest, tout comme ses propres histoires sur Arthur Porter, l’Arabie saoudite ou un compte bancaire dans un paradis fiscal, reviennent le hanter. Deux ministres, Yves Bolduc et Sam Hamad, quittent la politique après avoir mis le gouvernement dans l’embarras.

La grogne populaire gagne aussi le caucus, où la démission des députés Marguerite Blais et Gilles Ouimet est tantôt attribuée à des désaccords avec le chef et son entourage, tantôt au fait d’avoir été écartés du Conseil des ministres. Le style de gestion de Philippe Couillard et celui de son ex-directeur de cabinet, son ami d’enfance Jean-Louis Dufresne, sont critiqués et comparés défavorablement à celui de son prédécesseur Jean Charest. « Ça pouvait aller mal, très mal à l’époque des carrés rouges, par exemple, et M. Charest réussissait toujours à garder son caucus soudé serré. Il faisait des farces, il gardait son sens de l’humour et il écoutait son caucus. Je considère que c’est fondamental », lance un ancien collègue.

Philippe Couillard, évidemment, est plus réservé que M. Charest. « J’ai connu deux catégories de chefs », dit Ronald Poupart, militant de longue date qui a travaillé de près ou de loin avec à peu près tous les chefs libéraux depuis Robert Bourassa. 

« Il y a ceux de très haut niveau intellectuel : Georges-Émile Lapalme, Robert Bourassa, Philippe Couillard. Et il y a ceux qui ont une très grande connaissance des dossiers, mais qui sont plus portés vers la communication :  Jean Lesage, M. Charest, M. Johnson… »

— Ronald Poupart

M. Couillard est reconnu pour sa maîtrise impeccable de la langue française, mais ce n’est pas un « harangueur, comme on disait dans le temps », estime M. Poupart. « Ils vont livrer leur message de façon très correcte, mais pas d’éclat. »

Un ancien ministre renchérit : « Il réfléchit trop. Et quand on réfléchit trop, on laisse tomber nos feelings. La politique, c’est beaucoup de la perception, c’est beaucoup les sentiments. Il faut influencer les gens. C’est là-dessus que, des fois, il ne l’a pas pantoute. »

« Nation-building »

Philippe Couillard le reconnaît lui-même : « Je suis quelqu’un de réservé. Par respect pour les autres, je ne m’impose pas. Je donne mes opinions, sans envahir les autres. » Mais il insiste pour dire que sa timidité ne doit pas être interprétée comme un manque d’empathie ou de considération : ce qu’il a trouvé le plus difficile comme premier ministre, dit-il, a été de former son Conseil des ministres. « Ce sont des considérations humaines. »

Quant à sa capacité à soulever des foules, « il n’est pas guidé par les sondages ou par les commentateurs, insiste Harold Fortin, qui a longtemps été son ombre en tant qu’attaché de presse. Il n’est pas guidé par ça. Il dit : “Moi, j’ai confiance en l’intelligence des gens.” C’est tout ».

« Peut-être qu’à l’époque, on n’a pas assez verbalisé parce qu’on était tous dans la mécanique de la chose, [mais] j’avais une idée très, très précise [de] pourquoi on le faisait, renchérit M. Couillard en parlant du rééquilibre des finances publiques. Ce n’était pas pour faire un exercice stérile de comptabilité ; c’était pour se donner les moyens de faire les trucs pour lesquels on vient tous en politique – l’éducation, la santé, soutenir l’économie, le prestige international du Québec. »

À son bureau de Québec, on trouve un vieux parchemin signé par Charles Jacques Huault de Montmagny et par Guillaume Couillard, sieur de l’Espinay, premier colon anobli en Nouvelle-France en 1654 par Louis XIV. Philippe Couillard, ou Philippe Couillard de l’Espinay de son nom complet, est son descendant en ligne directe – la 11e génération.

« [Ces temps-ci,] c’est drôle, je me sens très près de lui, avec toute cette histoire de la colonisation de la Nouvelle-France », confie M. Couillard.

Il y a les questions de l’immigration et de la politique identitaire, qui ne manqueront pas d’animer la prochaine campagne. « Lorsqu’on parle de Québécois de souche, là, vous en avez un devant vous ! [Mais] ça ne fait pas de moi quelqu’un qui détient une citoyenneté supérieure à quelqu’un qui est arrivé il y a quelques années au Québec. Ça, pour moi, c’est central dans ma pensée politique. »

Et il y a cette entreprise d’édification du Québec, ce « nation-building » entrepris il y a plus de 400 ans et qu’il promet de poursuivre s’il réussit l’épreuve ultime d’être réélu le 1er octobre. « Les résultats de notre gouvernement, je pense, sont parmi les meilleurs des dernières années. Je suis persuadé que ce sera dit même à l’avenir », plaide-t-il.

« On a vraiment changé le Québec. Maintenant, il faut continuer dans la même direction. »

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