boissons sucrées alcoolisées

Quelques heures avant la découverte du corps d’Athena Gervais, le Conseil d’éthique de l’industrie québécoise des boissons alcooliques s’inquiétait des dangers des boissons comme le FCKD UP et le Four Loko, à plus forte raison pour les plus jeunes consommateurs.

boissons sucrées alcoolisées

Un signal
d’alarme prémonitoire

« Faudra-t-il attendre qu’il y ait des morts avant d’agir ? » Quelques heures à peine avant la découverte du corps de la jeune Athena Gervais, qui aurait ingéré de la boisson FCKD UP peu avant sa mort, le Conseil d’éthique de l’industrie québécoise des boissons alcooliques lançait un signal d’alarme sur la montée en popularité des boissons sucrées fortement alcoolisées.

Triste coïncidence

Jeudi dernier, en fin de journée, les autorités ont trouvé le corps inanimé d’Athena Gervais, 14 ans, dans un ruisseau derrière son école secondaire à Laval. Un de ses amis a plus tard raconté qu’au moment où elle avait été vue pour la dernière fois, elle était fortement en état d’ébriété après avoir bu du FCKD UP, boisson sucrée contenant 11,9 % d’alcool. Au cours de la même semaine, quelques heures avant que le FCKD UP ne s’invite dans l’actualité, le Conseil d’éthique de l’industrie québécoise des boissons alcooliques avait dévoilé son rapport annuel 2017.

Dans une sortie sans équivoque, le Conseil s’inquiète des dangers de ce type de boisson, à plus forte raison pour les plus jeunes consommateurs. Il lance un appel à l’État québécois, « dont l’indifférence, le laxisme et le manque de sensibilité liés à l’alcool permettent toutes les dérives et justifient l’injustifiable ».

« L’année Four Loko et FCKD UP »

La dernière année a été celle de « tous les excès », écrit le Conseil, à tel point qu’il la qualifie d’« année Four Loko et FCKD UP ». « Rarement boisson aura-t-elle fait couler autant d’encre. » Four Loko est cette boisson américaine qui a précédé le FCKD UP (fabriqué par le groupe québécois Geloso) sur les tablettes de la province. Le Conseil dénonce les « producteurs qui ont mis sur le marché des produits dangereux », dont la composition, la mise en marché, l’emballage, la distribution et la commercialisation « vise[nt] les mineurs et les pousse[nt] à l’excès ».

Le Conseil, qui écrit que des plaintes ont été déposées « relativement à l’intoxication de jeunes », lance donc un appel à Ottawa, mais également au gouvernement du Québec. « Faudra-t-il attendre qu’il y ait des morts ? »

Pas de pouvoir législatif

Créé par les acteurs de l’industrie des boissons alcooliques (fabricants, détaillants, bars, etc.), le Conseil s’assure de l’application de son code d’éthique qui énonce les « responsabilités sociales » de ses membres. Il peut adresser des blâmes, mais n’a pas de pouvoir exécutoire – il ne peut pas imposer d’amendes, par exemple. Président du Conseil depuis sa création en 2006, Claude Béland affirme avoir volontairement utilisé des termes forts afin d’être entendu à Québec.

« Ça fait longtemps qu’on en parle, raconte en entrevue cet ex-président du Mouvement Desjardins. Le gouvernement a longtemps eu l’excuse de dire qu’il était en train de revoir la loi, mais on trouvait que ça commençait à tarder. » « Disons que je n’aimerais pas avoir des enfants de 15 ou 16 ans aujourd’hui », ajoute-t-il.

Couillard interpelle Ottawa

Toujours en mission en France, le premier ministre du Québec Philippe Couillard a exprimé hier le souhait que Santé Canada se penche rapidement sur ces produits pour en restreindre l’utilisation. « On s’attend à ce que Santé Canada fasse diligence et réglemente cette question. Nous, on a demandé à l’Institut national de santé publique, mais c’est Santé Canada qui a le rôle de limiter les produits qui présentent des risques pour la santé », a-t-il soulevé. À Ottawa, le cabinet de la ministre de la Santé Ginette Petitpas Taylor a insisté pour dire que le dossier était pris très au sérieux.

« La ministre Petitpas Taylor a demandé à Santé Canada de prendre tous les moyens nécessaires pour contrer les risques posés par ces produits, y compris toute mesure réglementaire qui serait nécessaire, et ce, en consultation étroite avec le Québec où cet incident tragique a eu lieu », a indiqué un porte-parole de son cabinet, dans un courriel à La Presse. La ministre, qui était en route pour Londres hier, n’a pas commenté directement le dossier.

Responsabilité partagée

La législation encadrant les boissons alcoolisées comme le FCKD UP et le Four Loco n’est en effet pas simple. Si le produit lui-même et son emballage sont bel et bien approuvés par Santé Canada, c’est la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) du Québec qui réglemente leur promotion et leur publicité et qui fixe leur prix minimal (voir autre texte).

Claude Béland, qui souhaiterait voir le premier ministre Couillard être encore plus ferme, évoque une « confusion » dans l’application des lois. « Les gens de cette industrie savent que ce n’est pas dangereux de contrevenir aux règlements. Même si on a un code d’éthique, il y aura toujours des tricheurs. »

Une industrie délinquante

Les fabricants des boissons alcoolisées ont beau jeu dans un contexte « qui n’est pas loin de l’autoréglementation », estime pour sa part Émilie Dansereau, chargée de dossier à l’Association pour la Santé publique du Québec (ASPQ). Le groupe Geloso a retiré le FCKD UP des tablettes volontairement, mais plusieurs boissons sucrées à forte teneur en alcool sont toujours en vente dans les dépanneurs. C’est le cas notamment du REV UP, une boisson à 10 % d’alcool produite par le fabricant du FCKD UP.

L’ASPQ s’inquiète aussi du manque de réponses d’Ottawa dans ce dossier et aimerait voir Québec changer plus rapidement les critères de la Régie dans l’approbation des campagnes de marketing, notamment. « C’est un gros casse-tête, dit Mme Dansereau. C’est correct qu’on pense aux enjeux économiques, mais ça ne devrait pas être au détriment de la santé. Et je rappelle que le cannabis s’en vient… »

Four Loko reste loin des tablettes… pour l’instant

L’entreprise Phusion Projects, qui fabrique la boisson Four Loko, a confirmé hier après-midi qu’elle reportait la mise en marché de son produit dans la province, afin de « contribuer au débat qui a cours actuellement au Québec sur certains breuvages alcoolisés et leur accessibilité aux personnes mineures ». En novembre dernier, la RACJ a demandé un rappel des produits Four Loko après avoir découvert que ces boissons contenaient de l’alcool éthylique plutôt que de la bière, ce qui est contraire à la réglementation pour la vente dans les dépanneurs et épiceries.

Four Loko devait toutefois revenir à la charge avec une boisson à base de malt. Par voie de communiqué, Phusion Projects a par ailleurs offert ses condoléances aux proches d’Athena Gervais.

— Avec la collaboration de Denis Lessard et de Maxime Bergeron, La Presse

Boissons sucrées alcoolisées

Le rôle complexe de la Régie

Lorsque le gouvernement du Québec est montré du doigt dans la controverse entourant la vente de boissons énergisantes sucrées et alcoolisées, c’est essentiellement la Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ) qui est visée.

Celle-ci doit notamment avaliser toutes les publicités de produits alcoolisés avant qu’elles soient accessibles au public. Et ce, peu importe la plateforme de diffusion – télévision, radio, support imprimé, web, affichage, etc.

Dans son analyse, elle doit notamment s’assurer que « nul ne peut faire une publicité s’adressant à une personne mineure » ou « incitant une personne à consommer des boissons alcooliques de façon non responsable », en vertu du Règlement sur la promotion, la publicité et les programmes éducatifs en matière de boissons alcooliques.

C’est donc la RACJ qui a donné le feu vert à une campagne de FCKD UP, à Gatineau, dans laquelle on pouvait lire, en gros caractères : « Une canette = 4 verres », puis, en plus petit au bas de l’affiche, « partage ta canette, le gros ». Comme l’a rapporté Radio-Canada la semaine dernière, cette publicité a d’abord été installée dans un arrêt d’autobus en face d’une école secondaire : la RACJ n’a toutefois pas le pouvoir de dicter le lieu d’affichage, souligne la responsable des communications Joyce Tremblay.

C’est surtout sur les réseaux sociaux que FCKD UP s’en est donné à cœur joie avec ses campagnes qui ont le plus fait jaser – notamment celle où l’on promettait de passer « de zéro à party en quelques gorgées ».

« La majorité des publicités de FCKD UP diffusées sur les réseaux sociaux n’ont jamais été soumises à la Régie pour approbation, déplore Mme Tremblay. D’ailleurs, ces publicités ont dû être retirées par le Groupe Geloso [le fabricant de la boisson] à la demande la Régie. »

Par ailleurs, la RACJ n’a d’autorité que sur les publicités produites par les fabricants, et non sur celles des détaillants. Ainsi, la chaîne Couche-Tard n’a pas eu à faire valider la promotion « Semaine de relâche » qu’elle a fait circuler sur Facebook toute la semaine dernière et qui proposait trois canettes de FCKD UP pour 9,99 $. Couche-Tard a annoncé vendredi soir qu’elle ne vendrait plus des produits de cette marque.

Prix plancher

Les opposants aux boissons comme FCKD UP et Four Loko décrient notamment à quel point ces produits sont bon marché. Comme ces boissons sont fabriquées à base de malt, elles sont soumises au prix plancher de la bière.

C’est la RACJ qui dicte chaque année ce prix plancher en fonction du taux d’alcool contenu dans le produit. Quatre catégories sont ainsi établies : 

Moins de 4,1 %

De 4,1 % à 4,9 %

De 4,9 % à 6,2 %

Plus de 6,2 %

FCKD UP et Four Loko, à 11,9 %, entrent dans cette dernière catégorie, soumise à un prix plancher de 3,3189 $ le litre. Avec un prix variant de 3 $ à 4 $ pour 568 ml – donc plus de 5,25 $ le litre –, ces boissons passent le test de la Régie, et ce, bien que leur taux d’alcool soit presque le double que celui d’une bière à 6,2 %.

Invitée à commenter la latitude considérable que confère la catégorie « plus de 6,2 % », la RACJ s’est contentée de rappeler que le ministère de la Sécurité publique avait déposé le 21 février dernier à l’Assemblée nationale le projet de loi 170 « modernisant le régime juridique applicable aux permis d’alcool et modifiant diverses dispositions législatives en matière de boissons alcooliques ».

Bien que la réalité particulière des produits comme FCKD UP et Four Loko ne soit pas évoquée dans la loi actuelle ou dans le projet la modifiant, on peut s’attendre à des modifications relatives à la promotion ainsi qu’aux prix planchers. La Régie n’a toutefois pas voulu préciser davantage les changements envisagés.

Boissons sucrées alcoolisées

« C’est le temps de dire que c’est assez »

Depuis la mort de sa fille, Alain Gervais milite pour que Québec et Ottawa exercent un meilleur contrôle de l’accès aux boissons du genre FCKD UP et Four Loko.

« Il n’y a rien qui va m’arrêter. » Alain Gervais, le père d’Athena, refuse que la mort de sa fille de 14 ans soit vaine. Il se lance dans une bataille pour faire resserrer les lois qui encadrent la mise en marché des boissons fortement alcoolisées et sucrées comme celle que l’adolescente aurait consommée le jour de sa mort.

« Ce sera la loi Athena », lance M. Gervais. La mort d’Athena Gervais continue de secouer le Québec. La jeune fille aurait bu, avec des camarades, une quantité encore inconnue de la boisson FCKD UP, le 26 février dernier, sur l’heure du midi. En état d’ébriété, elle n’est pas retournée en classe. Son corps gisant dans un ruisseau derrière son école secondaire à Laval a été découvert trois jours plus tard.

« De la peine, j’en ai », assure le père en entrevue avec La Presse.

« Pour l’instant, je me dis que c’est important de réagir maintenant. C’est le temps. Il faut que ça n’arrive plus. » — Alain Gervais

Depuis la mort de sa fille, Alain Gervais milite pour que Québec et Ottawa exercent un meilleur contrôle de l’accès aux boissons du genre FCKD UP et Four Loko (11,9 % d’alcool).

Une pétition mise en ligne par un proche de la famille d’Athena Gervais réclame notamment que les boissons à base de malt dont la teneur en alcool est supérieure à 6,5 % soient en vente dans les succursales de la Société des alcools du Québec et non dans les dépanneurs et les épiceries. « On ne parle pas d’éliminer ces boissons-là, mais de mieux les contrôler », nuance-t-il.

Depuis la mort tragique de l’adolescente, Couche-Tard a ordonné le retrait définitif de la boisson FCKD UP de ses magasins. Le fabricant québécois, le Groupe Geloso, a aussi annoncé dimanche qu’il cessait la production du produit controversé. Mais, pour le père d’Athena, le resserrement doit s’étendre à d’autres marques.

« Il n’y a pas juste FCKD UP et Four Loko, il y a d’autres produits à 9 % d’alcool, par exemple. C’est un peu moins alcoolisé, mais ça reste un danger pour les jeunes. C’est le temps de dire que c’est assez », martèle-t-il. M. Gervais réclame aussi que des messages préventifs, un peu comme ceux qui apparaissent sur les emballages de cigarettes, soient ajoutés à ce genre de produits.

Pour le « bébé » des autres

Athena Gervais était la benjamine d’une famille qui comptait cinq filles. « C’était le bébé », indique son père, qui explique se battre maintenant « pour le bébé des autres. » Il dit trouver sa force, malgré le deuil, dans la mémoire d’Athena et chez ses autres enfants. M. Gervais dit aussi surfer sur une vague impressionnante d’appuis de parents.

« Je suis dans un tourbillon incroyable. Je carbure avec ça. L’appui que j’obtiens, ça me permet d’avancer », dit-il. « Je vais aller jusqu’à ce que la loi soit modifiée […] Je vais me rendre jusqu’où il va falloir que je me rende. Tant que j’aurai de la force, je vais continuer », ajoute l’homme qui réside à Saint-Hyacinthe.

Les conclusions de l’analyse toxicologique exercée sur le corps d’Athena Gervais n’ont pas encore été obtenues par sa famille. La thèse de l’accident a été confirmée par la police de Laval pour expliquer la mort de l’adolescente.

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