OPINION

MÈRES PORTEUSES
Le piège d’une vision manichéenne

La gestation pour autrui (GPA) fait couler beaucoup d’encre ces temps-ci. Les textes d’opinion publiés à ce sujet ont comme point commun d’être appuyés, non pas sur des constats empiriques, mais plutôt sur des points de vue érigés en vérités.

Nous souhaitons participer à la discussion dans le but de dépasser la fiction dépeinte dans La servante écarlate, en déconstruisant certains mythes tenaces à partir de recherches menées depuis deux décennies.

Ceux qui interviennent dans l’espace public fondent leur argumentaire sur les mêmes idées reçues voulant que la GPA cautionne la marchandisation du corps des femmes et la chosification des enfants.

Non seulement ces argumentaires ne sont appuyés sur aucune donnée probante, mais ils évacuent, ironiquement, la parole des femmes porteuses elles-mêmes.

Cela participe à leur infantilisation et témoigne d’une méconnaissance importante de la façon dont elles vivent cette expérience. Ainsi, supposer qu’elles ressentent de la détresse associée au geste d’avoir porté un enfant pour autrui n’est pas avéré1.

De plus, considérer le geste comme une forme d’abandon exacerbe la stigmatisation non seulement à leur égard, mais également envers les enfants ainsi nés. Prétendre que ces enfants souffriront de la situation ne rejoint en rien les données probantes, alors que les études sur le sujet – dont une recherche comparative et longitudinale faisant autorité – démontrent que leur développement est typique de celui des enfants grandissant dans les familles dites « traditionnelles »2.

Par ailleurs, le désir de fonder une famille des couples infertiles ou inféconds est souvent assimilé à un « droit à l’enfant » tout en étant réduit à une survalorisation des liens biogénétiques. On les qualifie de « commanditaires » afin de mieux les dévaluer. Pourtant, les recherches conduites en Occident, dont les nôtres, témoignent au contraire du fort lien relationnel noué entre les personnes et de la pérennité des liens, et ce, des années après la naissance de l’enfant3

La femme porteuse n’est donc pas une figure dissimulée, puisqu’elle occupe une place dans la genèse du roman familial de l’enfant qu’elle a porté, ce qui contredit le portrait déshumanisant et purement contractuel souvent dépeint dans les médias.

Contrairement à d’autres provinces et territoires canadiens, le Québec ne s’est toujours pas doté d’un encadrement législatif visant à réguler la pratique de GPA. Les recherches que nous conduisons auprès de femmes porteuses et de parents québécois montrent que le « flou juridique » actuel est le principal facteur qui exacerbe leur vulnérabilité. En ce moment, ces personnes naviguent à travers les systèmes juridiques et médicaux en l’absence d’un encadrement cohérent et fiable qui les protège adéquatement.

Au regard des données empiriques publiées sur le sujet depuis une vingtaine d’années, il nous semble nécessaire de réfléchir à des mécanismes visant à protéger les personnes impliquées dans une entente de GPA, sans tomber dans le piège d’une vision manichéenne de la pratique.

1 Jadva, V., Imrie, S. & Golombok, S. (2015), Surrogate mothers 10 years on : A longitudinal study of psychological wellbeing and relationships with the parents and child, Human Reproduction, 30 (2), 373-379. 

2 Golombok, S., Ilioi, E., Blake, L., Roman, G., & Jadva, V. (2017), A longitudinal study of families formed through reproductive donation : Parent-adolescent relationships and adolescent adjustment at age 14, Developmental Psychology, 53 (10), 1966-1977.

3 Côté, I., Lavoie, K., & Courduriès, J. (2018). Penser la gestation pour autrui à partir des expériences vécues : un ancrage empirique et multidisciplinaire. Dans I. Côté, J., Courduriès, K., Lavoie (Éds.), Perspectives internationales sur la gestation pour autrui : expériences des personnes concernées et contextes d’action (p. 1-21), Québec, Presses de l’Université du Québec.

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