Livre

En finir avec le tabou de l’amitié gars-fille

Non seulement ça existe, mais c’est « fucking grandiose ». Une jeune bédéiste québécoise vient de publier un livre pour rendre hommage à une amitié taboue, incomprise, et surtout sous-évaluée. Entrevue en six temps.

La bédéiste

Valérie Jacques-Bélair, alias Val-Bleu, a 32 ans, et depuis sept ans, elle publie un blogue féministe et militant. « Parce que j’aime croire que les gens s’intéressent aux niaiseries qui me passent par la tête », écrit-elle. Après deux ouvrages autopubliés (Les pénis inattendus et Quand la terre a tremblé), les Éditions du remue-ménage viennent de lancer La zone de l’amitié – Guide des rapports non sexuels et harmonieux entre hétéros de bonne volonté. Objectif : en finir avec ce tabou mal placé. Le tout en textes (engagés), en dessins (naïfs) et surtout avec beaucoup d’humour (et de faits vécus).

La question du désir

C’est le bémol qu’on pose toujours à l’amitié gars-fille. « Mais ce n’est pas inévitable. C’est tout à fait possible qu’il n’y ait pas de désir entre deux hétéros », plaide l’auteure. Et même s’il y a eu du désir, en quoi cela rendrait-il l’amitié moins “sincère” ? Je pense que beaucoup de bonnes amitiés peuvent se former après une aventure sexuelle. C’est fait, c’est tassé de la table ! »

La faute de la société…

Le problème, soulève l’auteure, c’est que dès la plus tendre enfance, dès qu’on voit un garçon s’entendre avec une fillette, on imagine déjà qu’ils seront un jour un couple. « C’est sûr que si on grandit comme ça, adulte, on se questionne ! » Non seulement on se questionne, mais on doute : est-ce que ça se peut ? D’ailleurs, où sont les livres de psycho-pop sur l’amitié ? « Des livres sur l’amour, il y en a des tonnes, mais l’amitié ? », s’interroge la bédéiste, dont le style et le militantisme ne sont pas sans rappeler Emma, l’auteure française qui a ramené sur la place publique la question de la charge mentale.

… et de la culture populaire

D’autant que dans la culture populaire, l’amitié gars-fille est quasi inexistante. « Il n’y a pas de représentation d’amitié platonique qui dure, et quand on la met en scène, c’est pour que ça devienne autre chose… » Pensez à tous les Friends with Benefits et autres When Harry Met Sally. « Oui, ça se peut, et ce n’est pas parce que ce n’est pas présent culturellement que ça n’existe pas dans la vraie vie, martèle Val-Bleu. C’est un peu comme avec les minorités visibles qu’on commence à intégrer sur la scène culturelle. Mais elles ont toujours été là ! »

Une amitié dévaluée

Conséquence ? Cette amitié continue d’être dévaluée. En témoigne la formule consacrée : « On est juste amis », comme s’il y avait ici une hiérarchie dans les relations. « Pourquoi on ne dit pas : je ne désire pas de relation amoureuse ? Je veux juste, ça sous-entend que l’amitié est inférieure. » Alors que dans les faits, ça implique tellement de choses positives. « À l’école, un jeune qui n’a pas d’amoureux, c’est fréquent, mais un jeune qui n’a pas d’amis ? Ça doit vraiment être dur ! »

Une relation « grandiose»

C’est pour rendre hommage à ces amitiés « grandioses », donc, que Val-Bleu a voulu écrire ce livre. Des amitiés où, sans aucun doute, on peut se permettre d’être soi-même, ce qui n’est pas vrai de toutes les relations. « En amour, tu veux donner le meilleur de toi. Alors qu’en amitié, tu peux vraiment être toi-même, pas toujours la personne glorieuse que tu essaies d’être devant l’être aimé », rit-elle.

La zone de l’amitié – Guide des rapports non sexuels et harmonieux entre hétéros de bonne volonté

Val-Bleu

Les Éditions du remue-ménage

97 pages

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