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Le temps
des ornithorynques politiques

Quand ils ont découvert l’ornithorynque en Australie, les explorateurs européens n’en croyaient pas leurs yeux. Ils voyaient pour la première fois un mammifère qui semblait muni d’un bec de canard, de pattes de loutre, d’une queue de castor, qui pond des œufs comme un oiseau, qui est venimeux comme un serpent et qui marche comme un lézard à cause de ses pattes latérales. 

L’ornithorynque semblait être une curiosité animale fabriquée pendant les derniers jours de la création du monde selon la vision biblique. Il fallait alors recycler les retailles surnuméraires dans une espèce bien atypique et diversifiée. Mais cet animal est aussi une belle métaphore de ce qu’est devenu l’électeur moyen d’aujourd’hui. Un composite qui se promène sur l’axe gauche droite selon ses intérêts. Aujourd’hui, une personne économiquement à gauche et qui est socialement pour une séparation franche entre la religion et l’État est presque orpheline politique. Elle doit alors choisir ses priorités et faire des deuils. Elle doit piger à gauche, à droite et au centre pour se constituer son ornithorynque.

Quand je pense aux années Harper, où seule l’économie devait primer, et à son acharnement sur toute l’expertise scientifique qui pouvait nuire à l’avancement des minières et de l’exploration pétrolière, j’ai des frissons. Mais, je ne me reconnais pas non plus dans les partis qui se maquillent en gauchistes pour mieux tromper la population. Je parle ici de cette gauche d’apparat, de parole et de complaisance.

Cette pseudo-gauche complice de l’évasion fiscale, cette pseudo-gauche qui fait des cadeaux aux multinationales et pactise avec elles dans la pénombre.

Cette pseudo-gauche qui raconte qu’on peut en même temps avoir les deux mains dans les sables bitumineux et le pouce bien vert. Cette pseudo-gauche qui flirte avec la classe moyenne le jour pour ensuite passer la nuit avec les lobbyistes. Cette pseudo-gauche qui dit légaliser le pot au nom de la protection de la jeunesse quand tout laisse croire que ce lucratif marché faisait saliver ses amis qui se frottaient les mains d’impatience depuis bien longtemps. Qu’elle s’épanouisse au fédéral comme au provincial, cette fausse gauche économique me laisse aussi froid que la droite façon Harper.

Je ne me sens pas non plus à l’aise dans ce qu’est devenue une certaine véritable gauche économique à cause de ses dérives sociétales bien discutables. Je parle de cette gauche qui célèbre le multiculturalisme dans tous ses excès communautaristes et religieux. Cette gauche qui se dit féministe tout en défendant vigoureusement les fossoyeurs de la liberté des femmes avec des concepts aussi creux que le féminisme sectoriel. Cette gauche qui ferme les yeux et nie les évidences pour se donner un semblant de cohésion dans sa vision sociétale remplie de contradictions. Cette gauche idéologique qui s’épanouit dans les clivages des appartenances et fait la promotion des exclusions croisées.

Cette gauche qui est tellement moralisatrice et culpabilisante qu’elle ne réalise pas qu’elle exacerbe toutes les injustices qu’elle essaye de dénoncer.

Cette gauche qui, du haut de sa pureté, regarde de haut et méprise tous ceux qui ne pensent pas comme elle et veut fermer le clapet à ses adversaires et censurer le débat jusque dans les universités. Cette gauche, qui est bien loin du dégagisme de Jean-Luc Mélenchon qui défendait la grande majorité des masses laborieuses sans les cloisonner, ne me fait plus rêver.

En fait, depuis quelques années, entre ce qui relève de la gauche et de la droite, je suis de plus en plus mélangé ou tout « écartillé », comme dirait Charlebois. Suis-je frappé par le syndrome de l’ornithorynque politique ? Je ne sais pas, mais la perspective d’avoir un gouvernement de coalition me séduit de plus en plus.

LA FORCE DES GOUVERNEMENTS DE COALITION

Je crois désormais que sans être parfaits, les gouvernements de coalition ne sont pas une mauvaise idée et je m’incline joyeusement devant cet engagement unanime des partis de l’opposition à changer le mode de scrutin. C’est pour travailler ensemble qu’on élit nos députés. Chaque fois que la partisannerie a laissé la place à une saine collaboration à l’Assemblée nationale, la population a grandement apprécié. La dernière grande réalisation en la matière, c’est la loi sur l’aide médicale à mourir, dont la version fédérale n’est qu’une pâle copie. Cela dit, il ne faut absolument pas que cette promesse se termine comme celle du premier ministre Trudeau, qui nous a honteusement roulés dans la farine.

Il y a quelque chose de bien dans les gouvernements de coalition, fréquents dans les nations pratiquant le scrutin proportionnel. Pour cause, ils génèrent une pluralité de visions qui peuvent s’affronter et trouver un point d'équilibre.

La politique fait partie de la vie, qui est loin d’être dichotomique, et on gagnerait peut-être à se positionner sur l’axe gauche droite comme on conduit une voiture.

Quand on est au volant, on a besoin parfois de se tasser à gauche pour faire un dépassement et, à d’autres moments, de rester un peu plus à droite. Les petits coups de volant pas trop brusques pour contrer les effets du vent sont tout aussi inévitables. Quand vous avez dans un gouvernement un mélange équilibré de gens aux convictions différentes qui jouent au tir à la corde, il y aura forcement des déplacements et une recherche de consensus pour le bien de tous. C’est la fameuse sagesse du roseau qui résiste au vent là où les plantes trop rigides finissent par casser. 

Nombreux sont aujourd’hui les électeurs qui, comme des roseaux, se balancent de gauche à droite pour mieux rester au centre.

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