Chronique

Au secours, on manque d’argent !

Chaque fois que j’écris que les ménages devraient avoir un coussin de sécurité de trois à six mois de salaire, je reçois une tonne de briques de la part de lecteurs qui m’accusent de les culpabiliser inutilement.

« Si le salaire moyen est de 45 000 $ par année, cela fait de 13 000 $ à 23 000 $ de coussin par citoyen ! » m’écrivait récemment Emmanuelle.

« Honnêtement, je ne connais absolument personne ayant une telle somme en banque. C’est déjà beau de n’avoir aucune dette, de vivre selon ses moyens et d’économiser raisonnablement pour ses projets et sa retraite », enchaînait la dame en me reprochant d’être alarmiste.

Je comprends qu’amasser un tel coussin financier est loin d’être aisé, mais cela n’en demeure pas moins souhaitable.

« Si le frigo lâche, ce n’est pas une option de le réparer ou non », illustre Ronald P. Gagnon, premier vice-président de la firme de conseil en redressement financier BDO.

« Quand on n’a pas d’épargnes, on tombe automatiquement à crédit. Avec les intérêts, on finit par payer le frigo deux fois le prix. Et à cause du service de la dette, il nous reste moins d’argent pour payer nos dépenses. C’est un cercle vicieux », dit-il.

En fait, le crédit donne l’illusion d’avoir plus d’argent dans ses poches. Mais plus on l’utilise et plus on est coincé.

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Malheureusement, la moitié des consommateurs ne sont pas préparés à faire face à des coûts imprévus, révèle un sondage diffusé par BDO ce matin.

Pire : le tiers des Canadiens avouent ne pas avoir assez d’argent pour acheter tout ce dont ils ont besoin. Et plus de la moitié affirme que les revenus de leur ménage sont à peine suffisants pour assurer leur train de vie.

Décidément, il n’y a pas beaucoup de monde qui est au-dessus de ses moyens !

Sondage après sondage, on constate que les Canadiens sont pris à la gorge. « Et ce ne sont pas seulement des gens à faibles revenus », insiste M. Gagnon.

Pratiquement le quart des consommateurs avouent même que leurs dettes sont à ce point accablantes qu’ils ne savent plus quoi faire. Ils sont figés ! Comme le chevreuil sur la route en voyant les phares de l’auto fonçant sur lui.

En moyenne, les consommateurs ont des dettes de 19 977 $, sans compter leur hypothèque. Ce montant est encore plus élevé au Québec (20 134 $).

Les jeunes et les femmes sont les plus étouffés. Près d’un « millénial » sur cinq (18 %) affirme avoir reporté le projet d’avoir des enfants à cause de sa situation financière difficile.

Mais les familles et la génération X (35 à 54 ans) ont aussi des difficultés. Parmi ceux qui ont des dettes, trois sur cinq admettent traîner un solde sur leur carte de crédit. Se faisant, ils paient 20 % d’intérêt sur tous leurs achats. Un poids immense sur leur budget.

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Pourtant, l’économie est en croissance depuis 10 ans. Le marché du travail tourne à plein régime. Qu’est-ce que ça sera lorsqu’une récession se pointera le bout du nez ? Lorsque la hausse des taux d’intérêt se fera réellement sentir davantage ?

Depuis un an, la Banque du Canada a relevé son taux directeur de 100 points de base. Mais cela n’a pas encore eu trop de répercussions sur les ménages. Le taux d’intérêt effectif moyen n’a progressé que de 31 points, soit de 3,94 % à 4,25 %, rapporte Benoit P. Durocher, économiste principal au Mouvement Desjardins.

Cela s’explique par le fait que bien des ménages ont une hypothèque à taux fixe. Ils ressentiront la hausse uniquement lors de leur renouvellement.

Mais déjà, le poids du service de la dette est remonté tout près d’un niveau record, à 14,15 %. Il s’agit du rapport entre le remboursement des obligations des ménages (capital et intérêt) et leurs revenus disponibles.

Or, la hausse des taux d’intérêt n’est pas terminée. Les économistes s’attendent à d’autres augmentations de 100 points d’ici 2020, dont une dès la fin d’octobre.

« Dans ces conditions, le service de la dette fracassera bientôt de nouveaux records historiques », avance M. Durocher.

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Alors de grâce, n’attendez pas qu’il soit trop tard pour prendre vos dettes en main et vous donner un peu de marge de manœuvre.

« Il faut être capable de résister aux tentations, ce qui est un gros défi dans notre société », admet M. Gagnon.

Mais certaines dépenses peuvent être reportées, comme des vacances dans le Sud. D’autres peuvent être amoindries, comme les paiements automobiles si vous optez pour un modèle plus économique… et écologique.

Pour donner de l’air à votre budget, il est possible de diminuer vos paiements d’intérêts en réaménageant vos dettes.

Toutefois, ne succombez pas à la mode des transferts de solde sur une nouvelle carte de crédit qui sont davantage un piège qu’une bouée de sauvetage.

Vaut mieux consolider vos dettes sur une marge de crédit ou en refinançant votre maison, tout en prenant soin de déchirer vos cartes de crédit pour ne pas recommencer de plus belle par la suite.

Parfois, M. Gagnon épaule des consommateurs qui ont plus de 10 cartes dans leur portefeuille. « Je vous dis qu’il y en a du plastique en circulation ! »

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