Chronique

Les bonnes nouvelles

Les reportages à l’étranger comportent leur lot de défis logistiques, mais je n’en ai jamais rencontré d’aussi considérables que dans la Libye de Mouammar Kadhafi.

C’était en 2005. Les choses avaient mal commencé ; j’avais été refoulée à l’aéroport de Tripoli. Escortée manu militari à bord du prochain avion pour Malte.

Trois jours plus tard, c’est un ex-haut dirigeant de SNC-Lavalin (tiens, tiens) qui avait résolu l’imbroglio en intervenant en ma faveur auprès du régime…

Une fois en Libye, les choses ne se sont pas arrangées. Vraiment pas. On a tout fait pour me faire perdre mon temps. Quand j’ai sollicité une interview avec Kadhafi, on m’a plutôt proposé… une visite au Salon de la mariée !

Cette aventure m’est revenue en tête, mercredi, en entendant le maire de Mirabel défendre avec une infinie franchise la création de son propre journal, Mirabel vous informe, entièrement rédigé par le service des communications de la Ville.

« Oui, c’est vrai que c’est toujours, bien entendu, des bonnes nouvelles. Des positions politiques aussi, il ne faut pas se le cacher. Notre journal est administré et géré par l’autorité ici. »

— Jean Bouchard, maire de Mirabel, sur les ondes de Radio-Canada

Loin de moi l’idée de comparer le maire de Mirabel à Kadhafi. Ça n’a rien, mais rien à voir. Absolument rien. C’est clair.

Mais voilà ce qui me semble tout aussi clair : quand la presse est contrôlée par le pouvoir, ne vous attendez pas à y lire autre chose que des reportages inoffensifs, comme les dernières tendances au Salon de la mariée.

Ne vous fatiguez pas à chercher, vous n’y trouverez que « des bonnes nouvelles ».

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Pour le maire Bouchard, Mirabel vous informe n’est qu’un bulletin municipal, semblable à tous les bulletins municipaux diffusés au Québec, m’explique-t-il en entrevue.

Pas de quoi en faire un fromage.

Mais pour Serge Langlois, propriétaire des hebdos L’Éveil et Nord Info, c’est un « journal politique », rempli de photos du maire et de reportages positifs sur Mirabel.

« C’est un format papier journal, très similaire à celui de mes hebdos. Quelqu’un qui n’est pas observateur peut s’y faire prendre. »

Le torchon brûle entre les deux hommes depuis 2015, quand Mirabel a décidé de retirer ses avis publics des hebdos. « Ça nous a fait mal, c’est clair », admet M. Langlois.

« Cela nous coûtait plus de 100 000 $, toutes les parutions qu’on devait faire dans leurs journaux, explique le maire. Pour renverser cette façon de faire, on a produit notre propre journal. C’est une question de coûts. »

Et combien la Ville économise-t-elle ?

« Faire notre propre journal, je vous dirais que cela équivaut peut-être au même montant… mais au moins, la population est au fait de tout ce qui se passe au point de vue de la Ville. »

— Jean Bouchard, maire de Mirabel

Bref, ce n’est pas une question de coûts.

C’est une question de contrôle de l’information.

Selon le maire, les hebdos exercent « un certain monopole au niveau de la diffusion de l’information ». Parfois, ils ne publient rien sur des projets que la mairie veut faire connaître.

C’est fâchant.

Désormais, Mirabel n’a plus à passer par ce filtre désagréable. Mieux, la Ville contrôle à la virgule près l’info distribuée dans les foyers des citoyens – et ce, aux frais de ces derniers.

C’est formidable.

***

Le 1er octobre, Mirabel deviendra la première ville du Québec à interdire la distribution du Publisac sur son territoire. Pour recevoir leurs hebdos et leurs circulaires, les citoyens devront en faire la demande expresse.

TC Transcontinental conteste le règlement en cour, sous prétexte qu’il est discriminatoire. C’est que les citoyens continueront à recevoir, sans les avoir demandés, toutes sortes de dépliants – dont le Mirabel vous informe – par la poste.

« Si c’est bon pour Postes Canada, pourquoi n’est-ce pas bon pour Transcontinental ? », demande le président et chef de la direction de l’entreprise, François Olivier.

Que le règlement viole ou non les droits de TC Transcontinental, cela reste à voir. Mais il est évident que les hebdos distribués dans le Publisac en paieront le prix. Encore une fois.

« D’après moi, c’est un geste politique », dit Serge Langlois.

« Le maire élimine toute possibilité d’avoir un journal indépendant sur son territoire. Si la distribution du Publisac cesse, nous ne serons plus livrés [dans les foyers de Mirabel]. »

— Serge Langlois, propriétaire des hebdos L’Éveil et Nord Info

Jean Bouchard rétorque que M. Langlois tente de « détourner le sujet », que l’interdiction du Publisac n’a rien à voir avec la survie des hebdos, mais tout à voir avec le virage environnemental entrepris par la Ville.

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Chef non élu du Mouvement Citoyen Mirabel (MCM), David Marra-Hurtubise est gestionnaire de projets en environnement. Il devrait être le premier à se réjouir de l’interdiction prochaine du Publisac dans sa ville. Pourtant, il s’inquiète.

Mirabel est une banlieue de Montréal en forte croissance. Le boom immobilier y est impressionnant – pas moins d’un logement sur cinq a été construit entre 2011 et 2016, selon Statistique Canada. Pour les constructeurs, c’est l’eldorado.

Pour M. Marra-Hurtubise, c’est plutôt le Far West.

« Le développement est énorme. Il y a des milieux humides qui sont remblayés pour construire des condos. L’indice de performance, à Mirabel, c’est le nombre de nouveaux logements. »

M. Marra-Hurtubise s’oppose à cette vision du développement à tout prix. Mais il a de moins en moins de tribunes pour se faire entendre.

« Mirabel est une grosse ville. Mais tout ce qui se passe ici se passe pas mal dans la noirceur. »

— David Marra-Hurtubise, du Mouvement Citoyen Mirabel

Les huit élus du conseil municipal appartiennent tous au même parti, celui du maire. Désormais, aucun journaliste n’assiste aux séances du conseil. Résultat, « tout se fait toujours en vase clos », s’inquiète Annie Vanden Abeele, dirigeante du MCM.

Présidente bénévole d’un comité de parc, elle a un jour critiqué le maire sur sa page Facebook. Pour son audace, elle a reçu une lettre de la Ville lui rappelant… son devoir de loyauté.

C’est qu’à Mirabel, il est interdit aux bénévoles de faire de la politique. On l’a sommée de faire un choix.

Mme Vanden Abeele sent peu à peu l’espace démocratique se rétrécir autour d’elle.

Une croissance fulgurante

20,4 %

Taux de croissance de la population de Mirabel entre 2011 et 2016. La moyenne québécoise est de 3,3 %.

21,2 %

Proportion des logements construits entre 2011 et 2016 à Mirabel. La moyenne québécoise est de 5,9 %.

309 millions

Excédent accumulé par la Ville de Mirabel en 2018

Sources : Statistique Canada, rapport financier de Mirabel

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