HISTOIRE

MARCHÉ JEAN-TALON
Petite histoire du « ventre de Montréal »

Il y a 85 ans, la plupart des marchés publics montréalais étaient situés dans ce qu’on appelait alors le « bas de la ville »… c’est-à-dire là où se croisaient les ouvriers d’origine rurale et les immigrants fuyant leur pays d’origine.

Ils avaient en commun de ne pas dédaigner l’ambiance de ces marchés foisonnants de viandes, poissons, fruits et légumes frais. Pourtant Montréal, étant destiné à s’étendre, a éliminé ceux qui dérangeaient et en a créé de nouveaux, dont le célèbre marché Jean-Talon, conçu pour l’ensemble des résidants de l’île qui apprirent à s’y rendre et qui veulent encore en profiter.

Même si le gros des travaux a été achevé en 1936, le marché a été officiellement inauguré le 27 mai 1933. Il a d’abord porté les noms de marché du Nord et de marché Shamrock et, après qu’il a vieilli, on l’a surnommé « village de cabanes ». 

Le KraCh de 1929

Au lendemain du krach du 24 octobre 1929 qui a entraîné l’Occident dans l’une des pires crises économiques de l’histoire, le chômage s’installe. Au Québec, la voix des édiles politiques et religieux invite les malheureux chômeurs à quitter les villes pour aller piocher des terres lointaines. Les mêmes influenceurs auront plus de succès avec les programmes de travaux publics subventionnés par les gouvernements fédéral et provincial.

Le Québec s’enrichira de nombreux édifices publics. À Montréal, ouvriers et employés municipaux travailleront à l’unisson pour créer le Jardin botanique, redessiner l’île Sainte-Hélène et le lac aux Castors, redonner du lustre au parc La Fontaine ainsi qu’au réseau des marchés publics de Montréal.

Le XIXe siècle a vu naître et mourir plusieurs grands marchés publics : Sainte-Anne, Viger, Papineau, Saint-Gabriel et les marchés à foin, ancêtres des stations-service contemporaines.

Jusqu’en 1930, cinq marchés de denrées comestibles se sont partagé une clientèle fidèle : Bonsecours, Saint-Laurent, Saint-Jacques, Saint-Jean-Baptiste et Maisonneuve. La crise économique oblige toutefois Montréal à repenser la vocation de ces places publiques qui s’échelonnaient sur une ligne perpendiculaire au fleuve Saint-Laurent.

Or, l’expansion du territoire montréalais, la cascade d’annexions des petites municipalités qui l’émaillent, l’expansion du réseau routier et la motorisation des transports ont entraîné le développement du centre et du nord de l’île. L’industrialisation a, quant à elle, accéléré la densification de la population ouvrière à proximité des usines et des petits commerces de l’est et de l’ouest de la vieille ville. De ces secteurs en expansion émanent régulièrement des pétitions de citoyens qui revendiquent le droit de s’approvisionner en produits agricoles frais.

Les travaux subventionnés vont conduire à la rénovation des marchés Saint-Jean-Baptiste, Maisonneuve et Saint-Jacques ; à la destruction du marché Saint-Laurent et à l’abandon du marché Bonsecours. Ces deux derniers seront remplacés par le marché Atwater, inauguré au mois d’avril 1933, et par le marché Jean-Talon, inauguré le 27 mai suivant.

Le marché Jean-Talon, qui porte en fait le nom de marché du Nord, naît donc en pleine crise économique.

À la fin de l’automne 1931, le conseil municipal autorise l’établissement d’un marché public dans un quartier en pleine expansion formé d’une partie des quartiers Laurier, Ahuntsic et Bordeaux. Des rues le quadrillent, d’autres sont planifiées, mais un seul quadrilatère semble convenir. Il s’agit du terrain de l’ancien parc et piste de course Shamrock, qui appartient à la Ville et qui a été converti en terminus d’autobus. La ville exproprie ce terrain et complète le quadrilatère en achetant les bandes de terre bornant les rues Casgrain et Henri-Julien.

Au printemps 1932, la société Frenette Frères Limitée décroche le contrat de construction d’un chalet pour le « marché du Nord » au prix de 60 000 $. En 1934, avant même qu’il soit terminé, la ville confie à C. Perluzzi Construction la réalisation des premiers abris, l’installation des égouts ainsi que le pavage des allées et des trottoirs. Quand les premiers marchands s’y installent, il n’est écrit nulle part qu’il est destiné à l’usage exclusif des résidants du quartier. Bien au contraire, il est le ventre de Montréal, un rôle qui sera accentué par la fermeture des vieilles halles.

Réservé aux cultivateurs

Semblable aux autres marchés montréalais de l’époque, le marché du Nord est exclusivement réservé aux cultivateurs, soit aux producteurs des paroisses agricoles de l’île, dont Saint-Laurent, Saint-Léonard-de-Port-Maurice, l’île Bizard et l’ouest de l’île ; à ceux de l’île Jésus et de la Rive-Sud. Les denrées cueillies à l’aube dans les Laurentides et Lanaudière sont livrées quelques heures plus tard à la gare du Mile End.

Il répond aux besoins d’une clientèle mixte, formée de Canadiens d’origine française et européenne, qui réclame des produits frais, en particulier volailles et lapins qui sont vendus vivants, abattus sur place selon les méthodes courantes ou le rituel casher et enveloppés dans du papier journal. Viandes, fruits et légumes, marinades ou confitures, l’origine des produits est toujours la même : on ne vend que des aliments du Québec, artisanat compris ! Les transactions sont libres de taxes directes, la seule règle imposée aux producteurs accrédités consiste à payer les taxes municipales et leur place au marché.

La renommée du marché, comme centre de distribution de produits régionaux, demeure intacte jusqu’à la fin des années 50 quand un groupe de compétiteurs bien particulier vient fouetter le sang des producteurs, déclencher une drôle de guerre et propulser à près de 400 le nombre de marchands représentés. Il s’agit de résidants d’origine italienne surtout, qui profitent du potentiel des arrière-cours et des garages des maisonnettes situées dans les rues Mozart et Jean-Talon, pour y installer un marché périphérique.

Ces nouveaux marchands de fruits et de légumes échappent aux règlements qui encadrent l’institution et ils ne feront pas partie de la Corporation du marché Jean-Talon qui l’administre aujourd’hui, mais leur présence et les produits importés qu’ils réceptionnent et vendent ont fini par s’intégrer au marché du Nord.

L’ouverture du marché Métropolitain ou marché Central, en 1960, assène un autre coup aux producteurs dont la prospérité est sérieusement menacée par l’interdiction de vendre les animaux vivants sur les places publiques. En 1961, l’édifice principal du marché, le « chalet », est fermé. On y installe une succursale de la bibliothèque de Montréal. En 1978, la plupart des abris du marché du Nord tombent en ruine. C’est pourtant l’heure choisie par les Montréalais pour redécouvrir les marchés publics et pour partir en croisade dans le but de les sauver. 

Le 7 avril 1982, le marché du Nord reçoit officiellement le nom de marché Jean-Talon. 

En novembre de la même année, on entreprend des travaux de réaménagement et on impose une première entrave à l’accès au marché, les parcomètres ! Mille autres petites décisions auront pour effet de réduire de quelques centaines les places de stationnement autour du marché et dans la Petite-Italie et d’inquiéter ceux qui nourrissent les Montréalais.

1950-1955

On y trouve plus de 400 étals différents.

1961

L’édifice principal du marché, le « chalet », est fermé ; une succursale de la bibliothèque municipale de Montréal s’y installe.

1976-1977

Les abris et étals tombent en ruine.

1979

Ouverture du marché aux fleurs.

7 avril 1982

Le marché du Nord reçoit le nom de marché Jean-Talon.

Novembre 1982

Approbation des budgets destinés au réaménagement du marché.

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