Femmes autochtones

La beauté de la parole

La situation des femmes autochtones est pour le moins troublante. Au Canada, elles ont huit fois plus de risques d’être assassinées que tout autre citoyen. Cofondatrice du mouvement Idle No More Québec, Melissa Mollen Dupuis témoigne de l’importance, et de la beauté, de la prise de parole par les femmes autochtones.

S’il existe un moment phare dans mon enfance, c’est l’été de la crise d’Oka. J’avais 12 ans et cet été-là, la relation entre les autochtones, les Québécois et le reste des Canadiens a basculé. Ma vision de mon identité et de ma place dans ce pays a aussi changé. Avant cet été de 1990, la moindre apparition d’un ou d’une autochtone dans les médias était une fierté, mais bien sûr nous n’avions pas réellement d’emprise sur le message. Chaque fois que je voyais Kashtin à la télévision, je me disais : « Quelle opportunité pour nous ! »

La crise d’Oka a détruit ce statu quo, mais aussi fait réapparaître le rôle des femmes autochtones à l’avant-scène, avec des militantes comme Ellen Gabriel, qui reprenaient leur rôle de leadership.

Malgré toutes les politiques sexistes de la Loi sur les Indiens, ces femmes fortes ont mené à Oka une résistance que le Canada n’avait pas vue venir.

Dès lors, nous voulions nous faire entendre et attirer l’attention de la population bien au-delà du mythe romancé du « bon sauvage ». Les messages difficiles, les vérités cachées, les drames volontairement niés devaient être aussi inscrits dans l’Histoire et l’actualité de notre société.

Avec le temps, pas par choix, mais par urgence de ne plus voir les femmes autochtones être assassinées et disparaître, nous nous sommes rassemblées à nouveau, nous avons réuni nos tambours, nos châles, nos mocassins et nous avons dansé et occupé les rues d’est en ouest du pays. Nous avons affiché toutes nos énergies et notre force de résistance encore une fois devant un pays qui devrait écouter la vérité des pensionnats, des rafles d’enfants (« Sixties Scoop »), du racisme institutionnalisé, du manque d’accès aux services qui devraient nous protéger. J’ai eu en 2015, au cœur de la controverse des femmes de Val-d’Or qui ont dénoncé les services policiers, une invitation à faire part de notre réalité à Tout le monde en parle et d’ainsi entrer dans le salon de milliers de Québécois. Quelle occasion pour nous !

Après mon passage à Radio-Canada, j’ai fait la rencontre d’une artiste, innue comme moi, qui m’a parlé de ce qu’elle avait aimé et moins aimé de l’émission. Sa critique, sur ce que j’avais transmis, c’était qu’on avait toujours l’impression que ça allait mal chez les femmes autochtones, qu’on ne disait pas comment la vie des femmes autochtones était aussi belle. Sur le coup, je lui ai expliqué que sur les heures d’entrevues qui sont faites, moins de la moitié sont gardées, montage oblige. De tout mon message, entre la beauté et l’urgence, Tout le monde en parle avait choisi l’urgence. Mais elle avait aussi tellement raison.

Cette urgence de protéger la vie des corps autochtones nous empêche d’entendre les histoires de la beauté de notre résilience, de notre existence et de notre résistance.

Comme l’avait dit ma sœur algonquine Widia Larivière : « Il serait peut-être temps de s’intéresser au sort des femmes autochtones quand elles sont vivantes. »

Je reviens tout juste de la première de Ce silence qui tue, de Kim O’Bomsawin. Tout au long du visionnement, le film vient secouer tout ce qu’il y a de plus viscéral dans le passé des pensionnats, ses traumatismes et leurs effets transmis à la génération suivante. Dans la salle, je repensais à cette rencontre, à ce commentaire sur la beauté des femmes et, surtout, sur le fait que, depuis des années, comme nous tendons les mains pour être écoutées, nous nous sentons chanceuses chaque fois de l’être.

Nous avons transporté le nom des femmes assassinées et disparues, nous avons dansé et chanté pour demander une justice de base sur laquelle chaque femme devrait pouvoir compter. Des femmes et des hommes témoignent encore de leurs histoires de survie, de résilience, de cette force qui leur a permis de s’élever des cendres des politiques et institutions qui ont tout fait pour tuer l’indien… et aussi l’enfant. Elle est là la beauté des femmes et des hommes autochtones. Ils sont en vie et ils vous parlent. Écoutez leurs témoignages. Quelle occasion pour vous !

Ce silence qui tue de Kim O’Bomsawin sera diffusé à Canal D ce soir à 22 h.

Qu’est-ce que le mouvement Idle No More Québec ?

Le mouvement Idle No More est né en Saskatchewan en 2012, à la suite du dépôt d’un projet de loi qui modifiait notamment la Loi sur les Indiens et la Loi sur la protection des eaux navigables. Il organise des manifestations pacifiques pour dénoncer le projet de loi et attirer l’attention sur les conditions de vie des autochtones au pays. Il gagne rapidement en popularité, et pas seulement auprès des autochtones. La section québécoise du mouvement, fondée la même année par Widia Larivière et Melissa Mollen Dupuis, a reçu le prix Ambassadeur de conscience 2017 d’Amnistie internationale.

— La Presse

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.