Nathaniel Mah

Le dernier des Mohicans

INNSBRUCK, Autriche — Ce n’était pas la meilleure journée pour visiter le Bergisel, fameux tremplin de saut à ski qui surplombe Innsbruck. Avec la pluie et les nuages, impossible d’admirer la tour redessinée en 2002 par la célèbre architecte Zaha Hadid, où passe chaque année la Tournée des quatre tremplins durant le temps des Fêtes.

Trois épreuves des Championnats du monde de Seefeld s’y sont tenues la semaine dernière, dont la portion du grand tremplin pour le combiné nordique. L’équipe canadienne y était au grand complet. Elle ne compte qu’un seul membre, Nathaniel Mah, une sorte de dernier des Mohicans.

« Je suis peut-être le dernier athlète de combiné nordique canadien pour les prochaines décennies », constate l’Albertain de 23 ans, un peu surpris de trouver un journaliste sur son chemin après son saut de 107,5 m.

Originaire de Calgary, Mah passait chaque jour devant les tremplins du Parc olympique, héritage des JO de 1988. Quand ses parents l’amenaient glisser là, il jetait un coup d’œil intéressé aux rampes. « Un jour, quand il avait 4 ans, il m’a regardé et m’a dit : “C’est ce que je vais faire” », raconte sa mère, Wendy Mah, rencontrée par hasard à l’entrée du Bergisel.

Le petit Nathaniel a commencé deux ans plus tard, d’abord en sautant des bosses en ski alpin, puis en s’envolant sur de véritables sauts, de plus en plus en haut.

Comme tous les débutants, il pratiquait également le ski de fond, l’autre discipline du combiné nordique. À 13 ans, il a choisi de rester dans le combiné plutôt que de se diriger vers le saut à ski, comme la plupart de ses collègues.

En 2012, il a représenté le Canada aux Jeux olympiques de la jeunesse, tenus justement à Seefeld, où il a gagné une médaille de bronze à l’épreuve par équipes. Le même hiver, il a pris part aux Mondiaux juniors, première de trois participations (31e en 2014).

À l’époque, le Canada avait une équipe senior complète de huit membres. Aujourd’hui, il ne reste plus que Nathaniel Mah.

Combiné nordique Ski Canada, présidé bénévolement par Andy Mah, le père de Nathaniel, tire le diable par la queue.

« On est la seule fédération olympique d’hiver au Canada qui ne reçoit aucun financement de Sport Canada. Je n’ai pas de brevet. On reçoit un peu d’aide de Sports de neige Canada et c’est tout. On s’organise avec des campagnes de financement, l’aide de mes parents et je travaille quand je peux dans un magasin de souliers de course à Canmore. »

— Nathaniel Mah

Il y a deux ans, la piste de ski de fond a été fermée au Parc olympique. Cet hiver, les deux tremplins ont subi le même sort. Les tremplins olympiques de Callahan Valley, près de Whistler, où ont eu lieu les JO de 2010, servent de façon épisodique pour des compétitions, et encore. Il n’existe plus de lieu pour s’entraîner en saut à ski au Canada.

Nathaniel Mah s’inquiète pour la relève et se demande si son sport va survivre. « Ça empire chaque année. On ne peut pas descendre plus bas, mais au moins, on avait un tremplin à la maison, avec de jeunes athlètes qui pouvaient se développer. Maintenant, c’est fini. Je me sens un peu seul et c’est triste de voir où le sport s’en va. C’est l’un des sports originaux des Jeux olympiques. Comment ne pas aimer ça ? Tu es actif, tu peux montrer que tu as du courage en sautant à ski, ce qui est un élément très différent. »

« Ça aurait pu être pire »

Après s’être entraîné avec l’équipe américaine l’an dernier, avec ses compatriotes de saut à ski, Nathaniel Mah a embauché un entraîneur slovène, Gasper Bartol. Il passe l’hiver à Planica, participant à des épreuves de la Coupe continentale. Il se débrouille avec les moyens du bord, offrant bières ou sirop d’érable aux techniciens d’autres pays qui fartent ses skis.

À Seefeld, l’équipe canadienne de ski de fond lui a gracieusement préparé son équipement. Auteur d’une course « très moyenne », il a dégringolé au 50e rang. « C’est loin d’avoir été ma meilleure course, mais ça aurait pu être pire », dit celui qui n’avait pas terminé après avoir fait une chute aux Mondiaux précédents, en 2017. Il est plus sauteur que skieur.

Jeudi, le Canadien n’a pas pris le départ du tremplin normal. Il était déjà retourné en Slovénie, faute d’argent pour se payer une chambre à Seefeld.

Après avoir touché le fond l’hiver dernier, Mah a envisagé la retraite. Il a décidé de continuer, simplement pour voir jusqu’où il peut aller. « Je ne cours plus après le rêve olympique, je le fais pour moi. Je ne veux pas arrêter parce qu’il n’y a plus de tremplin au Canada, pas de soutien financier ou quoi que ce soit. Je veux quitter le sport quand je saurai que j’ai fait ce que j’avais à faire. »

À la fin de l’entrevue, une dame qui se trouvait dans les gradins s’est penchée en tendant un drapeau canadien. Nathaniel Mah l’a signé, puis s’en est allé, ses longs skis sur les épaules. La solitude du coureur de combiné nordique canadien.

Dopage du skieur Max Hauke

« Voir ça, sérieusement, ça donne quasiment des frissons », dit Harvey 

SEEFELD, Autriche — Comme tout le monde, Alex Harvey a été choqué de voir les images de l’Autrichien Max Hauke, l’air piteux devant les policiers qui le filmaient, une aiguille dans le bras, reliée à une poche de sang.

« Voir ça, sérieusement, ça donne quasiment des frissons. Je me faisais des images dans ma tête, j’avais lu un peu là-dessus, le livre [du cycliste] Tyler Hamilton, mais de le voir, c’est comme surréaliste. Leur hôtel est là, je suis passé devant en joggant hier soir… »

Assis à la salle à manger de son hôtel, après le relais vendredi après-midi, Harvey n’en revenait pas encore des derniers développements entourant le raid survenu mercredi aux Championnats du monde de Seefeld.

Jeudi soir, une courte vidéo montrant Hauke, en plein processus de dopage sanguin, a d’abord été diffusée par la télévision norvégienne, avant de faire le tour du monde. L’extrait, probablement un élément de preuve pour un procès criminel à venir, a été retiré vendredi, et la personne à l’origine de la fuite, démise de ses fonctions.

Mais pour Hauke, et par extension son pays, qui se faisait une fierté d’accueillir les Mondiaux de ski nordique, le mal était fait.

Harvey, lui, s’en réjouissait.

« La honte, être embarrassé, c’est l’une des plus grosses punitions que tu peux avoir. Sa face est partout dans le monde du ski. Tu vois ça et tu te dis : "ayoye, il est là-bas, cr… Il se mettait ça dans le bras la veille de la course !" »

— Alex Harvey

En plus de Hauke et de son compatriote Dominik Baldauf, qui sont aussi des cadets de la police, le Kazakh Alexey Poltoranin et les Estoniens Karel Tammjarv et Andreas Veerpalu ont été arrêtés et suspendus indéfiniment, par la fédération autrichienne pour les deux premiers et par la Fédération internationale de ski pour les trois autres. Ils ont tous été relâchés après avoir admis s’être dopés, selon les procureurs.

Une quarantaine de poches de sang et du matériel associé au dopage ont été saisis, selon le journal allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung, dans le cadre de cette rafle, qui a mené à l’arrestation du médecin allemand Mark Schmidt. Impliqué dans plusieurs sports, ce dernier était le médecin de l’équipe cycliste Gerolsteiner à l’époque où l’Autrichien Bernard Kohl a subi un test positif au Tour de France 2008.

« Je suis content que leur face sorte, a poursuivi Harvey. Sérieusement, les Autrichiens ne sont pas si bons que ça. Ils font ça dans quel espoir ? Poltoranin, c’est aussi croche, mais il a fait de l’argent dans la vie. Les Autrichiens font ça et, là, c’est une honte nationale. Tant pis pour eux, tant mieux pour nous. »

Le dopage sportif étant considéré comme une forme de crime financier en Autriche, les athlètes s’exposent à des peines de prison pouvant aller jusqu’à trois ans, selon certains médias. « C’est plus gros qu’être suspendu, a estimé le champion mondial du 50 km. Tu es poursuivi au criminel. Pour une fois, le système gagne, j’ai l’impression. »

Plus tôt dans la journée, Harvey avait eu une conversation par FaceTime avec sa mère, Mireille Belzile, médecin du sport. Celle-ci lui a raconté qu’à l’époque où elle accompagnait son ex-mari Pierre Harvey sur la Coupe du monde, la réinjection de sang se pratiquait au vu et au su de tout le monde par certains.

« Elle m’a dit que, chez les Finlandais, c’était monnaie courante dans les années 80. Tu marchais dans le couloir de l’hôtel, et ils se faisaient des transfusions sanguines la porte ouverte… L’une des Finlandaises se faisait surnommer Bloody Mary. C’était légal. C’était ton sang que tu t’injectais. Maintenant, la méthode est interdite. »

En conférence de presse, l’Estonien Tammjarv a admis avoir commencé le dopage sanguin aux Mondiaux de 2017 sur la recommandation de l’entraîneur Mati Alaver, qui lui a présenté le Dr Schmidt. Il l’a ensuite revu à Berlin et à Francfort. Veerpalu et son père, Andrus, double champion olympique qui a subi un test positif avant de s’en tirer en arbitrage, ont fait faux bond à Tammjarv, qu’ils devaient accompagner devant les journalistes.

Le Norvégien Trond Nystad, à la tête du ski de fond autrichien depuis 2016, a pour sa part démissionné, dégoûté par les derniers événements. Les Mondiaux de Seefeld se termineront dimanche sous un gros nuage noir.

« Les jambes étaient légères »

Malgré des ennuis techniques en classique, Alex Harvey est satisfait de son dernier test avant le 50 kilomètres de dimanche. Chargé de la première portion du relais 4 X 10 km, le fondeur de Saint-Ferréol-les-Neiges visait surtout à faire un effort intense dans un peloton relevé. À l’aise en montée, il n’a pas été en mesure de répondre à l’attaque du Russe Andrey Larkov dans le troisième et dernier tour d’une course disputée sous la pluie battante. « Je me sentais bien, mais dans les faux plats en double poussée, je ne sais pas pourquoi, je manque de timing, comme ça a été le cas toute l’année, a analysé l’auteur du septième temps. Sinon les jambes étaient légères, c’est ça le positif. » Le quatuor canadien, complété par Scott Hill, Evan Palmer-Charrette et Len Valjas, a terminé au 12e rang, à plus de sept minutes des gagnants, une légère déception.

Klaebo se moque d’Ustiugov

Annoncé comme un duel à finir entre Johannes Hoesflot Klaebo et Sergey Ustiugov, qui s’étaient colletés la semaine dernière au sprint par équipes, le relais s’est finalement conclu sans suspense. Le Norvégien a déposé le Russe sans réponse dans la descente avant le tour ultime, menant son pays à un 10e titre consécutif dans cette épreuve de prestige. « Klaebo s’est amusé avec moi comme avec un petit enfant », a reconnu Ustiugov, vidé après l’effort. Ce sont les Français qui ont célébré le plus fort, grâce au sprint ultime de Richard Jouve, qui lui a permis de devancer son rival finlandais.

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