COMMANDITÉ

Conversations avec des infidèles

C’est comment, mentir continuellement à ses proches ? On en a parlé avec ceux qui, par définition, en connaissent un rayon sur la question : les infidèles. Dont un qui mène ses aventures comme un espion.

On pouvait difficilement faire un spécial « mensonges » sans parler à des menteurs. Mais malgré tous nos efforts pour les amadouer, ceux dans notre entourage (on a une couple d’amis pas full fiables, comme tout le monde) n’avaient pas trop le goût qu’on gratte leur bobo ensemble.

Fait qu’on a mis une annonce sur Craigslist qui disait, en gros : 

Vous êtes ou avez déjà été infidèle ? On veut vous parler. Promis, on ne vous fera pas vivre de trip de culpabilité.

(Conseil d’ami : si vous voulez continuer de croire en l’amour, n’essayez pas ça. C’est un peu déprimant.)

On était sceptiques. L’infidélité a beau être répandue — les chiffres varient énormément : elle toucherait moins de 20 % ou plus de 70 % des couples, selon les études —, qui viendrait se vanter de tromper sa douce moitié, même à visage caché ?

C’était sous-estimer Craigslist. Croyez-le ou non, on a eu une bonne dizaine de réponses. Huit hommes et deux femmes, dont une qui s’était clairement fait « troller » : quand on l’a appelée, elle semblait ignorer l’existence même de ce site de petites annonces (on gage 10 $ que c’était un coup de son mari soupçonneux, un peu fru et pas mal passif-agressif).

Finalement, on a discuté avec trois d’entre eux pour découvrir comment ils trouvaient ça, vivre dans le mensonge. (Spoiler : ils se sentent un peu mal, mais pas tant.)

Amante, webcam et branlettes

Nos deux premiers infidèles incarnent chacun un cliché à leur façon. D’abord, Edward*, l’homme qui trompait régulièrement sa blonde avec une collègue pendant sa crise de la cinquantaine. C’était comment, vivre dans le mensonge ? « Au début, c’était excitant, mais j’ai fini par trouver ça lourd. Je mentais à tout le monde : ma conjointe, mes enfants, mes collègues, mes amis, ma famille. Et à moi-même, en me disant que c’était pas si grave. Je filais cheap. »

Ensuite, Max*, plus jeune, qui trouve que sa femme manque de piquant au lit. (Un « classique » qui est revenu plus d’une fois chez notre dizaine de volontaires.) Au lieu d’une amante, il compense avec des aventures virtuelles à l’aide de sa webcam et des happy endings au salon de massage.

Au bout de 10 mois, Edward a choisi sa famille et a mis fin à sa liaison. Max, lui, commence à y songer : 

« Je me sentirais affreusement coupable si j’étais démasqué. Je sais que les conséquences seraient très douloureuses ; que mon couple, et donc ma famille, éclaterait. Je ne sais pas si je pourrais vivre avec ça… » — Max

C’est ça, l’affaire avec l’infidélité : les conséquences viennent seulement quand (ou même si) on se fait prendre. Pour les petites bêtes accros à la gratification instantanée que nous sommes, ça rend la résistance à la tentation difficile.

Et même si de plus en plus d’experts, comme la thérapeute Esther Perel (auteure du succès de librairie The State of Affairs : Rethinking Infidelity), militent pour que l’adultère ne soit plus automatiquement un dealbreaker — son raisonnement : les attentes du couple moderne sont irréalistes et la monogamie à long terme, c’est tout un défi —, ça reste encore une des causes de divorce les plus communes. Selon un sondage, 62 % des Américains quitteraient leur partenaire s’ils apprenaient qu’ils sont cocus. Max a donc probablement raison de craindre le pire.

Mission : infidélité

On s’attendait à des histoires comme celles d’Edward et Max. On a été plus surpris par celle de Franck*, un exemple extrême de ce que plusieurs experts observent : l’infidélité est en hausse entre autres parce que grâce à la technologie, avoir une aventure n’a jamais été aussi facile.

Cet expert en sécurité informatique de 33 ans applique ses outils professionnels à sa double vie, comme un genre de Jason Bourne de l’infidélité. À côté de lui, les deux autres ont l’air de pee-wee.

Marié depuis trois ans, cet infidèle chronique continue de se comporter « en célibataire ». Il maximise sa « chasse » aux nouvelles conquêtes grâce à des logiciels de son cru, qui automatisent une partie de ses échanges sur plein de sites — de Facebook à Tinder en passant par Réseau Contact et OKCupid —, parfois sur quatre écrans en même temps. (Les filles, si vous avez déjà eu l’impression de vous faire « cruiser » par un bot, voilà peut-être une explication…)

Il a aussi un téléphone spécifiquement pour ses activités adultères, avec deux profils : un leurre, avec rien de compromettant, et un caché, qui « contient tous les secrets inavouables ». Tout le contenu du téléphone peut être entièrement effacé en appuyant sur le bouton d’allumage. Un réseau privé virtuel brouille sa localisation, empêchant Facebook de lui suggérer comme amie une femme avec qui il se serait trouvé dans une chambre d’hôtel, mettons.

En plus de la techno, sa liste de trucs pour éviter de se faire prendre est assez longue, merci. Un petit échantillon : travailler tard pour vrai de manière régulière et avoir des factures de livraison de nourriture pour le prouver ; ne pas se vanter de ses aventures à ses chums ; ne pas prendre sa voiture avec une maîtresse, étant donné qu’en cas d’accident, il faut montrer ses pièces d’identité ; faire le ménage de ses poches avant de passer la porte de la maison... Manifestement, travailler en sécurité informatique rend un brin paranoïaque.

Il a même déjà poussé la note jusqu’à falsifier un document officiel pour prétexter une urgence à l’étranger. « Je suis allé passer quelques jours en France avec une amante. »

Rendu là, pourquoi s’être marié ?

« Pour moi, c’est deux mondes : le quotidien, la famille, c’est ma femme ; le plaisir, le luxe, la classe, c’est les maîtresses. » — Franck

Pour illustrer que ce n’est pas une question de besoins non comblés, il ajoute : « Ce n’est pas de la faim, c’est de la gourmandise. »

Comment vous trouvez ça, vivre dans le mensonge, Franck ? « Ça dépend. Quand je passe des bons moments avec ma femme, je me sens coupable. Mais quand elle me gonfle, pas tant que ça. Peut-être que ça va changer quand on aura des enfants. En attendant, je ne suis pas fier de l’avouer, mais je me dis que si ma femme me jetait dehors, je suis pas mal sûr qu’on voudrait de moi ailleurs. »

L’USURE DU MENSONGE

Il y a deux ans, des chercheurs d’une université anglaise ont observé le cerveau de 80 volontaires en train de mentir. Au début, leur amygdale — une région du cerveau essentielle aux émotions — réagissait fortement, produisant du stress et de l’inconfort. Mais plus les cobayes mentaient, moins leur amygdale s’activait, ce qui les entraînait sur une pente glissante vers des menteries toujours plus grosses. Autrement dit : on s’habitue à vivre dans le mensonge.

Difficile de savoir comment se porte l’amygdale de nos infidèles. Mais vu le nombre de mensonges nécessaires à leurs double vies, ça se pourrait qu’elle soit un ti-peu fatiguée. Comme quoi l’infidélité use, et pas juste le couple.

* Les trois prénoms ont été changés pour préserver l’anonymat des personnes interviewées.

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