Près de la moitié – exactement 48,3 % – des calories consommées par les Canadiens provenaient d’aliments ultratransformés, en 2015. Dans le monde, seuls les Américains mangent et boivent plus de ces produits liés à la montée de l’obésité et des maladies chroniques.
Après le gras, le sel et le sucre, les produits ultratransformés sont le nouvel ennemi à combattre. Concrètement, comment les éliminer ? Pour en avoir le cœur net (c’est le cas de le dire), l’auteure de ces lignes a tenté l’expérience. Pendant un mois, sa famille – composée de deux adultes et de quatre enfants de 8 à 11 ans, en garde partagée – a dit adieu à la pizza au fromage (qui attendait de dépanner, bien au froid dans le congélateur) et à beaucoup, beaucoup d’autres aliments.
Consommation d’aliments ultratransformés au Canada
Enfants de 2 à 8 ans 52 % des calories consommées
Enfants de 9 à 13 ans 57 % des calories consommées
Ados de 14 à 18 ans 55 % des calories consommées
Ensemble de la population âgée de 2 ans et plus 48 % des calories consommées
Source : Étude commandée par Cœur + AVC, à partir de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) de Statistique Canada, 2015
Informé du projet avant son déclenchement, Carlos Monteiro, le Brésilien derrière le classement des aliments par degré de transformation NOVA, l’a jugé intéressant. « Les aliments ultratransformés sont conçus scientifiquement pour maximiser le plaisir », a souligné M. Monteiro, professeur au département de nutrition de l’École de santé publique de l’Université de São Paulo.
« Les gens, particulièrement les enfants, s’habituent à avoir plusieurs stimuli quand ils mangent ces aliments, si bien qu’il est difficile pour eux d’apprécier la vraie nourriture. Ils deviennent otages de l’industrie alimentaire. »
— Carlos Monteiro, professeur à l’Université de São Paulo
Un fait confirmé quand on a tenté – sans succès – de cuisiner un bouillon maison aussi goûteux que les bouillons en boîte, aux saveurs « boostées » par les additifs.
Comment s’y retrouver
Évidemment, il n’est pas question de se nourrir uniquement d’aliments bruts comme les pommes ou les noix, la première catégorie de NOVA. Ni d’ingrédients culinaires tels l’huile ou le sucre, la deuxième catégorie. La troisième catégorie, les aliments transformés – par exemple, le pain composé de farine et de levain – , ne pose pas problème non plus. Bref, ce qu’il faut éviter, c’est la quatrième catégorie : l’ultratransformé. Mais c’est quoi ?
« En gros, il faut regarder la liste d’ingrédients, conseille Jean-Claude Moubarac, professeur adjoint au département de nutrition de l’Université de Montréal. S’il y a une substance non utilisée en cuisine (gluten, caséine, protéines hydrolysées, etc.) ou un additif cosmétique (colorant, saveur, émulsifiant, etc.), c’est un ultratransformé. » Exception : les additifs utilisés pour la conservation, qui sont tolérés.
Près de 65 aliments à éviter
Le 4 octobre, nous avons scruté le contenu de nos frigos, congélateurs et garde-manger. Le résultat ? Renversant. Nous avons trouvé 105 aliments à la liste d’ingrédients équivoque, dans une maison où on cuisine beaucoup, en se souciant de la santé. Stéphanie Côté, nutritionniste chez Extenso, la stagiaire en nutrition Anne Charest et Jean-Claude Moubarac ont évalué ces 105 produits. « On se rend compte à quel point les aliments ultratransformés sont omniprésents, en les regardant un par un », a commenté Anne Charest.
Du lot, ils en ont retenu 73 comme ultra-transformés, avant de convenir que certains additifs pouvaient servir à la conservation et de réviser ce nombre à 64. Qui sont ces coupables ? La pizza surgelée, bien sûr, mais aussi des barres tendres, du yogourt aux fruits, du maïs en crème, de la boisson de soya, des tortillas, du fromage râpé, des céréales à déjeuner, des barres sportives, du pain 11 grains, des craquelins, de la sauce sriracha, etc. Tout a été rangé dans des bacs au sous-sol (sauf le yogourt et le fromage, qu’on n’a pas voulu gaspiller).
Chasse aux solutions de rechange
Le 6 octobre, première lonnnnngue visite au supermarché, où il faut consacrer beaucoup de temps à lire les étiquettes. Verdict : on ne peut pas acheter grand-chose, sauf des aliments de base.
Élise Jalbert-Arsenault, conseillère scientifique à l’Institut national de santé publique, a évalué l’offre alimentaire dans 17 supermarchés montréalais, dans le cadre de son mémoire de maîtrise en 2016.
« Le constat qu’on peut faire, c’est que les aliments ultratransformés sont disproportionnellement mis en valeur. »
— Élise Jalbert-Arsenault, conseillère scientifique à l’Institut national de santé publique
On trouve ultimement des options plus saines, comme des fromages sans substances laitières modifiées ni additifs ou des noix à grignoter.
Barres tendres maison
Un après-midi, les garçons souhaitent cuisiner des barres tendres maison. La bonne idée ! Sauf qu’il faut trouver des ingrédients – abricots secs, pépites de chocolat et céréales – sans additifs ni substances douteuses. L’épicerie bio vient à notre rescousse.
Le week-end, on prépare des crêpes aux bleuets, à défaut de pouvoir manger plusieurs sortes de céréales et de pains industriels. Au cours du mois, on cuisine aussi du granola maison, des muffins et des petits pots de gruau, pour le bonheur de tous. Mais cela s’ajoute à la préparation des dîners et soupers, qu’on cuisinait déjà…
Comme il n’y a plus que du yogourt nature, les enfants l’agrémentent d’une tonne de confiture maison (offerte par des amis, merci !), de sirop d’érable ou de mélasse, un sucre qu’on redécouvre. En sevrage de fromage cottage au petit-déjeuner, un des adultes tente d’en concocter à deux reprises, avec un succès mitigé. On multiplie les visites à la boulangerie, où le pain a une liste d’ingrédients simple.
Les expéditions du conjoint à l’épicerie sont accompagnées de photos de listes d’ingrédients envoyées par texto. « Ça, c’est O.K. ? », demande-t-il, incertain devant un additif ou un ingrédient. Trancher entre aliment transformé et ultratransformé n’est pas toujours facile, et il faut parfois faire appel à Jean-Claude Moubarac pour nous éclairer.
Retrouver les plaisirs simples
« En préservant les enfants des aliments ultratransformés pendant un mois, ils pourront probablement récupérer leur habilité à ressentir du plaisir à manger une simple pomme », a souhaité Carlos Monteiro avant notre expérience. Au bout du compte, les quatre enfants n’ont été mis au régime sec que la moitié du temps, en raison de la garde partagée et de multiples occasions de manger de la malbouffe (Halloween, anniversaires, danse de l’école, etc.).
Leurs impressions ? « Les crêpes étaient bonnes ! » s’est réjouie une des filles. « J’ai aimé les barres tendres, a commenté un des garçons, fier de sa recette. Elles étaient croustillantes. » Ce qui leur a manqué ? « Le yogourt avec un goût », a répondu l’autre garçon. Comme quoi il est plus facile de sortir les arômes d’un frigo que de ses envies…
L’avis de l’industrie
La condamnation des aliments ultratransformés « est exagérée », estime Jean-Patrick Laflamme, vice-président aux affaires publiques et aux communications du Conseil de la transformation alimentaire du Québec (CTAQ). « Elle représente un raccourci intellectuel qui induit une équation où on associe la malbouffe aux aliments ultratransformés, alors que certains aliments ultratransformés sont bons pour la santé. »
« Nous pensons que l’escalade de la diabolisation de l’industrie est injustifiée et ne servira personne, ajoute-t-il. Pas plus le consommateur, qui finira par être démotivé à faire des choix qui correspondent à son mode de vie, que l’industrie qui devra vivre avec des impacts économiques importants pour des résultats qui, dans certains cas, restent encore à démontrer. »
QUELQUES STATISTIQUES
230 kg
Les Canadiens achètent au moins 230 kg d’aliments et de boissons ultratransformés par personne, par an.
X 2
La part de calories provenant d’aliments ultratransformés a doublé en 70 ans : autrefois, ils représentaient 24 % des achats d’aliments des familles et aujourd’hui, 54 %.
Source : Étude commandée par Cœur + AVC, à partir de l’Enquête sur la santé dans les collectivités canadiennes (ESCC) de Statistique Canada, 2015
Solutions de rechange possibles
Fromage mozzarella râpé
Compliments équilibre
ultratransformé
Contient notamment : substances laitières modifiées, chlorure de calcium, cellulose en poudre, etc. « Attention aux fromages déjà râpés, ils contiennent de la cellulose qui agit, la plupart du temps, comme un émulsifiant », dit Jean-Claude Moubarac, professeur adjoint au département de nutrition de l’Université de Montréal.
Solution de rechange : cheddar médium, Riviera
Pain 11 grains entiers
Boulangerie Stonemill
ultratransformé
Contient notamment : du gluten, « une substance qui n’est pas d’usage culinaire », souligne Jean-Claude Moubarac.
Solution de rechange : pain intégral bio au levain, Première Moisson
Sauce soya à teneur réduite en sel
VH
ultratransformée
Contient notamment : glucose-fructose, caramel, protéine de soya hydrolysée.
Solution de rechange : assaisonnement au soja liquide, Bragg
Tortillas au blé entier
Mejicano
ultratransformées
Contiennent notamment : pyrophosphate acide de sodium, sorbate de potassium, propionate de sodium, mono-diglycérides, acide fumarique, stéaroyl-2-lactylate de sodium, maltodextrine, gomme de cellulose, carraghénine, hydrochlorure de l-cystéine.
Solution de rechange : galettes de sarrasin, Soba