Les entreprises sont-elles prêtes ?
La Presse a joint plusieurs grandes organisations pour savoir si leur politique est prête. La Société de transport de Montréal, Hydro-Québec, Bombardier, le Groupe Aldo, Lowe’s Canada et Metro nous ont affirmé qu’ils avaient déjà une politique contre le harcèlement psychologique et sexuel.
« Notre politique qui est en place depuis 1997 répond déjà à toutes les exigences légales, nous n’avons donc pas eu à faire d’ajustements majeurs, soutient Simon Letendre, porte-parole de Bombardier. Cependant, nos équipes révisent cette politique périodiquement pour s’assurer qu’elle demeure actuelle, notamment face à de nouvelles réalités comme l’émergence du harcèlement par l’entremise des médias sociaux. »
La politique d’Hydro-Québec a elle aussi été mise en place en 1997 et vient d’être mise à jour. À partir des années 2000, la société d’État s’est mise à donner des formations de façon régulière pour expliquer en quoi consiste le harcèlement et clarifier les gestes de gestion qui peuvent être perçus à tort comme du harcèlement par les employés. Depuis deux ans, les formations se concentrent sur les principes de base de la civilité au bureau.
« Ça paraît anodin, mais saluer ses collègues, être poli, on avait beaucoup de plaintes qui traitaient de ça, explique Patrice Périard, directeur des conditions et des relations de travail chez Hydro-Québec. Selon le type de plainte qu’on reçoit, on ajuste nos formations. »
Selon l’avocate spécialisée en droit de l’emploi et du travail Marianne Plamondon, rares sont les entreprises qui n’ont pas encore de politique.
« Généralement, les employeurs avaient déjà instauré une politique de harcèlement qui visait la prévention depuis 2004, affirme l’avocate, associée chez Langlois avocats. Certains employeurs avaient mis des éléments de harcèlement sexuel. Des employeurs sophistiqués ont quand même voulu réviser leur politique pour être plus restrictifs et imposer la tolérance zéro. »
Comment se fait-il alors que la moitié des travailleurs ne soient pas au courant de la politique de leur employeur ? La directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines, Manon Poirier, affirme qu’il s’agit d’un problème de diffusion.
« Les organisations mettent des politiques en place, en parle au niveau des équipes de gestion, mais les employés ne savent pas que ces mécanismes existent. Si la politique n’est pas connue et pas diffusée, elle est plus ou moins utile. On remarque que certains employeurs ont réanimé leur politique depuis un an. On a vu une recrudescence d’ateliers de sensibilisation, de formations et une mise à jour du mécanisme de plaintes. »
Du côté des petites et moyennes entreprises (PME), la situation est différente, car plusieurs n’ont pas de service de ressources humaines. Par conséquent, elles ont moins tendance à avoir une politique écrite, soutient la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI).
« Dernièrement, on sent une effervescence ici, constate Bruno Leblanc, directeur des affaires provinciales. On sent que les gens veulent se donner cette politique-là le plus rapidement. À la FCEI, on a développé pour nos membres des politiques déjà faites qui couvrent tous les angles, on en a déjà distribué à 600 d’entre eux et on sent que le mouvement s’accentue avec l’échéance qui vient. »
Depuis le 12 juin 2018, il y a eu des modifications et des ajouts à l’article 81.18 de la Loi sur les normes du travail. Les entreprises ont jusqu’au 1er janvier pour s’y conformer. Le harcèlement sexuel a été ajouté dans la politique, les employeurs doivent avoir un mécanisme de traitement des plaintes et les travailleurs ont maintenant deux ans plutôt que 90 jours suivant la dernière manifestation du harcèlement psychologique ou sexuel pour porter plainte.
« Je pense que ça vise à s’assurer que l’employé puisse le faire une fois qu’il a changé d’emploi, affirme Marianne Plamondon. Si 90 jours, ça passe vite, deux ans, ça entraîne de gros défis pour les employeurs. Après deux ans, la preuve peut être difficile à établir. »
Lorsqu’une plainte pour harcèlement en milieu de travail est déposée à un employeur, 82 % des répondants au sondage CROP ont répondu que celui-ci devait procéder obligatoirement à une enquête. Or cette affirmation est vraie pour les entreprises de compétence fédérale, mais pas obligatoire pour celles de compétence provinciale québécoise.
« C’est dommage que les Québécois des entreprises de juridiction provinciale aient le minimum requis en matière d’exigences légales. »
— Manon Poirier, directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines
« On dit : ayez une politique et diffusez-la, ça suffit. Lorsqu’il y a une plainte, il y a un mécanisme de traitement de la plainte, mais on n’exige pas une enquête systématique ou une médiation comme pour les entreprises de juridiction fédérale, poursuit Mme Poirier. On n’exige pas de formation des gestionnaires et des employés. Ça va beaucoup moins loin. »
Chez Hydro-Québec, la politique a été bonifiée d’un « signalement ». Les employés peuvent signaler des situations qui les préoccupent, mais pour lesquelles ils ne veulent pas nécessairement faire une plainte.
« Ils veulent que le comportement cesse, précise Patrice Périard, directeur des conditions et des relations de travail. Le signalement est porteur, parce que ça nous permet d’intervenir avant que ça devienne une grosse problématique. Si une personne considère que malgré le signalement, le problème n’a pas été réglé, elle peut porter plainte. »
À la question « Suite au mouvement #moiaussi qui a secoué le monde entier, votre organisation a-t-elle mis en place des mesures pour prévenir le harcèlement en milieu de travail ? », 37 % des travailleurs ont répondu par l’affirmative, tandis que 24 % ne le savaient pas et que 37 % ont répondu non.
Cependant, 36 % des travailleurs étaient totalement confiants et 43 % assez confiants quant au fait que s’ils déposaient une plainte pour harcèlement en milieu de travail, leur organisation la prendrait au sérieux et que des mesures appropriées seraient prises.
La directrice générale de l’Ordre des conseillers en ressources humaines croit de son côté que le mouvement #moiaussi a accéléré certains changements. Cependant, elle rappelle que depuis des années, plusieurs acteurs portaient ce message.
« Ça fait plusieurs années que l’Ordre sensibilise le gouvernement par rapport au harcèlement psychologique pour l’inciter à prendre des mesures », souligne-t-elle.
Marianne Plamondon, associée chez Langlois avocats, croit que le mouvement a permis de réaliser qu’il fallait rédiger une politique permettant de porter plainte à tous les niveaux de l’entreprise en toute confiance.
« Les employeurs ne veulent pas prendre de risques en matière de harcèlement qui puissent nuire à l’image de l’organisation. Ç’a été fatal pour certaines entreprises de ne pas avoir géré de tels cas. Weinstein est le meilleur cas. Les conseils d’administration ont pris conscience que les dossiers de harcèlement doivent être gérés pour ne pas nuire à la pérennité de l’entreprise. »