Séisme en Haïti

Au lendemain d’un séisme qui a fait au moins 12 morts et 188 blessés, la population mesurait l’ampleur du désastre, hier, en Haïti. À Montréal, la secousse a rappelé des souvenirs douloureux à la communauté haïtienne.

Séisme en Haïti

« On n’a plus rien pour vivre »

Douze personnes sont mortes et 188 autres ont été blessées dans un séisme survenu peu après 20 h samedi dans le nord-ouest d’Haïti.

Selon le ministère de l’Intérieur, huit personnes sont mortes dans la ville côtière de Port-de-Paix, capitale du département du Nord-Ouest, trois à Gros-Morne, qui se trouve à une cinquantaine de kilomètres au sud-est de cette localité, et une à Saint-Louis-du-Nord.

Hier, une réplique d’une magnitude de 5,2 a été enregistrée dans le nord-ouest d’Haïti, causant la panique dans les rues où les services d’urgence tentaient de porter secours aux victimes du séisme de samedi. L’épicentre de la nouvelle secousse se trouvait à une quinzaine de kilomètres de Port-de-Paix, qui avait déjà été durement touchée par le séisme de samedi soir. De légères répliques ont aussi été enregistrées dans la région.

En soirée, de nombreux Haïtiens se préparaient à passer la nuit dehors, par crainte de nouvelles répliques. « Je ne me sens pas en sécurité, même dans ma maison. Je dois nous protéger, mes fils et moi », a déclaré Gary Joseph à l’Associated Press hier, alors qu’il plaçait des matelas sous un arbre pour que sa famille puisse y dormir.

Le secteur où s’est produit le tremblement de terre compte parmi les endroits les plus pauvres d’Haïti, note Samuel Pierre, professeur titulaire à Polytechnique Montréal et président-cofondateur de la Fondation Québec-Haïti pour une scolarisation universelle de qualité.

« Les routes sont en mauvais état, ce qui fait que la région est enclavée. Cela affecte l’arrivée des secours et le transport des gens et des biens. »

— Samuel Pierre, professeur titulaire à Polytechnique Montréal et président-cofondateur de la Fondation Québec-Haïti pour une scolarisation universelle de qualité

Samedi, le président d’Haïti Jovenel Moïse s’est rendu sur les lieux du séisme. « J’ai visité, entre autres, le commissariat de police de Port-de-Paix endommagé. J’ai constaté d’autres édifices de la ville qui sont détruits », a-t-il écrit sur Twitter.

Le premier ministre Jean-Henry Céant « est également sur les lieux pour superviser les équipes de secours et coordonner leurs actions », a-t-il ajouté.

De lourds dégâts

Interviewée par l’AFP, une résidante a fait part de lourds dégâts.

« Dans mon quartier, personne n’est mort, mais un enfant a été gravement blessé parce qu’un pan de mur lui est tombé dessus », a dit Rosette Jérome, une habitante de Gros-Morne, observant les opérations de déblaiement d’un centre communautaire dont le gardien a été tué.

« Toutes nos affaires qui étaient dans l’auditorium ont été écrasées sous les décombres, on n’a plus rien pour vivre. Beaucoup parmi nous ont des petits emprunts à la banque : aujourd’hui on se demande comment on va pouvoir faire pour relancer nos commerces », a expliqué la femme de 49 ans.

À Port-de-Paix, Pamelia Donné a perdu son fils dans le tremblement de terre. L’AFP l’a rencontrée alors qu’elle sortait de la petite salle chargée de brancards de l’hôpital Immaculée Conception en traînant la jambe, un pansement au pied. Quelques heures plus tôt, elle y était entrée avec le corps de son fils de 20 ans.

« Quand ça a commencé à secouer, mon enfant allait sortir de la pièce. Il a volé en l’air, voltigé, et comme les murs tombaient, il a atterri sur un fer de construction. »

— Pamelia Donné, au sujet de son fils de 20 ans, à l’AFP

« C’est entré dans son dos et c’est sorti au niveau de ses côtes. Il est mort sur-le-champ », a raconté Pamelia Donné, d’une voix atone, à l’AFP.

La faille qui a provoqué le séisme de samedi soir a le potentiel d’en provoquer d’autres encore plus puissants, dit Samuel Pierre.

« Depuis le tremblement de terre de 2010, on sait qu’Haïti est situé sur des failles en activité sur une base régulière. On sait que dans les jours qui ont précédé, notamment les 24 et 25 septembre, on a eu quelques secousses. On avait l’impression qu’il y avait une activité sismique, alors le tremblement de terre de samedi ne surprend pas beaucoup. »

« Les informations circulent »

Le tremblement de terre de 2010, qui avait fait plus de 200 000 morts et plus de 300 000 blessés dans l’île, a eu pour effet de rendre les autorités plus aptes à faire face à ce type de catastrophe, souligne M. Pierre.

« En 2010, le pouvoir central avait pris du temps à réagir. Cette fois-ci, ce n’était pas le cas. Il y a un dispositif de haut niveau qui, tout au moins dans le discours, s’est emparé de la chose et a encadré l’évènement. Il y a le service national, qui gère les risques et les catastrophes, qui s’est manifesté aussi. Les informations circulent. C’est un état d’esprit qui est totalement différent de ce qu’on avait vu en 2010. »

Béatrice Vaugrante, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone, craint pour sa part que les difficultés pour la population ne s’ajoutent à celles toujours vécues par les sinistrés de 2010.

« On sait qu’entre 40 000 et 50 000 personnes sont toujours déplacées dans le pays à cause du tremblement de terre de 2010 et vivent dans des camps. »

— Béatrice Vaugrante, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone

« Cela s’ajoute aux camps situés à la frontière sud, où vivent beaucoup de gens apatrides qui se font expulser de la République dominicaine, et aux gens déplacés par l’ouragan Matthew à l’automne 2016 », a indiqué Béatrice Vaugrante en entrevue.

Carl Boisvert, porte-parole de la division du Québec de la Croix-Rouge canadienne, signale n’avoir reçu aucune demande d’assistance de la part de la Croix-Rouge haïtienne. « On peut être appelés à intervenir sur le terrain et à fournir de l’aide, mais pour le moment nous n’avons pas eu de demande en ce sens », a-t-il dit.

— Avec l’Agence France-Presse et l’Associated Press

Séisme en Haïti

L’hôpital de Port-de-Paix sans moyens ni courant

Au cœur de la ville la plus proche de l’épicentre du séisme en Haïti, l’hôpital Immaculée Conception de Port-de-Paix peinait encore hier soir à prendre en charge des blessés, faute de moyens et à cause des dégâts dans l’établissement. Dans les minutes qui ont suivi la secousse, les blessés ont logiquement afflué vers l’établissement public, mais se sont retrouvés devant une porte close. « Il n’y avait pas d’électricité ici, donc on n’a pas pu recevoir la foule de personnes qui sont venues hier [samedi] soir, a témoigné le Dr Paul Miclaude, en s’activant hier midi au service des urgences. Ç’a été vraiment difficile pour nous de les envoyer vers un autre hôpital. Et faute de temps, certains sont morts ici. » 

— Agence France-Presse

Séisme en Haïti

La diaspora toujours marquée par « le traumatisme » de 2010

« Il y a cet arrière-goût de peur qui est tout de suite remonté au sein de la population en général. » Pierre Emmanuel, un Haïtien vivant à Montréal, a raconté à La Presse avoir eu des sueurs froides après le tremblement de terre qui a secoué le pays, lui qui a parlé avec plusieurs proches vivant en Haïti. « On n’a pas oublié le 12 janvier, a-t-il ajouté. Le traumatisme est omniprésent. »

Les membres de la diaspora haïtienne de Montréal rencontrés par La Presse sont unanimes : les événements bouleversants de janvier 2010, lorsqu’un séisme de magnitude 7 a dévasté Haïti, sont encore gravés dans la mémoire collective et le tremblement de terre survenu hier a ravivé la terreur.

« Je revoyais les morts »

Présent dans son pays d’origine il y a huit ans, quand les secousses meurtrières ont tué plus de 200 000 personnes, Claudel Saint-Izaire a dit s’être « retrouvé au 12 janvier » lorsqu’il a appris qu’un important séisme avait touché Haïti samedi. « Je revoyais les morts, je revoyais tout détruit devant moi », a raconté l’homme, avouant avoir passé une nuit très difficile.

Toute sa famille vit en Haïti. Le soir du séisme, il a pu parler à une de ses sœurs, qui réside à Port-au-Prince, pour avoir des nouvelles de ses proches.

« Là-bas, c’était la panique totale. Il y a eu une première grande secousse et ils ne savaient pas ce qui allait arriver, s’il fallait s’attendre à des secousses plus fortes. »

— Claudel Saint-Izaire

La catastrophe sismique de 2010 a laissé plus d’un million de personnes sans toit, dont plusieurs milliers vivent encore aujourd’hui dans des tentes, dans plusieurs régions du pays. « Ce sera très difficile, surtout pour eux, d’autant plus qu’il n’y a pas encore eu de vraie reconstruction depuis 2010 », dit Pierre Emmanuel.

Certains proches de François Jean-Denis sont également dans l’île. Sa famille va bien, mais il s’inquiète pour les victimes en plein cœur de la catastrophe. Le plus grand centre hospitalier de la région de Port-de-Paix, l’hôpital Immaculée Conception, à quelques kilomètres de l’épicentre du séisme, n’est plus fonctionnel. « Quand les structures nécessaires pour aider les gens sont inexistantes, c’est sûr que ça a du mal à s’organiser et ça veut dire que les gens vont souffrir », déplore-t-il.

Une peur constante

Les Haïtiens « savent très bien les risques » auxquels est exposé leur petit pays, explique M. Saint-Izaire. La vulnérabilité aux séismes de l’île qu’Haïti partage avec la République dominicaine suscite une peur constante, qui s’exacerbe chaque fois que la terre tremble.

L’ampleur du tremblement de terre de samedi ne s’apparente pas à celle du séisme de 2010, bien que 12 personnes aient perdu la vie, mais de nombreux Haïtiens craignent en permanence que le drame frappe de nouveau. « Dès qu’on parle de tremblement de terre, on s’imagine qu’on ne verra plus nos parents, que tout sera détruit, dit Claudel Saint-Izaire, avec tristesse. Moi, ça me hante. »

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