Dénonciation indue de Noirs au 911

Phénomène nouveau ou historique ?

NEW YORK — De Philadelphie à New Haven en passant par Oakland, les incidents semblent se multiplier. Mais les appels au 911 effectués par des Blancs pour dénoncer des Noirs sans raison valable constituent-ils vraiment un phénomène en croissance aux États-Unis ?

Vesla Mae Weaver, professeure de sociologie à l’Université Johns Hopkins, avoue ne pas pouvoir répondre à cette question de façon catégorique, mais elle ose une hypothèse inspirée de ses recherches sur la persistance des inégalités raciales devant la police et la justice américaines.

« Personne n’a étudié ce type d’appels au 911 sur plusieurs années. Il est donc impossible de dire avec certitude si le phénomène est constant ou en croissance. Mais je peux conjecturer. »

— La professeure Vesla Mae Weaver

« Je peux conjecturer qu’il n’y a rien de nouveau dans ce phénomène, compte tenu de ce que nous savons de l’utilisation de la police à travers l’histoire pour faire respecter les frontières raciales – comme méthode et mécanisme de contrôle racial. Ça fait longtemps qu’il suffit, pour voir arriver la police, qu’un Blanc appelle et accuse un Noir d’avoir franchi une certaine frontière raciale, qu’il ait agi de façon illégale ou non », a ajouté Velsa Mae Weaver, coautrice de plusieurs ouvrages, dont Arresting Citizenship : The Democratic Consequences of American Crime Control.

Davantage médiatisés

Ce qui a peut-être changé, cependant, c’est la technologie qui permet de divulguer et de dénoncer des incidents qui demeuraient autrefois inconnus de la grande majorité du public américain.

« Il est possible que nous entendions parler davantage de ces incidents parce que les gens ont aujourd’hui la technologie pour les documenter et les réseaux sociaux pour les rendre viraux, a déclaré la sociologue. C’est un peu comme ces arrestations de Noirs qui tournent mal et dont on entend parler aujourd’hui parce qu’ils ont été filmés. Cela ne veut pas dire que de telles choses arrivaient moins souvent avant. »

Cinq cas récents

Trois documentaristes à Rialto

Le 30 avril, trois documentaristes noirs, dont la petite-fille de Bob Marley, quittent un appartement loué sur Airbnb à Rialto, dans le sud de la Californie. Après avoir rangé leurs valises dans le coffre arrière de leur voiture, ils se mettent en route. Or, à peine quelques secondes plus tard, ils sont entourés par sept voitures de patrouille et surveillés par un hélicoptère de police. Ils apprendront plus tard qu’une voisine blanche a appelé le 911, les soupçonnant d’être des cambrioleurs. Le service de police de Rialto affirme que ses agents ont réagi de façon appropriée et polie. Les documentaristes ont néanmoins annoncé leur intention de poursuivre le service.

Une étudiante à Yale

En allumant la lumière de la salle commune de son dortoir à l’Université Yale, le soir du 8 mai, Sarah Braasch, étudiante blanche, aperçoit une étudiante noire endormie dans un fauteuil. Elle appelle la police du campus. Quatre agents se présentent et demandent à l’étudiante noire de prouver son identité. « J’ai le droit d’être ici », répond Lolade Siyonbola. « Je paie mes droits de scolarité comme tout le monde. Je n’ai pas à justifier ma présence ici. » L’étudiante blanche dira plus tard qu’elle ne connaissait pas Siyonbola, ce que celle-ci niera. Le président de Yale, Peter Salovey, s’élèvera de son côté dans un courriel contre le racisme, les préjugés et la discrimination.

Cinq golfeuses à York

L’histoire se déroule sur un terrain de golf privé de York, en Pennsylvanie, le 21 avril dernier. Cinq golfeuses afro-américaines, membres d’un groupe appelé Sisters in the Fairway, pratiquent leur sport favori. Mais tout le monde ne s’amuse pas. Les propriétaires blancs du club rejoignent les golfeuses et les informent qu’elles ne jouent pas assez vite. Ils vont jusqu’à leur offrir de racheter leurs cartes de membre si elles quittent le terrain. Après avoir essuyé le refus de ces dames, un des propriétaires appelle le 911. Une des golfeuses filme l’intervention. L’affaire se retrouve dans le journal local et sur les réseaux sociaux. Plus tard, les golfeuses attribueront l’incident non seulement au racisme, mais également au sexisme.

Un père de famille à Washington

Pour prendre soin de son fils Caleb, qui fait un peu de fièvre, Donald Sherman prend congé, en ce 10 mai 2018. Au milieu de la journée, ce jeune avocat installe Caleb dans sa poussette et se rend dans un parc de Washington. Soudain, une voiture identifiée « Special Police » klaxonne et s’approche de lui. L’agente de sécurité l’informe sur un ton sympathique qu’elle a reçu une plainte de quelqu’un lui ayant signalé qu’un « homme suspect » marchait dans le parc avec un bébé. Sherman soupçonne une cycliste blanche, croisée plus tôt, de l’avoir « dénoncé ». De retour chez lui, il raconte l’histoire sur Facebook et conclut : « Si la plainte avait été faite à un autre agent de sécurité ou à un policier, les choses auraient pu finir d’une façon très différente. »

Deux amis à Oakland

Le parc qui borde le lac Merritt, à Oakland, compte six barbecues dont seulement trois permettent l’utilisation de briquettes de charbon. Tout le monde s’entend aujourd’hui pour dire qu’Onsayo Abram et son ami Kenzie Smith n’ont pas respecté le règlement mal affiché, le 29 avril dernier. Mais plusieurs Américains se demandent pourquoi une femme blanche a insisté pendant deux heures auprès des deux Afro-Américains pour qu’ils quittent l’endroit, avant d’appeler la police. Cet appel au 911, filmé par Michelle Snider, l’épouse blanche de Smith, est devenu viral. Snider émettra l’hypothèse que ce ne sont pas tant les briquettes de charbon qui ont importuné la dame que la présence de deux Noirs dans « son » parc.

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