Question d’éthique

J’espionne, tu espionnes, nous espionnons sur les réseaux sociaux

Chaque semaine, nous réfléchissons à un dilemme éthique où les principes et les valeurs s’entrechoquent. Parce qu’il arrive que la réponse ne soit pas simple, Pause invite les lecteurs à soumettre une question qui les préoccupe.

Qui n’a jamais fouiné du côté des « amis » Facebook d’un conjoint, lorgné les commentaires d’une conjointe ? Qui ne s’est jamais demandé qui aime tant ses photos, commente sans cesse ses statuts et, surtout, avec qui notre chère moitié passe tant de temps à jaser ? Vous vous reconnaissez ? Vous êtes loin d’être seul. Autopsie d’une (mauvaise) habitude.

L’analyse d’Anik Ferron, sexologue-psychothérapeute

Le phénomène est en effet archi répandu :  près de la moitié (41,6 %) des internautes surveillent de temps à autre le compte Facebook de leur conjoint.

C’est le constat qu’a fait Anik Ferron, sexologue-psychothérapeute, dans le cadre de son doctorat en psychologie à l’Université du Québec à Trois-Rivières, en 2016.

« Surveiller, c’est aller voir les “J’aime”, qui sont ses “amis”, avec qui il parle, mais ça peut aller jusqu’à lire ses messages. Il y en a qui exigent d’avoir les mots de passe de leur conjoint », signale-t-elle en entrevue.

Dans le cadre de sa recherche, Anik Ferron a sondé 950 personnes de 18 à 65 ans. Du lot, 47 % ont confié être jaloux quand leur conjoint allait sur Facebook.

Mais pourquoi donc ?

« La plupart du temps, c’est lié à une insatisfaction conjugale. S’il y a des tensions dans la relation, on est plus porté à surveiller le compte de l’autre. Pourquoi ? Parce qu’on se sent plus insécure dans la relation. »

— Anik Ferron, sexologue-psychothérapeute

D’où l’importance de se poser ici la question. « Pourquoi je fais ça ? C’est quoi mon besoin ? »

Petite parenthèse : si, au contraire, vous faites totalement confiance à votre partenaire, il n’y a ici aucun intérêt à fouiner dans sa vie privée et son jardin secret, tranche- t-elle. « Quel est le but ? Aucun. » Fin de la parenthèse.

Alors, que faire ? La réponse est limpide. Si le malaise vient du monde virtuel, la solution, elle, doit venir du monde réel. Au lieu de chercher des réponses sur les réseaux sociaux, échangez, discutez, bref communiquez, suggère la sexologue. « Qu’est-ce que tu fais, toi, sur Facebook ? Tu y vas souvent ? Pourquoi ? » Sans oublier de nommer ici son malaise : « Moi, ça me rend insécure. Est-ce que j’ai raison ? »

En un mot : « Allez valider plutôt que surveiller », dit Anik Ferron.

Parce que pensez-y un instant : si votre partenaire apprend que vous surveillez ses allées et venues, aussi virtuelles soient-elles, pensez-vous vraiment qu’il va en être heureux, que ça va renforcer votre relation ?

Mieux vaut au contraire exprimer ses inquiétudes. « De façon générale, croit Anik Ferron, l’autre va être beaucoup plus réceptif si on parle avec son cœur. Si on le surveille, il va être défensif. »

Ça, c’est la théorie. N’empêche qu’en pratique, c’est beaucoup moins simple, constate la clinicienne, qui voit souvent, quand survient un défi, les partenaires se réfugier chacun de leur côté sur les réseaux sociaux au lieu de se parler. Ce qui tend malheureusement à augmenter les risques de conflits. Pour 27 % des couples, Facebook serait d’ailleurs à l’origine de disputes, a noté la chercheuse. « Mais attention, ce n’est pas un lien de cause à effet, nuance-t-elle. On est insatisfaits, donc on passe plus de temps sur l’internet ? Ou on passe plus de temps sur l’internet, donc on est insatisfaits ? Ce n’est pas clair. »

Quoi qu’il en soit, sa conclusion demeure la même :  en cas de souci, quel qu’il soit, au lieu de vous réfugier dans le monde virtuel, parlez-vous, répète-t-elle. « Cassez la glace et échangez au lieu de vous éviter. »

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