Livre L’effet Trump

La doctrine Trump

Dans cet essai, le professeur Charles-Philippe David explique comment la politique extérieure des États-Unis est pour la première fois « personnalisée » et soumise entièrement aux calculs d’un président motivé par sa popularité auprès de son électorat.

L’ancien officier des communications du National Security Council (NSC) Michael Anton est en quelque sorte le créateur de la doctrine Trump : « comme le dit le magicien d’Oz, rien de mieux que la maison pour y privilégier ses intérêts et être en sécurité et prospère. C’est cela la doctrine Trump. » En d’autres termes, « l’Amérique d’abord » est l’affirmation d’un nationalisme américain centré sur lui-même qui ne vise plus l’empire ou la mondialisation qui aurait prévalu depuis des décennies. Il n’est plus, selon Anton, dans l’intérêt des États-Unis « d’homogénéiser » le monde. La meilleure chose à faire est de « revenir à la normale ». Cette expression nous ramène à la doctrine américaine de l’entre-deux-guerres. Rappelons tout de suite que celle-ci ne fut pas très salutaire pour la suite de l’histoire. Voici les éléments centraux de la doctrine Trump :

L’Amérique d’abord

La doctrine Trump de « l’Amérique d’abord » n’est pas synonyme d’« isolationnisme ». Elle signifie avant tout que « l’Amérique est de retour », plus forte que jamais parce qu’elle veille à ses intérêts. Quand Trump affirme qu’il est le président des États-Unis et non le président du monde (ni le policier de la planète), il révèle bien la portée des objectifs de son administration. Pas de considérations altruistes ici ni trace de l’idée d’un « empire bienveillant » qui avait animé les élites après la guerre froide. Une Amérique forte signifie d’abord et avant tout une Amérique forteresse qui met l’accent sur le renforcement de ses armées et l’augmentation de son budget militaire.

Le doigt d’honneur

On retrouve ici une forme de realpolitik à l’extrême, un peu comme dans la formule « pas d’amis, pas d’ennemis ». Jeffrey Goldberg cite un officiel de l’administration Trump qui compare la doctrine à « un doigt d’honneur ». Doigt d’honneur à l’ordre international libéral conçu par les prédécesseurs du président, aux alliances militaires américaines coûteuses, à l’économie mondiale injuste pour les travailleurs américains, et aux démocrates. Trump, démolisseur en chef ? On peut le croire dans la mesure où sa vision se situe aux antipodes des présidents précédents, surtout Barack Obama dont il renie sciemment toutes les positions et les décisions, au point où l’on pourrait surnommer sa doctrine : « faire constamment tout le contraire d’Obama ».

La loi de la jungle

Dans la vision de Trump, il n’y a pas de règles, de normes, de valeurs, ni d’institutions internationales qui contraignent les États, il n’y a que des compétiteurs qui comme des loups se disputent un butin – le lien avec la jungle réaliste n’en est ici que plus évident. La promotion de la démocratie n’est pas inscrite au programme, d’autant que Trump évoque une certaine sympathie pour les dictateurs et les hommes forts (Poutine, Erdogan, Kim Jong-un, Xi Jinping…).

Le gain personnel

La doctrine Trump est celle de la volonté de gagner à tout prix en relations internationales, quitte à créer un « jeu à somme nulle » dans un monde divisé entre un gagnant et des perdants. La politique étrangère vise à défendre surtout l’intérêt personnel de Trump, et l’intérêt national quand celui-ci coïncide avec cet intérêt personnel. « Trump a constamment fait passer ses intérêts politiques personnels avant l’intérêt national des États-Unis », écrit un ancien officiel haut placé du gouvernement. Il n’y a pas d’intérêt international ou multilatéraliste possible dans cette vision réductionniste et unilatéraliste. « Trump pense qu’il est le pays », fait remarquer le journaliste aguerri George Packer.

Le gain électoral

La politique extérieure de Trump est devenue en quelque sorte « la continuation de la politique intérieure par d’autres moyens », pour paraphraser Clausewitz, au service des objectifs électoralistes du président. Ce président priorise en tout temps les perceptions de sa base électorale dans ses décisions de politique étrangère, comme celles du déménagement de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, de la guerre commerciale avec la Chine, ou encore de l’abandon de l’accord nucléaire avec l’Iran.

On peut dire de la doctrine Trump qu’elle est symbolique dans la mesure où, comme elle cherche à redorer le statut des États-Unis comme puissance « gagnante », il est important, par exemple, que l’accord de libre-échange nord-américain porte un nouveau nom, symbole des gains d’un pays plus fort qu’avant.

Trump cherche ainsi à renverser ce qu’il décrit comme les pertes de son pays sur la scène internationale et à regagner le respect des autres États. Cette doctrine est aussi transactionnelle. Trump est prêt à prendre des risques pour obtenir des gains en politique étrangère, et à adopter des positions de négociation très dures pour atteindre ses objectifs. La doctrine Trump use en outre de la stratégie de l’imprévisibilité dans la conduite des affaires diplomatiques (ce qui exclut alors toute idée de continuité dans la politique extérieure). Plusieurs ont reconnu dans cette stratégie celle du Madman chère à Nixon, qui donne à voir la « rationalité de l’irrationalité ». Là s’arrête toutefois la comparaison, puisque Trump ne l’a en réalité jamais mise en œuvre comme son prédécesseur. L’imprévisibilité se traduit surtout par des volte-face diplomatiques spectaculaires (en particulier face aux États à risque telles la Corée du Nord et la Syrie). La doctrine Trump est aussi identitaire, visant la préservation et la promotion du nationalisme blanc. En cela elle associe la politique étrangère à des aspirations intérieures, visant à épargner surtout cette identité des invasions migratoires.

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Dernière observation, la doctrine Trump comprend à bien des égards un aspect nostalgique. Comme Benjamin Haddad l’a fait remarquer, Trump se compare « au populiste Andrew Jackson, président de 1829 à 1837, dont il a accroché le portrait dans le bureau Ovale ». Trump en effet s’inspire du populisme de Jackson, un peu moins de son appétit pour les guerres et les interventions militaires – lorsqu’il était général des forces armées américaines et qu’il commandait les troupes dans les années 1820 pour exterminer ou déporter par la force les populations amérindiennes de Floride. De toute évidence, la doctrine Trump n’est pas si nouvelle que cela. « L’Amérique d’abord », c’est une sorte de « retour vers le futur » : elle correspond au vieil exceptionnalisme de la fin du 18e siècle et de l’entre-deux-guerres, notamment, prônant le non-engagement dans les affaires internationales. Une telle vision paraît peu applicable aujourd’hui, pourtant la doctrine Trump qui lie cet exceptionnalisme d’une autre époque à un nouvel élan nationaliste bouleverse le rôle des États-Unis dans le monde.

L’effet Trump

Quel impact sur la politique étrangère des États-Unis ?

Charles-Philippe David

Les Presses de l’Université de Montréal (2020) 168 pages

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