OPINION

De Pierre Elliott à Justin, le trudeauisme en question

Le 25 juin marquera le 50e anniversaire de la victoire électorale de Pierre Elliott Trudeau donnant le coup d’envoi à un règne de presque 16 ans à la tête du gouvernement fédéral. Étonnamment, c’est son fils Justin qui se retrouve aujourd’hui aux commandes de l’État.

Considérant cette filière familiale, un questionnement politique surgit spontanément. Quelles empreintes Pierre Trudeau a-t-il laissées ? Quel héritage ? Le fils s’inscrit-il dans le sillon idéologique de son père ? S’agit-il d’une continuité ou d’une rupture ?

Jetons un coup d’œil synthétique sur trois aspects différents. La « trudeaumanie » et l’excentricité des personnages ; leur positionnement face au nationalisme québécois ; et enfin, leur vision particulière du fédéralisme canadien.

La trudeaumanie, l’excentricité et l’arrogance

On doit établir d’emblée une ressemblance entre le père et le fils Trudeau dans la mesure où leur entrée en politique a été marquée tous deux par le vedettariat.

Bien qu’il ait mené une carrière intellectuelle et enseigné le droit, Pierre Elliott Trudeau misait sur son « paraître » pour frapper l’imaginaire. Avec ses opérations de charme, ses conquêtes amoureuses, ses foulards de soie, ses cigares cubains et la fréquentation de vedettes d’Hollywood, il entretenait une image d’excentricité. On ne compte plus les sauts et pirouettes effectués par Trudeau père dans les aéroports. Ce fut un style bien à lui.

Justin Trudeau a lui aussi tablé sur son « glamour » et sa jeunesse pour devenir chef libéral et premier ministre. On sait qu’il a propulsé son image avec des selfies et son allure décontractée. Inspiré par son père, il a même participé à un combat de boxe fortement médiatisé contre le sénateur Patrick Brazeau. 

C’est maintenant de notoriété, Justin Trudeau se pare d’une panoplie de costumes et d’habillements, mais il demeure l’objet d’immanquables moqueries, comme ce fut le cas avec sa mascarade de Superman et lors de sa visite en Inde. Les parcours erratiques sont nombreux. Justin Trudeau aime briller de son apparence, mais la profondeur intellectuelle, contrairement à son père, n’est pas toujours au rendez-vous.

L’envers de ce décor, c’est l’arrogance exprimée au fil du temps tant par le père que par le fils.

En 1971, Pierre Elliott a lancé son « fuck off » à ses adversaires conservateurs au Parlement ; les dénigrements des Québécois n’ont pas manqué non plus. Il y a eu le « mangez de la marde » pour les « gars de Lapalme », le « bouffon » lancé à Michel Chartrand ainsi que les qualificatifs de « mangeur de hot-dogs » et « pleutre » accolés à Robert Bourassa et Brian Mulroney. Trudeau n’avait aucune gêne à dénigrer ceux qu’ils combattaient, sans jamais s’excuser.

De son côté, en 2011, Justin y est allé de la « petite merde » à l’endroit du ministre de l’Environnement conservateur, mais avec excuses. Il a également exprimé son dédain envers les nationalistes, sans rétractations. Reconnaissons tout de même que le fils n’a pas surpassé le niveau de mépris exprimé par son père.

La négation de la nation québécoise

À propos du Québec, il n’y a pas de différence flagrante entre la conception de Pierre Elliott et celle de Justin Trudeau. C’est le niveau d’hostilité envers les aspirations du peuple québécois qui démarque les deux.

Pierre Elliott Trudeau a toujours associé le nationalisme québécois au conservatisme, à un réflexe d’arrière-garde pouvant mener au totalitarisme. Il s’est dressé contre la revendication d’un statut particulier pour le Québec et a toujours combattu le concept de « nation québécoise ». Les plus durs coups ont été assénés avec la Loi sur les mesures de guerre en 1970 et le coup de force constitutionnel de 1982.

Sans oublier l’imposition du multiculturalisme à l’encontre du Québec et d’André Laurendeau, lui qui prônait la thèse des peuples fondateurs. Ce multiculturalisme, Trudeau l’a même constitutionnalisé unilatéralement.

Le fils Justin a tout simplement poussé à fond cette logique multiculturaliste en laissant les intégrismes religieux investir fortement les institutions publiques. Quant à la question nationale québécoise, nous dit-il, elle relèverait de « vieilles chicanes ». Le Canada serait même devenu un État postnational dans lequel ne comptent que les individus et les communautés.

Une conception de l’État fort

De père en fils, l’obstination à consolider le pouvoir central fut une constante idéologique. La tendance bonapartiste du père fut même confirmée par la politique « nationale » de l’énergie (lors de ladite crise du pétrole de 1975) et la loi anti-inflation (C-73) empiétant sur les compétences des provinces grâce au pouvoir d’urgence et au pouvoir déclaratoire. La fin de non-recevoir aux incessantes demandes du Québec pour un transfert de compétences (hormis l’entente Cullen-Couture de 1977) en fait foi aussi.

Enfin, aux yeux de Trudeau père, l’accord du lac Meech n’était pas autre chose qu’un projet dangereux de « balkanisation » du Canada. Le fils maintient aujourd’hui la même logique.

La rigidité de Justin Trudeau sur l’aide médicale à mourir, sa vision unidirectionnelle dans la légalisation du cannabis ainsi que le bras de fer engagé contre le gouvernement de Colombie-Britannique et les autochtones dans le dossier Kinder Morgan en sont autant de manifestations.

En définitive, les concordances idéologiques ressortent assurément. On ne parle même pas ici du niveau d’endettement de l’État qui gonfle à vue d’œil, comme à l’époque du père. Toutefois, le caractère hargneux, frondeur et vindicatif de Pierre Elliott Trudeau à l’endroit du Québec singularise sa gouvernance. Le « just watch me » ne peut certainement pas être oublié.

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