Argent comptant

Quel avenir pour l’argent ?

L’usage de l’argent comptant décline dans notre société de consommation, mais la demande de papier-monnaie demeure forte dans l’économie canadienne. Quel est l'avenir de l’argent comptant ? La Presse réfléchit à la question aujourd’hui et demain.

UN DOSSIER DE MARTIN VALLIÈRES

Le déclin du comptant

Utilisez-vous encore l’argent comptant dans votre vie quotidienne ?

L’usage de l’argent comptant a fortement décliné au Canada et dans les autres économies développées du monde, au fil de l’évolution rapide des technologies de paiement électronique.

L’argent comptant sert maintenant dans environ le quart des transactions courantes dans les points de vente au Canada ; un pourcentage qui a fondu de presque la moitié depuis 10 ans.

Quant à la valeur totale de ces transactions, l’argent comptant vient de passer sous le seuil des 10 % en 2017, comparativement à 20 % environ il y a 10 ans, montre une récente étude de la « société sans comptant » du service de la monnaie de la Banque du Canada.

La conséquence de ces deux tendances de fond ?

L’usage de l’argent comptant se concentre de plus en plus dans les petites transactions courantes de consommation, avec une valeur moyenne autour de 17,50 $, selon Paiements Canada, principal organisme de coordination interbancaire de systèmes de paiement électronique.

« En termes sociaux, on observe que l’utilisation de l’argent comptant dans les transactions courantes demeure plus élevée que la moyenne parmi les personnes à revenu plus faible. »

— Anne Butler, vice-présidente aux politiques et à la recherche chez Paiements Canada

« Elle demeure aussi plus élevée parmi les petits commerces ainsi que dans les localités rurales comparativement aux régions urbanisées, en raison notamment de leur accès moindre aux technologies de paiement électronique aux points de vente », signale Mme Butler.

Le comptant encore efficace ?

À la Banque du Canada, dont l’un des mandats est l’approvisionnement en monnaie dans l’économie, de même que la surveillance des nouvelles technologies de paiement, on constate que « l’efficacité de l’argent comptant permet d’expliquer son utilisation continue au Canada ».

« Son emploi n’entraîne, pour les consommateurs et les marchands, qu’un faible coût en temps de paiement. Il demeure plus rapide de payer en argent comptant que par carte de crédit ou de débit », a constaté l’analyste Geneviève Vallée, du service de la monnaie de la Banque du Canada, dans une étude sur les temps de paiement chez les détaillants terminée il y a quelques semaines.

Cela dit, les principaux intervenants en systèmes de paiement et en commerce de détail anticipent le déclin continu de cette habitude au fil des innovations en matière de paiement électronique.

Dans le milieu de la restauration rapide, par exemple, on s’attend à ce que l’usage croissant des paiements électroniques de type « sans contact » par carte à puce ou par application de téléphones multifonctions, presque aussi rapides que l’argent comptant à la caisse, accélère le déclin des paiements en espèces.

« On sent une mouvance en ce sens parmi les établissements de restauration rapide et les cafés sans service aux tables où la rapidité de paiement est importante, mais aussi la réduction des coûts de gestion et de sécurisation de la comptabilité de caisses en fin de journée », constate François Meunier, vice-président de l’Association des restaurateurs du Québec.

Le comptant moins coûteux ?

Chez les détaillants en alimentation, où les petites transactions payées en argent comptant demeurent plus nombreuses que pour la moyenne des détaillants, on mise sur l’étendue des paiements électroniques « sans contact » pour bien satisfaire les clients tout en atténuant l’impact des coûts élevés d’accès aux cartes de crédit.

« Pour les détaillants en alimentation dont les marges bénéficiaires sont déjà minces, des frais de cartes de crédit qui peuvent s’élever jusqu’à 2,5 % de la valeur d’un achat demeurent un motif important en faveur des paiements en argent comptant. »

— Pierre-Alexandre Blouin, PDG de l’Association des détaillants en alimentation du Québec

« C’est pourquoi de nombreux petits détaillants refusent les cartes de crédit et n’acceptent que l’argent comptant pour les petites transactions inférieures à 10 ou 15 $, par exemple », souligne M. Blouin.

Pour atténuer ce sentiment, la société Paiements Canada planche ces temps-ci sur le lancement dans un an d’un système dit de « paiement-en-temps-réel » afin de simplifier et de motiver l’usage du paiement électronique lors de transactions de faible valeur aux points de vente.

Pour l’essentiel, ce système vise à étendre aux petites transactions entre les consommateurs et les détaillants un système de paiement électronique immédiat, sécurisé et à coût minime.

Selon Paiements Canada, ce projet s’inspire largement du système de transferts de fonds électroniques Interac, qui est de plus en plus populaire pour les transferts de fonds entre les particuliers, par l’entremise de leurs comptes bancaires respectifs.

« Notre projet de système de paiement-en-temps-réel fait partie des prochaines technologies de paiement électronique plus accessibles et peu coûteuses qui pourraient accélérer le déclin de l’argent comptant jusque dans le marché des petites transactions dans les points de vente », indique Anne Butler, vice-présidente de Paiements Canada.

85,6 milliards

Valeur des billets de papier-monnaie canadien en circulation en 2017, dont 55 % en billets de 100 $, comparativement à une valeur de 66,6 milliards en 2013.

Source : Banque du Canada

Et si le comptant disparaissait ?

Une économie sans argent comptant, ça changerait quoi pour qui ? Tour d’horizon.

AVANTAGES

Réduction des coûts de comptabilisation de caisse et de sécurisation de transfert d’argent comptant, à l’avantage des banques et des détaillants en biens ou services

Rehaussement considérable de la traçabilité des transactions à l’avantage des autorités fiscales et bancaires

Hausse de la valeur moyenne des paniers d’achats de biens ou services parmi les consommateurs influencés par la dématérialisation de l’argent, à l’avantage des détaillants et des fournisseurs de services de crédit

Meilleure documentation du budget de dépenses, à l’avantage des consommateurs

INCONVÉNIENTS

Dépendance des détaillants de biens ou de services envers des systèmes de paiement électronique, souvent d’utilisation coûteuse, qui sont gérés par des consortiums de grandes banques et d’institutions financières

La dématérialisation monétaire d’une transaction peut inciter les consommateurs à dépenser et à s’endetter davantage qu’ils ne le feraient en payant en espèces

Perte d’accès des consommateurs et des détaillants à un mode de paiement en argent comptant plus anonyme

Risque de vol ou de fuite de renseignements personnels parmi les nombreuses interconnexions entre les divers points d’accès aux systèmes de paiement électronique (terminaux de point de vente, paiements par téléphone mobile, sites internet, etc.).

Sources : études de la Banque du Canada et de Paiements Canada, commentaires de détaillants en biens ou services

Ailleurs dans le monde

Plus du tiers des transactions américaines

Considérant la puissance de leur système financier, on croirait les Américains à l’avant-garde de l’usage des paiements électroniques au détriment de l’argent comptant. Illusion : les Américains règlent encore un peu plus du tiers de leurs transactions de consommation en argent comptant, la proportion la plus élevée parmi les formes de paiement, y compris les cartes de crédit. Chez les ménages à revenu moindre, cette proportion atteint les 40 %.

Monnaie commune, usages variés

Parmi les 19 pays de la zone euro, les trois quarts (79 %) des transactions en magasin sont payées en argent comptant et leur valeur représente un peu plus de la moitié (54 %) de celle des transactions dans des points de vente.

C’est au plus haut – autour de 80 % – dans des pays comme l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie. Mais au plus faible – autour de 45 % – dans des économies comme les Pays-Bas et l’Estonie.

La France se situe en dessous de la moyenne européenne : l’argent comptant est encore utilisé dans les deux tiers (68 %) des petites transactions et représente le quart (28 %) de leur valeur totale.

La « krona » en tout-numérique ?

La Suède est l’une des économies les plus avancées en matière de remplacement de l’argent comptant.

En fait, les Suédois ne peuvent presque plus utiliser d’argent comptant dans les points de vente. Au lieu, ils « swishent » leurs achats, du nom de l’application interbancaire de paiement électronique dont se servent les deux tiers de la population.

Conséquence : l’argent comptant n’est utilisé que dans 15 % des petites transactions courantes, contre 40 % en 2010. La banque centrale de Suède anticipe la fin du papier-monnaie vers 2030. Entre-temps, elle élabore un projet d’« e-krona » à titre de future monnaie électronique nationale.

L’argent comptant par tradition

La valeur des espèces en circulation équivaut à 20 % du PIB japonais. C’est la proportion de loin la plus élevée parmi les économies développées, et cette situation est de plus en plus inefficace pour le système bancaire national.

Pour contrer la réticence des Japonais à délaisser le papier-monnaie, le gouvernement a instauré l’an dernier, dans son programme économique « Society 5.0 », un objectif de doubler de 20 % à 40 % le pourcentage des transactions réglées par paiement électronique.

Mais pour y parvenir, la banque centrale devra renverser la méfiance des Japonais envers le maintien de liquidités dans des comptes bancaires à intérêt nul et à frais d’opérations, en comparaison avec l’argent comptant aussi à intérêt nul, mais sans frais d’utilisation !

L’argent comptant passe à l’histoire

La rapide évolution technologique de l’économie en Chine se manifeste dans le délaissement généralisé de l’argent comptant.

Environ 85 % des transactions dans les points de vente sont réglées par des paiements électroniques par téléphone portable, pour une valeur estimée à 5800 milliards US par trimestre.

Les deux plus grandes entreprises non bancaires de paiements électroniques mobiles en Chine, WeChat et Alipay, sont rendues respectivement à 850 millions et 650 millions d’abonnés.

On estime qu’environ 40 % des détaillants et des restaurateurs dans les villes chinoises refusent les paiements en argent comptant.

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