Analyse

L’annonce de Legault, les stratégies de Harper

Québec — À Québec, les gens bivouaquent la nuit à la porte d’un magasin IKEA à la veille de son inauguration. Et les militants caquistes peuvent attendre près de deux heures pour assister à une allocution de François Legault.

Environ 100 sympathisants de la Coalition avenir Québec (CAQ) avaient été disposés comme élément de décor pour l’annonce de l’énoncé économique. Lapsus révélateur, M. Legault a remercié d’entrée de jeu ces partisans d’exception, « convoqués » pour son allocution. La veille au soir, au bureau du whip caquiste Éric Lefebvre, on avait fait circuler une invitation auprès des membres de la région, dans une dizaine de circonscriptions.

Dans Montmorency, Chauveau, Vanier, on avait reçu la commande cinq sur cinq. Beaucoup de têtes grises dans ce parterre, surtout dans les rangs des 36 personnes docilement rangées derrière le premier ministre. Bien sûr, les mesures pour les aînés étaient importantes dans les annonces d’hier, mais on peut aussi penser qu’un tel appel, à midi, un jour de semaine, est susceptible de réunir une bonne proportion de retraités.

Pour conserver leur ferveur, il valait peut-être mieux qu’ils n’assistent pas à la présentation du ministre des Finances Éric Girard quelques minutes plus tôt. Après une flopée de chiffres sur les perspectives économiques à long terme du Québec, le ministre Girard a laissé tomber, sans détour, que les prévisions des économistes n’étaient guère crédibles au-delà de six mois !

De mois en mois, d’évènement en évènement, les ressemblances entre les stratégies de François Legault et de Stephen Harper deviennent de plus en plus évidentes.

On a atteint un autre sommet hier, au dévoilement de la synthèse des opérations financières du gouvernement.

Ces annonces devant des partisans étaient la marque de commerce du chef conservateur. Hier, pour la saveur locale, les stratèges politiques avaient commandé au ministère du Conseil exécutif un immense fleurdelysé, une toile de fond percutante pour les images télévisées du premier ministre. C’était la première fois, hier, que l’énorme drapeau, de 24 pieds sur 16 pieds, était déployé. Et ce n’est sûrement pas la dernière.

Justin Trudeau fait des annonces devant un unifolié trois fois plus grand, a-t-on fait valoir dans l’entourage de M. Legault. La stratégie est à l’origine américaine : Barack Obama et Donald Trump ont aussi souvent fait des discours entourés de militants.

Vérification faite, Trudeau a souvent fait des discours devant un auditoire local, rassemblé dans un « town hall », un lieu communautaire, mais il s’agissait de citoyens qui avaient à s’inscrire pour avoir une place dans la salle. Jamais on n’a réservé ces discours à un parterre de partisans. Jamais non plus Trudeau n’aura fait d’annonces liées au budget ou à la situation économique canadienne en dehors du parlement, assure-t-on à son cabinet.

Ces annonces gouvernementales avec auditoire « partisan » restent manifestement l’apanage des conservateurs. Sans égard aux élus de la Chambre des communes, l’ex-titulaire des Finances Jim Flaherty dévoilait couramment ses mises à jour économiques en région, hors de l’atteinte de la presse parlementaire.

À Québec hier, c’était la première fois que le premier ministre accaparait les projecteurs pour une publication de la synthèse des opérations financières, habituellement le territoire exclusif du ministre des Finances.

Deux ex-conseillers de M. Harper sont d’ailleurs dans l’entourage du chef caquiste : Carl Vallée et Catherine Loubier. En Ontario, Doug Ford a adopté la même formule, à l’instigation de la conseillère Jennie Byrne, une autre proche de l’ancien premier ministre Harper. Aux premiers points de presse du premier ministre Legault, d’autres similitudes évidentes : le temps était compté et les journalistes, limités à une seule question.

En campagne électorale, la même stratégie : marteler qu’on a quelques priorités, cinq pour M. Harper, trois pour François Legault, tout en y allant d’annonces ciblées pour des clientèles bien identifiables sur le baromètre des sondeurs. Les propriétaires d’armes à feu à Ottawa, les parents d’enfants qui connaissent des difficultés d’apprentissage à Québec.

Dans la campagne de 2015, Stephen Harper avait mis de côté les priorités ciblées. Un seul cheval de bataille : la lutte contre le déficit devant les libéraux, incontrôlables dépensiers. Après 10 ans de pouvoir, ses derniers rassemblements étaient désolants ; des parodies de The Price is Right !, un jeu-questionnaire où les questions lui permettaient de pourfendre le programme libéral.

Legault est en tout début de mandat, encore loin de ces dérives.

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