chronique

Le petit Justin, âgé de 7 ans, est atteint d’amyotrophie spinale. Jour après jour, la maladie fait son œuvre. Un nouveau médicament pourrait ralentir son cours, mais son prix est astronomique. Cri du cœur de parents essoufflés.

Trois fois le tour de la Terre

Même si Justin a 7 ans, il ne pèse que 29 livres, le poids d’un enfant de 2 ans et demi. La maladie gruge son corps, mais pas son esprit. Il est – et restera – lucide jusqu’à la fin de ses jours. Des jours qui sont comptés, car il souffre d’une maladie mortelle, l’amyotrophie spinale.

Justin a une sœur de 12 ans, Chloé, un frère de 14 ans, Gabriel, des parents dévoués, Amélie Montpetit et Jonathan Martin, et un vieux chien, Max. La famille tricotée serré vit dans une grande maison à Terrebonne.

Je suis arrivée chez eux autour de 18 h, en pleine heure de pointe familiale : souper, alimentation de Justin à la cuiller, devoirs, leçons, sortie du chien.

Amélie et Jonathan courent toute la journée, écartelés entre les soins à donner à Justin, le boulot – les deux travaillent à temps plein –, les courses, le ménage, les repas et la routine de Chloé et Gabriel qui jouent au hockey.

« On fait de la gymnastique acrobatique, dit Amélie en riant. On essaie d’avoir une vie normale. »

Mais leur vie n’est pas normale, elle est rythmée par la maladie de Justin. Chloé et Gabriel ont déjà vu leur petit frère partir en ambulance à 8 h du soir parce qu’il était bleu.

Un simple rhume devient une affaire d’État. Si Justin l’attrape, il risque la pneumonie, l’hospitalisation.

Les parents limitent leurs déplacements et évitent les arénas. Amélie ne voit pas souvent ses enfants jouer au hockey.

Dans la cuisine, Amélie me parle de leur vie de fou pendant que Jonathan fait la vaisselle et s’occupe de Justin. Il l’installe dans son fauteuil roulant devant la télévision, il le rassure et lui dit qu’il va le masser quand il va se coucher. Justin a souvent mal au dos.

Au bout de la table, penchée sur ses devoirs, Chloé écoute sa mère raconter l’histoire de son petit frère qu’elle connaît par cœur.

***

Pendant sa grossesse, Amélie sentait que quelque chose clochait. « Justin bougeait peu. Au lieu d’aller à l’hôpital, je me disais : “Voyons, Amélie, relaxe, c’est ton troisième !” »

La naissance de Justin a été cauchemardesque. Il pesait à peine deux livres et demie même s’il était à terme. Il ne respirait pas, ses poumons étaient affaissés.

Les médecins ont cherché en vain ce qui ne tournait pas rond chez Justin. À 3 ans, il ne marchait pas et il n’avait pas de tonus musculaire.

Un jour, un physiatre les a orientés vers Sainte-Justine. Le 5 septembre 2013, le diagnostic les a frappés comme une gifle au visage : amyotrophie spinale de type 2. Amélie et Jonathan sont porteurs du gène, comme 1 personne sur 40 au Québec. Ils l’ignoraient. Ils n’avaient jamais entendu parler de ce gène, encore moins de l’amyotrophie spinale.

« On est tombés des nues. C’était comme un coup de poing. Tu te dis : “C’est mortel, mon gars va mourir.” Je me revois, on est dans le corridor, on se regarde, on est tétanisés. »

De retour à la maison, Amélie s’assoit dans la cour, complètement sonnée. « J’ai pleuré ma vie. »

Elle s’est jetée sur l’internet. « C’était pas une bonne idée, tu vois les pires histoires. »

Ils avaient une « chance » sur quatre d’avoir un enfant malade. Gabriel est né, rien ; Chloé est née, rien non plus. Ils ont décidé d’avoir un petit dernier, Justin. C’est là que leur monde tranquille a culbuté.

Amélie et Jonathan ont décidé de garder Justin à la maison. Ils passent leur temps à s’ajuster, car la maladie évolue rapidement.

« Chaque jour, Justin perd des motoneurones [cellules nerveuses]. Elles envoient mal les messages aux muscles qui ne sont pas nourris. Ils finissent par s’atrophier, puis mourir. Là, on parle de tous les muscles, sans exception. »

Tous, même ceux qui permettent à Justin de respirer.

Ultimement, Justin devra subir une trachéotomie. Un tube reliera sa gorge à un respirateur. C’est la machine qui respirera à sa place.

« Quelle est son espérance de vie ?

— Il n’y en a pas. On nous dit début vingtaine. »

Justin dépérit, ses muscles le trahissent, sa capacité pulmonaire diminue. La nuit, il dort avec un masque d’oxygène.

« Depuis deux ans, son état s’est tellement détérioré, c’est épeurant. Entre le diagnostic et aujourd’hui, j’ai fait trois fois le tour de la Terre. On a connu les hospitalisations et l’entrée progressive des machines. Je suis devenue infirmière, pneumologue, neurologue, inhalothérapeute, physiothérapeute, ergothérapeute ! On se débrouille, on apprend sur le tas. »

***

Jonathan et Amélie ont prié pour que les chercheurs découvrent un médicament avant qu’il soit trop tard. Les médecins leur disaient que la recherche avançait à pas de géant. Ils se nourrissaient d’espoir. Jusqu’au jour où le miracle est arrivé : le Spinraza a été approuvé par Santé Canada.

Sauf que le Spinraza coûte cher, très cher, environ 350 000 $ par année. Un malade a besoin d’une injection… par année, sa vie durant. En décembre, l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux (INESSS) a recommandé au ministre de la Santé, Gaétan Barrette, de ne pas mettre le Spinraza sur la liste des médicaments payés par l’État. Raisons invoquées : trop cher et pas assez efficace. Le miracle s’est dégonflé.

Quand Amélie a appris la nouvelle, elle s’est effondrée. « J’ai pleuré, pleuré. »

C’était le 22 décembre, trois jours avant Noël. « La pire journée de ma vie. J’ai frappé un méchant mur. J’avais l’impression de revivre le choc du diagnostic. »

Après la peine, l’indignation et la révolte.

« On me dit que mon gars va finir dans un fauteuil, paralysé au complet, qu’il mangera plus, qu’il respirera plus, c’est ça ? Tsé, c’est pas ça que j’avais prévu dans mon plan de vie. »

— Amélie, mère de Justin

« Quand tu as le cancer, tu essaies la chimio. Pour Justin, il n’y a rien. Le temps est mon ennemi numéro 1. Je peux pas me permettre d’attendre cinq ans pour un nouveau médicament parce que mon fils continue de dégénérer. »

« Pourquoi développer des médicaments si personne peut se les payer ? J’aurais préféré qu’ils découvrent jamais ce maudit médicament là ! Si j’organise une levée de fonds ou j’hypothèque ma maison, je pourrai peut-être me le payer un an, mais après, je fais quoi ? C’est un traitement à vie. »

Amélie soupire.

« Je comprends que le médicament guérit pas et qu’il n’est pas efficace à 100 %, mais chaque jour, les motoneurones de mon fils meurent. Quand bien même ça serait juste 10 % d’amélioration, c’est un pas de plus en attendant qu’ils découvrent autre chose. »

« Le médicament coûte cher, et alors ? s’insurge Amélie. Combien vous pensez qu’il coûte, mon gars, chaque fois qu’il est hospitalisé ? Le gouvernement va payer pour le maintenir en vie ? Ça n’a pas de sens ! »

Excédée, elle cherche ses mots. « Mon gars est pas une colonne de chiffres. »

***

Justin fréquente une école pour enfants gravement handicapés, Victor-Doré. Il suit une routine d’adulte. Il se lève aux aurores, prend son autobus à 6 h 20 pour se rendre à l’école qui commence à 8 h 10. Le soir, même s’il finit à 14 h 30, il n’arrive pas à la maison avant 16 h.

La vie de Justin se déroule entre la maison, l’école et l’hôpital.

Amélie regarde l’avenir avec inquiétude.

« Je vais vieillir. Un jour, je serai plus là. Ses séjours à l’hôpital vont être plus fréquents, les opérations vont se multiplier, sa qualité de vie va diminuer. »

« Il ne deviendra pas premier ministre et il ne conduira pas un autobus, c’est certain, mais c’est pas vrai qu’il va passer sa vie à regarder le plafond, cloué dans un fauteuil. »

Cet automne, Justin a subi une opération aux genoux et à la hanche et une gastrostomie. Les médecins ont installé un tube dans son ventre qui permet de le gaver, car ses muscles de déglutition s’atrophient.

En janvier, il a passé cinq heures à l’hôpital pour essayer un corset, car il a de plus en plus de difficulté à se tenir droit. Il a une scoliose et une cyphose. Son torse se tord, comme les bossus.

« Maman, j’ai mal au dos ! J’aime pas ça, avoir mal au dos ! »

Justin se plaint pendant que son père le nourrit. Amélie le rassure, puis elle me fixe avec ses grands yeux.

« Je suis complètement impuissante, je peux rien faire pour ses douleurs. »

La nuit, Justin se réveille toutes les deux heures. Ses parents doivent le tourner dans son lit. Ça fait sept ans qu’ils n’ont pas dormi une nuit complète, une vraie, sans les pleurs et les exigences de Justin.

Justin faiblit, le moindre effort lui siphonne une énergie monstre : aller à l’école, jouer, avaler de la nourriture, respirer.

À 20 h, le photographe, Olivier Jean, décide de prendre une photo de famille.

« Gabriel, va chercher Justin », dit Jonathan.

Il est trop tard, Justin dort comme une roche, tout habillé, perdu au milieu de son lit, le visage enfin apaisé.

Gaétan Barrette répond

C’est l’Institut national d’excellence en santé et en services sociaux qui recommande au ministre de la Santé de rembourser un médicament après l’avoir étudié selon des critères précis. L’INESSS a rejeté le Spinraza. Gaétan Barrette a suivi la recommandation. Pourquoi ? Je lui ai posé la question.

Pourquoi avez-vous refusé de mettre le Spinraza sur la liste des médicaments remboursés ?

L’efficacité du Spinraza n’a pas été démontrée. L’enjeu premier, ce n’est pas le prix, mais l’efficacité. Vient ensuite le rapport coût-bénéfice.

C’est donc aussi une question de coût ?

Ça dépend. Il y a deux ans, j’ai autorisé l’Harvoni (contre l’hépatite C) même s’il coûtait 230 000 $ par année par patient. J’ai dit oui parce que le taux de guérison est de 97 %. Si un médicament a 15 % d’efficacité et qu’il coûte 1 million par année, c’est non. Ça devient une question de coût et de capacité budgétaire de l’État.

L’efficacité du Spinraza n’était pas assez grande compte tenu du coût ?

Il faut faire des choix raisonnables. C’est le dilemme du précédent. Des situations à la Spinraza, j’en ai plusieurs. À partir du moment où je dis oui à la suite d’une pression médiatique, que me reste-t-il comme arguments la fois d’après ? Avec le Spinraza, on est dans le médicament de niche qui touche un petit nombre de personnes sur la planète.

Que répondez-vous aux parents qui ont un enfant qui va mourir ?

Je suis extrêmement sensible à la situation. Extrêmement. C’est une situation dramatique, terrible. Il faut mettre dans l’équation que ce n’est pas un médicament qui empêche la mortalité. L’empathie, je l’ai, mais la science doit démontrer l’efficacité du médicament. Ce n’est pas le prix, mais le rapport prix-efficacité qui compte. Dans le mode de fonctionnement actuel et les contraintes budgétaires, on n’a pas le choix de faire des choix. Avons-nous tort ? C’est un débat de société qui doit être fait avec la raison.

***

J’ai parlé au Dr Stéphane Ahern, président du comité d’évaluation des médicaments à l’INESSS. Il a repris les arguments du ministre Barrette pour expliquer sa décision de rejeter le Spinraza : « Coûts trop élevés face aux gains. » Il a ajouté que le pendant canadien de l’INESSS, l’ACMTS (Agence canadienne des médicaments et des technologies de la santé), a recommandé le remboursement, mais à certaines conditions, dont une baisse de prix « substantielle ».

Les 4 types de SMA

L’amyotrophie spinale (SMA) est une maladie mortelle. Les motoneurones (cellules nerveuses) dégénèrent. iIs ont de la difficulté à commander les muscles, ce qui provoque leur détérioration. L’atrophie musculaire mène à une sérieuse insuffisance respiratoire, puis à la mort.

On l’appelle aussi la maladie de Lou-Gehrig des enfants.

L’espérance de vie dépend du type de SMA. Il en existe quatre.

Type 1 Espérance de vie de 2 ans. Les premiers symptômes apparaissent avant l’âge de 6 mois.

Type 2, comme Justin Premiers symptômes entre 6 et 18 mois. La plupart se rendent à l’âge adulte.

Type 3 Espérance de vie normale, en général. Le premiers symptômes apparaissent après l'âge de 18 mois.

Type 4 Espérance de vie normale. Les premiers symptômes apparaissent après l'âge de 21 ans.

Maladie rare, mais pas extrêmement rare. Taux d’incidence : de 8,5 à 10,3 pour 100 000 naissances. Pour les maladies très rares, l’incidence est de 1 pour 50 000 naissances.

Une personne sur 40 est porteuse du gène au Québec.

Une association, CURE SMA Québec, regroupe les personnes atteintes et leurs proches.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.