Chronique

Quand votre conjoint vous empêche de « rapper »

Depuis 1992, le RAP est l’outil par excellence pour aider les futurs propriétaires à se constituer la mise de fonds nécessaire pour l’achat de leur première maison. Mais après plus de 25 ans, le Régime d’accession à la propriété (RAP) n’est plus au diapason de la réalité des familles d’aujourd’hui.

Les couples se font, se défont et se refont. C’est la vie. Mais à cause de règles archaïques, beaucoup de premiers acheteurs sont privés du RAP parce que leur conjoint a déjà été propriétaire. Récemment, plusieurs lecteurs m’ont raconté être victimes de ce genre de « contamination fiscale », comme on dit dans le milieu.

« Je ne peux pas utiliser le RAP parce que mon chum est propriétaire d’un condo dans lequel nous habitons. Il avait acheté le condo bien avant qu’on se connaisse et il n’avait même pas utilisé le RAP à l’époque », se plaint Sylvie, qui ne peut pas être considérée comme une « première acheteuse » à cause de son conjoint Stéphane.

Même problème pour Luc, qui est propriétaire depuis cinq ans d’un condo qu’il avait acheté avec son ancienne femme dont il est divorcé. Il planifie maintenant l’achat d’une maison avec sa nouvelle conjointe qui n’a jamais été propriétaire. « Nous avons été sidérés de lire qu’elle ne pourrait pas utiliser le RAP, car je suis déjà propriétaire. C’est un non-sens, elle est pénalisée par ma faute », dénonce-t-il à juste titre.

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Pour bien comprendre, jetons un coup d’œil aux règles de base. Le RAP permet à un « premier acheteur » de retirer jusqu’à 25 000 $ de son Régime enregistré d’épargne retraite (REER), sans impact fiscal. L’argent doit ensuite être remboursé sur une période de 15 ans, sinon le contribuable devra payer l’impôt.

La définition de premier acheteur est plus large qu’elle ne le semble. En fait, pour être admissible au RAP, il faut que vous n’ayez pas été propriétaire de votre lieu de résidence principale au cours des quatre années précédentes ainsi qu’au cours de la période débutant le 1er janvier de l’année du retrait et se terminant 31 jours avant le retrait du REER.

Par exemple, si vous achetez une maison en 2018, il faut que vous ayez été locataire (ou que vous ayez vécu chez des parents ou amis) depuis le 1er janvier 2014. Remarquez que vous pourriez avoir été propriétaire d’un chalet ou d’un immeuble à revenus qui n’était pas votre lieu de résidence principal sans que cela vous disqualifie.

En passant, un acheteur pourrait être considéré comme un « premier acheteur » plus d’une fois dans sa vie, s’il a vendu son ancienne maison et qu’il répond à nouveau aux règles d’admissibilité du RAP.

Mais revenons à nos moutons. Lorsqu’un couple achète une première maison en commun, les deux conjoints peuvent utiliser le RAP pour aller chercher chacun 25 000 $ dans leur REER respectif, pour un total de 50 000 $.

Mais c’est ici que ça se complique.

Si vous êtes un premier acheteur mais que votre conjoint actuel a déjà été propriétaire durant la période fatidique de quatre ans, vous êtes automatiquement « contaminé ».

Impossible d’utiliser le RAP ! Vos économies amassées d’arrache-pied resteront coincées dans votre REER.

C’est le cas de Sylvie, à qui on avait conseillé depuis des années de cotiser à son REER pour pouvoir s’acheter une maison. Voilà qu’elle réalise que cet argent ne pourra pas lui servir à cause de son conjoint. Comme c’est bête !

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Au sens du RAP, vous êtes considérés comme des conjoints si vous êtes mariés ou si vous vivez avec votre amoureux depuis au moins 12 mois ou dès que vous avez un enfant. Si vous êtes séparés depuis plus de trois mois, vous cessez d’être conjoints de fait.

Les règles du RAP risquent donc d’inciter certains couples à se séparer temporairement pour pouvoir mettre la main sur l’argent accumulé dans leur REER. Veut-on vraiment forcer les gens à contourner le système de la sorte ? Ce n’est pas sain.

La semaine dernière, le Parti libéral du Québec a promis de moderniser le RAP pour le rendre accessible aux personnes qui résident avec un conjoint qui était propriétaire de son habitation ainsi qu’aux parents qui souhaitent aider leur enfant à acquérir une première propriété.

Les libéraux voudraient aussi augmenter le retrait maximum de 25 000 $ à 50 000 $ pour refléter la hausse des prix de l’immobilier depuis la création du RAP. Au Québec, la maison moyenne valait 293 000 $ en 2017, pratiquement trois fois plus qu’en 1992, alors que son prix était d’environ 102 000 $. Un ajustement ne ferait certainement pas de tort.

Le seul problème avec cette belle promesse, c’est que ce n’est pas Québec qui détermine les règles du RAP, mais plutôt Ottawa. Mais apparemment, le ministre des Finances fédéral serait ouvert à discuter de cet enjeu après les élections.

Bien des couples croisent les doigts en attendant.

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