Opinion Surenchère politico-médiatique

Le Canada ne fait pas face à une crise de réfugiés

En période électorale, il semble de bon ton de trouver des boucs émissaires à tous les maux de notre société. Rien n’est plus facile alors que de viser l’« autre », les étrangers n’ayant ni voix au chapitre ni bulletin de vote à mettre dans l’urne. Et ainsi resurgit la rhétorique alarmiste et populiste de certains politiciens et médias qui décrivent un Canada envahi par des hordes de réfugiés traversant les frontières – parfois « illégalement », comme certains le disent de manière fallacieuse. Un pays, qui, selon leurs dires, serait sur le point d’imploser à cause de la pression que ces réfugiés exercent sur les logements, les services sociaux, voire les valeurs qui fondent notre société.

Ce discours est non seulement dangereux, mais il n’a aucune légitimité.

Les chiffres

Alors que le nombre de demandeurs d’asile a connu une augmentation plus tôt cette année, ce nombre a fortement chuté aux mois de mai et juin derniers. Cela prouve qu’il faut bien se garder de faire des prédictions sur les flux migratoires, car elles se trouvent contredites par les chiffres bien plus souvent que les politiciens ne veulent l’admettre. Ainsi, miser sur des chiffres battant tous les records d’arrivées cet été me semble un jeu bien dangereux.

Quelque 50 000 personnes sont arrivées au Canada l’an dernier pour y demander l’asile. Mais c’est à peine plus que le nombre de ceux qui étaient venus chercher ici l’asile en 2001. Et le pays, jusqu’à preuve du contraire, n’en a pas moins continué à exister, et son économie, à fleurir.

Ce qui a changé, il est vrai, c’est que davantage de personnes contournent les postes-frontières officiels pour entrer au Canada. Le chemin Roxham, à côté de Lacolle au Québec, est ainsi devenu le chemin le plus emprunté au Canada. Il a fait la une de tous les journaux, d’ici au Japon. Mais dans les faits, les deux tiers des demandeurs d’asile se sont présentés aux bureaux de la douane terrestres et aéroportuaires, en bonne et due forme.

Tous, sans exception, ont été soumis à des vérifications de sécurité par la police et les autorités aux frontières. Y compris celles et ceux qui arrivent de façon irrégulière par le chemin Roxham. En effet, tous cherchent à se faire appréhender, car leur but en venant ici est bel et bien de se présenter aux autorités, seul moyen pour eux de faire leur demande d’asile.

D’aucuns affirment que ces demandeurs d’asile représentent un risque pour la sécurité des Canadiens – et que s’ils arrivent en traversant par des chemins de traverse, c’est bien qu’ils ont quelque chose à se reprocher. Ici encore, les chiffres prouvent le contraire : moins de 1 % d’entre eux sont détenus en raison de risques sécuritaires, qu’ils aient commis un crime ou soient soupçonnés de vouloir en commettre un. En d’autres mots, il n’y a aucun risque pour le Canada d’accepter ces personnes sur son territoire.

Le droit

En vertu du droit international – et bien plus important, en accord avec les valeurs que les Canadiens chérissent –, la législation canadienne prévoit que les personnes qui fuient les guerres et les persécutions doivent avoir l’occasion de raconter leur histoire et d’être reconnues comme réfugiées lorsqu’il est prouvé qu’elles craignent pour leur vie dans leur pays d’origine. Ce faisant, le Canada ne fait que respecter ses obligations internationales – au même titre d’ailleurs que le Bangladesh, quand ce dernier a accueilli en quelques semaines plus de 700 000 Rohingya, ou l’Ouganda, qui a accueilli 1 million de Sud-Soudanais en l’espace d’une année. Serions-nous prêts ici à refuser à ces personnes le droit de demander l’asile, alors que le monde fait face à 25 millions de réfugiés ? Soit dit en passant, le nombre reçu par le Canada ne représente que 0,2 % de ce que le reste du monde reçoit avec générosité et humanité.

Ceux qui qualifient les demandeurs d’asile qui arrivent sans passer par un poste-frontière officiel d’« illégaux » cherchent à déshumaniser leur démarche.

Lorsque l’on fuit les bombes ou la torture, on ne peut en effet pas toujours se payer le luxe de retrouver son passeport ou d’aller faire la queue au consulat du coin pour demander un visa. Parant au plus pressé – sauver sa vie, et celle de sa famille –, on prendra la première porte qui s’ouvre à soi, même si cette porte conduit à un chemin dans la campagne québécoise. C’est ce que reconnaît le droit en ne punissant pas l’acte de traverser une frontière à un endroit qui n’est pas officiel s’il s’agit de le faire pour demander l’asile. Gardons aux mots leur signification. Ceux et celles qui arrivent par le chemin Roxham, à Emerson au Manitoba et au Peace Bridge en Colombie-Britannique ne sont pas des illégaux : ce sont des personnes arrivées au Canada de façon irrégulière.

Toujours dans le but de déshumaniser ces demandeurs d’asile, certains clament que ces gens n’ont rien à faire ici, qu’ils trichent et cherchent à abuser de la générosité du Canada ou qu’ils prennent la place des « bons immigrants » qui attendent sagement leur tour, triés sur le volet. La preuve en est, disent-ils, qu'ils viennent principalement de pays qui ne sont pas en guerre. Regardons d’un peu plus près, en effet, les pays d’où viennent ces personnes. Haïti et le Nigeria sont les deux pays les plus représentés ces derniers 12 mois. Effectivement, pas de guerre généralisée, même si Boko Haram sévit encore dans le nord-est du Nigeria, ce qui ne fait guère plus la une des journaux, malheureusement, en particulier pour les petites filles kidnappées sur le chemin de l’école. 

Mais, même sans guerre, certaines personnes ne peuvent y jouir de leurs droits fondamentaux. Les individus LGBTI sont souvent encore persécutés pour leur orientation sexuelle, alors que chacun vit sa vie comme il l’entend au Canada. Les survivantes de viols n’ont que difficilement accès aux services spécialisés et à la protection de la loi, au contraire des femmes canadiennes. Les mutilations génitales et les mariages forcés sont pratiques courantes dans certaines communautés alors qu’au Canada, les petites filles vont à l’école. Sur la liste des 15 pays les plus représentés parmi les demandeurs d’asile se trouvent le Yémen, la Somalie et la Palestine, dont il ne fait aucun doute qu’y vivre n’est pas une sinécure.

De toute façon, il n’incombe pas aux politiciens ou aux médias de juger qui est un réfugié. Cela est du ressort exclusif de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Cette commission indépendante, après avoir entendu les histoires de ces demandeurs d’asile, statuera sur leur sort. Ceux risquant leur vie s’ils étaient retournés dans leur pays d’origine seront ainsi reconnus comme réfugiés et admis, à ce titre, à rester sur le territoire canadien. À cet égard, notons que le taux d’acceptation n’a pas changé depuis l’augmentation du nombre d’arrivées l’été dernier. Ce qui prouve bien, n’en déplaise à certains, que ceux continuant à arriver au Canada pour demander l’asile ont des raisons légitimes de le faire. Notons également les efforts de la Commission qui a, au cours de la dernière année, réussi à augmenter sa capacité de traitement des dossiers de plus de 50 %, et ce, sans augmentation de ses ressources. Plus efficace, et ce, sans avoir à piocher dans les recettes des impôts.

Nos institutions

Il est finalement de bon ton de critiquer les responsables, en soutenant qu’ils sont débordés et ne savent pas ce qu’ils font. Pendant plus de 18 mois, le HCR – l’Agence des Nations unies pour les réfugiés – a interviewé des centaines de demandeurs d’asile, à la frontière ou chez eux. Nous avons également très régulièrement parlé non seulement avec les autorités, mais aussi avec la société civile qui a soutenu leurs efforts. Et il faut bien l’admettre, tous ont fait un travail remarquable. Des nouvelles procédures ont été mises en place. Des plans de contingence ont été élaborés. Beaucoup ont redoublé d’efforts, allongeant les heures de travail et donnant de leur temps libre. Et tout ceci, dans le respect du droit et avec un souci principal de maintenir les valeurs canadiennes d’humanité et de respect des personnes. 

Prenons un seul exemple, peu connu : en moins de 30 jours, les demandeurs d’asile reçoivent un permis temporaire de travail. Et pourquoi donc, me direz-vous ? Simplement pour leur permettre de retrouver rapidement les moyens de subvenir à leurs propres besoins, et ainsi de ne pas dépendre des aides sociales.

Je ne peux finir ma tribune sans faire un parallèle avec la situation des réfugiés à travers le monde. Personne ne me fera croire qu’un pays riche et bien géré comme le Canada ne peut se permettre d’accueillir ces quelques milliers de demandeurs d’asile. Personne n’osera avancer que les Canadiens ne montreront pas la même générosité que les populations déshéritées du Bangladesh ou de l’Ouganda qui ont ouvert leur porte à de bien plus grands nombres. Personne ne me fera peur en soutenant que le Canada n’est plus prêt à être un modèle pour le monde concernant l’accueil que l’on doit accorder à ceux et celles qui fuient conflits et persécutions.

Il est irresponsable de jouer avec les peurs irrationnelles de l’électorat. Instiller la peur de l’« autre » n’a conduit qu’à des erreurs dans l’histoire de l’humanité. Les mots ont un sens. Il s’agit de les employer avec raison, en adéquation avec la réalité. Les crises de réfugiés existent bel et bien. Mais pas ici, ni même en Europe. Mais dans tous ces pays limitrophes des pays en guerre en Afrique et au Moyen-Orient en particulier. Et un peu de décence serait de bon aloi : quand on regarde comment ces pays et leurs populations se sont comportés, avec courage et dignité, pour accueillir des millions de réfugiés alors qu’eux-mêmes luttaient contre la pauvreté, ne crions pas au loup ici.

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