Soins médicaux aux patients psychiatriques

Une crise majeure à Québec

Les patients psychiatriques de Québec ont droit à des soins physiques, Docteur Barrette. Pourtant, le 16 mars prochain, à compter de 16 h, l’omnipraticien de garde à l’Institut universitaire de santé mentale de Québec (IUSMQ) sera au bout d’une pagette et non plus présent sur place. 

L’Institut universitaire en santé mentale de Québec, avec ses 320 lits, est le plus gros hôpital psychiatrique du Québec. De plus, alors que débute la construction du nouveau CHU de Québec, l’IUSMQ est appelé à accueillir 20 nouveaux lits d’admission en juin prochain, en provenance de l’Hôpital de l’Enfant-Jésus.

Nous vivons actuellement une crise majeure des effectifs en omnipratique à l’IUSMQ. En mai prochain, il ne restera que quatre omnipraticiens dans notre service, dont trois à temps partiel et un en invalidité. Cette crise est provoquée par le départ à la retraite de trois des quatre médecins les plus âgés de notre service. Ces trois départs, dont deux ont déjà été retardés de plusieurs mois, auront lieu en mars, avril et mai. 

Cette crise, prévisible et annoncée depuis des années, a été aggravée par quatre autres départs depuis mai 2017, cette fois vers d’autres secteurs ou lieux de pratique. Les administrateurs en place sont paralysés par la rigidité des règles administratives entourant le recrutement d’omnipraticiens dans la région de la Capitale-Nationale, dite région 03. Ces règles sont élaborées par le ministère de la Santé et des Services Sociaux. Vous possédez, Monsieur le ministre, le pouvoir discrétionnaire de les assouplir face à une situation criante.

Les plus vulnérables

Cette pénurie a des effets qui dépassent largement le secteur de la garde. Les soins quotidiens aux patients psychiatriques en subiront les contrecoups dans trois semaines. Nous sommes entre autres dans l’obligation de rationaliser les tournées dans les unités, de cesser le soutien aux équipes dans la communauté et de nous délester des patients externes que nous suivons en tant que médecins de famille pour nous concentrer sur les soins aux patients hospitalisés. 

Nous laissons ainsi dans l’embarras des gens extrêmement vulnérables, psychotiques chroniques multipathologiques, déficients intellectuels avec troubles du comportement, sans-abri vivant dans la misère. 

Nous savons aussi que, dans la région de Québec, 3000 personnes présentent des problèmes de santé mentale et vivent dans la communauté sans médecin de famille. Et ils ont peu de chances d’en trouver.

Parmi les patients hospitalisés à l’IUSMQ, on dénombre 60 personnes présentant des problèmes chroniques, graves de santé mentale et de mobilité rendant difficiles des consultations dans le réseau. Ces personnes sont « captives » de l’IUSMQ. Sans compter les 38 patients détenus légalement entre nos murs qui ne peuvent circuler qu’accompagnés d’un agent de la paix. À cette autre clientèle captive s’ajoute la clientèle « flottante » des patients psychotiques qui sont temporairement privés de leur droit, placés en garde préventive ou sous ordonnance de soins ou d’hébergement. 

Nous avons ici affaire aux personnes les plus souffrantes et vulnérables de la société : elles sont en proie à une crise psychologique majeure et ne jouissent pas de leurs pleins droits.

Ces personnes ont droit à des soins physiques, Docteur Barrette, de même que les 50 personnes hospitalisées au site de l’hôpital du Saint-Sacrement dont les problèmes physiques doivent être assumés, le soir et la fin de semaine, par leur psychiatre traitant. La pratique moderne de la psychiatrie requiert la présence, au sein des équipes multidisciplinaires, d’un omnipraticien. Devant un patient confus, léthargique ou agité, il est impératif d’éliminer la cause physique. C’est la base de la pratique en psychiatrie. Il faut aussi prévenir et traiter les maladies chroniques, cardiovasculaires entre autres, et les complications de toutes sortes qui affligent les personnes présentant des problèmes de santé mentale et réduisent considérablement leur espérance de vie.

Force est de constater que l’IUSMQ, parmi les trois grandes institutions psychiatriques du Québec, avec l’Institut universitaire en santé mentale de Montréal (IUSMM) et l'Institut universitaire en santé mentale Douglas, fait désormais figure de parent très pauvre. 

La région de Québec vit une situation indéfendable sur les plans administratif et surtout éthique : l’écrasante majorité des patients psychiatriques sont dirigés vers un hôpital qui ne jouit d’à peu près aucun soutien en spécialité, où les omnipraticiens se compteront sous peu sur les doigts d’une seule main, où il n’y pas de radiologie en dehors des heures ouvrables, etc.

Une société est jugée sur la façon dont elle traite ses personnes les plus vulnérables. Au nom des 320, bientôt 340, personnes hospitalisées au site de l’IUSMQ du CIUSSS de la Capitale-Nationale, au nom des 3000 patients psychiatriques orphelins dans la communauté, au nom des 450 personnes traitées par les équipes de suivi dans le milieu, au nom des 50 patients de psychiatrie du site Saint-Sacrement, nous vous demandons, Docteur Barrette, d’agir et de nous permettre de recruter dès maintenant, avant que la situation ne se dégrade davantage.

* Signataires : Réal Bertrand, Jérôme Charest, Jacinthe Lambert, Rodrigue Paradis, René Pineau et Réjean Robitaille, omnipraticiens.

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