chronique

Football ou fakeball ?

Le tournoi sportif le plus passionnant de la planète est en marche. Jusqu’au 15 juillet, les meilleurs joueurs de foot représentent leurs pays, avec pour mission de remporter la Coupe du monde. C’est du bonbon ! Des athlètes forts, agiles, magiques, qui se déploient sur le terrain comme une armée libérée. La beauté de leur jeu d’équipe, de la somme de leurs talents est inspirante. Ce sont des héros. Ils n’ont qu’un seul défaut : ils font semblant. Pas tous et pas tout le temps, mais plusieurs et très souvent.

Dès qu’un adversaire les effleure, ils se lancent au sol, se tordent de douleur, en espérant que l’arbitre sévisse contre leur agresseur qui n’a rien fait. La pratique est si courante qu’elle est associée au sport le plus populaire de l’univers. Au point de rebuter certains.

Au hockey, quand on se tord de douleur, c’est qu’on vient de se faire massacrer pour vrai. Il y a bien quelques joueurs qui tentent quelquefois d’exagérer la vigueur de l’accrochage ou du coup reçu, mais on n’y croit pas. L’équipement est trop massif, la comédie passe dans le beurre. Même chose au football nord-américain. Tandis qu’au soccer, les gars sont en t-shirts et en culotte courte, le corps complètement exposé, complètement vulnérable. Ils ne portent pas de casque, chacune des expressions de leur visage est perceptible. On n’a pas le droit de se pousser, de se plaquer, le moindre contact pour nuire à son opposant est sanctionné. Alors on en profite. Tous les joueurs sont allés à l’école de chutes Olivier Guimond. Ils savent comment prendre une fouille. Ils sont aussi tous allés à l’école de faces dramatiques Mister Bean. Leurs visages empruntent toutes les contorsions de la souffrance. On les croirait à l’article de la mort. Trente secondes plus tard, ils courent avec le ballon, comme si de rien n’était.

À l’école, dans mon temps, on appelait ça des « fakeux ». Ça vient de fake, comme dans fake news. Faire accroire, comme on dit. Quand le grand Aubin se pitchait sur le gazon, en se tenant le nez et en hurlant, tout le monde se mettait à crier : « Fakeux ! Fakeux ! Fakeux ! » Même son équipe. Au début, l’arbitre donnait une punition au joueur adverse le plus proche. À la fin, il criait « fakeux » lui aussi. Aubin a alors arrêté son petit manège.

Pourquoi le football est-il devenu le fakeball ? Comme l’écrit le très sérieux journal Le Monde, parce que ça rapporte. Au foot, les conséquences d’une punition sont énormes. Au hockey, on joue plus serré durant deux minutes et avec un bon gardien, on s’en sort la plupart du temps.

Au foot, quand l’infraction a lieu dans la surface de réparation, on accorde un penalty. Le penalty est ce qui ressemble le plus à un plateau d’exécution. Le ballon est à quelques pieds du filet, le filet est gigantesque, et le gardien est tout petit. Et presque tout nu. Il ne couvre aucun angle. Sa seule chance est de deviner vers quel côté le tireur va envoyer le ballon et s’y garrocher au plus sacrant. Huit fois sur dix, c’est un but. Les deux autres fois, soit l’attaquant a raté son coup de pied, soit qu’un miracle est arrivé.

Quand ça fait 80 minutes que tu t’épuises sur le terrain, que c’est toujours 0 à 0, que tu as tout essayé pour faire rentrer le maudit ballon dans le maudit filet et que soudain un adversaire te frôle le mollet, tu te dis, v’là ma chance, place au théâtre, tu t’écrases au sol comme si une flèche t’avait transpercé la jambe, si ça pogne, tant mieux, si ça pogne pas, tant pis. Parce que c’est aussi ça, le problème, les simulateurs ne sont pratiquement jamais punis. Ils n’ont qu’à vivre l’humiliation de l’enfant gâté qu’on laisse faire le bacon au magasin. Quand tu auras fini, relève-toi, mon grand. Alors, il se relève. Et c’est tout. Pas d’offense.

Heureusement, ça commence à changer. Pour combattre ce fléau, quelques ligues se servent des multiples caméras pour scruter les images, le lendemain, à la recherche de nominations pour les Oscars. Quand ils découvrent des fakeux, ils les suspendent pour deux matchs. Ça prend encore plus de mesures de ce genre pour que cesse le festival Juste pour faire semblant.

Cela dit, ce n’est pas une raison pour bouder le Mondial 2018. Oh que non ! Il y a tellement plus que la simulation. Et puis, que celui qui n’a jamais simulé lance le premier ballon. Un mal de ventre pour ne pas aller à l’école ? Un mal de tête pour avoir la paix ? Un bonheur feint en déballant un cadeau qu’on trouve laid ? Une mine surprise en écoutant une nouvelle que l’on savait déjà ? Les footballeurs n’ont pas le monopole du faire semblant. Nous avons tous nos moments stratégiques. Nos moments de fake faces. La seule différence, c’est que lorsque les joueurs de foot le font, lors du Mondial, il y a 6 milliards d’yeux qui les regardent. Ça fait beaucoup de témoins de notre comédie.

En espérant que le mois qui vient donnera lieu à peu de scènes disgracieuses et à plein de moments grandioses.

Bon Mondial à tous ! Avec une petite pensée pour nos amis italiens, qui cette année, doivent faire semblant que ça ne les intéresse pas. Quoique ça doit être un peu vrai.

Allez, que les plus sincères gagnent !

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