Société

Être trans hors des grands centres

Hors des grands centres, point de salut pour les trans ? L’Amossoise Khate Lessard et le Maskoutain Jessy Bourgault ont tous deux craint les réactions des gens de leur entourage en commençant leur transition de genre en région. Pourtant, les choses se sont relativement mieux passées qu’ils ne le croyaient, malgré quelques embûches.

Khate Lessard a entrepris sa transition sociale à Montréal, en s’habillant avec des vêtements féminins et en s’identifiant comme une femme. Lorsqu’elle a commencé son hormonothérapie, afin de transformer son corps, elle est retournée en Abitibi-Témiscamingue. « Je suis très proche de ma famille, et quand je parlais à mes parents au téléphone, je sentais qu’ils étaient fermés à l’idée, explique la femme de 23 ans. Je voulais vivre la transition avec eux pour qu’ils finissent par l’accepter. »

Durant la première semaine, toutefois, elle s’est heurtée à un mur. « Je venais de quitter ma vie établie, mes amis et mon emploi. Au début, je me demandais ce que je faisais en région. » Aucun professionnel de la santé n’était spécialisé en transition de genre à Amos. « J’ai dû fouiller et me déplacer ailleurs en région toute seule. Mes parents ne m’aidaient pas. »

Les parents de Jessy Bourgault étaient eux aussi au centre de ses préoccupations. « Comme j’étais la première personne de la diversité dans ma famille, je n’avais aucune idée à quel point mes proches étaient ouverts à ce sujet, explique l’homme de 22 ans qui habite à Saint-Hyacinthe. J’avais très peur que mon père me mette dehors… »

Il a fait son coming out dans une lettre, le 4 mars 2018.

« Le soir même, mon père m’a texté pour me dire : “Je suis plus ouvert que ce que tu penses.” J’ai pleuré durant des heures ! Si mon père m’accepte, je me fous du reste. »

— Jessy Bourgault

Peu après, il a publié sa lettre sur Facebook. « Je craignais les réactions des gens de mon primaire et de mon secondaire, mais j’ai reçu énormément de soutien. Je sentais qu’ils étaient ouverts à apprendre. »

Prendre confiance

De retour dans sa région natale, Khate appréhendait tant les regards extérieurs qu’elle s’est isolée. « Durant les premiers mois, je restais chez moi et je fréquentais seulement deux ou trois amis. Peu de personnes savaient ce que je vivais. J’imaginais faire ma transition en cachette et retourner à Montréal. »

Sa vie a pris une autre tournure quand elle a commencé un emploi, il y a deux ans et demi, en pleine transition.

« Je pensais que ce serait la fin du monde et que je ne pourrais pas garder mon travail longtemps, mais tout le monde a été full gentil. Ça m’a donné beaucoup de confiance en moi. »

— Khate Lessard

Lorsqu’elle a changé sa photo de profil sur Facebook, elle a reçu quantité de messages, autant gentils que méchants. La jeune femme a toutefois continué d’afficher son identité ouvertement. D’abord, en lançant une chaîne YouTube pour parler de ce qu’elle vivait. Puis, en acceptant une invitation pour présenter une conférence sur le sujet dans une école. « Je trouvais ça intéressant d'en parler avec les élèves, et ça s’est bien passé. Maintenant, je me fais contacter par des établissements secondaires, les cégeps, l’université et les maisons des jeunes. Radio-Canada Abitibi-Témiscamingue m’a aussi proposé d’être chroniqueuse. »

Tout n’était pas rose pour autant. Dans les bars, plusieurs hommes prenaient plaisir à lui poser des questions déplacées. « Ils se lançaient des défis entre chums en se disant : “T’es pas game d’aller lui parler.” Je n’ai jamais vraiment eu de problèmes avec les filles. C’était surtout les gars qui n’étaient pas fins. Dans les restaurants ou au centre d’achats, ils me regardaient croche et partaient à rire. »

La peur de l’autre

Dans sa vie quotidienne, Jessy a décidé d’aller au-delà des réactions. « Puisque je n’ai pas eu de mastectomie, j’ai encore une allure physique assez féminine, mais comme je prends de la testostérone et que je suis plus poilu, je ne me promène pas en short pour éviter qu’ils soient confus, explique-t-il. Je pense à eux plus qu’à moi. »

Lorsqu’il va à Montréal, la situation est différente. « Les Montréalais sont plus dans leur bulle, alors je suis pas mal plus à l’aise d’être moi-même. Je n’ai pas l’impression qu’ils vont me regarder et se questionner. »

Après réflexion, Khate Lessard affirme que sa transition aurait été plus facile dans la métropole. « À Montréal, on voit tellement d’affaires qu’on n’est pas tant impressionnés. On côtoie plus de personnes trans. Et il y a beaucoup plus de ressources. Mais je ne regrette pas mon choix. Mes parents sont maintenant à l’aise avec ma transition. »

Elle concède cependant que sa réalité est plus « simple » puisque les inconnus remarquent rarement qu’elle est trans au premier coup d’œil. « Ça m’évite certaines réactions. Je me trouve chanceuse. Je connais d’autres personnes trans en région pour qui c’est plus difficile. Puisque leur transition paraît, elles sont confrontées à ce que le monde pense. Elles doivent gérer ça chaque jour. »

Manque de ressources spécialisées

Intervenante chez Interligne, un service de soutien à la communauté LGBTQ+, Mireille St-Pierre affirme qu’il est moins simple de guider les personnes trans qui vivent hors de Montréal, en raison du manque de ressources spécialisées. « Je serais plus inquiète de parler à une personne habitant en région qui vit de la transphobie, alors que je connais plusieurs professionnels et organismes de confiance dans la région de Montréal, explique-t-elle. Par exemple, si une personne appelle du nord de l’Abitibi, en disant se sentir seule et vouloir participer à un groupe de discussion, il n’y en a pas, alors ça crée un renfermement. »

Pour bien vivre leur transition, les personnes trans ont besoin d’avoir accès à des psychologues, des sexologues et des médecins qui comprennent les nuances de leur réalité. De tels professionnels sont moins nombreux à l’extérieur des grands centres urbains. Il est également plus difficile pour les trans de trouver une communauté de personnes qui comprennent leur vécu. « Si on vit dans une ville de 20 000 habitants, le nombre de personnes trans est très faible. Quand on a 22 ans et qu’on a un petit réseau, si on perd ces gens-là après un coming out, on peut se retrouver très isolé. » La peur du jugement devient ainsi plus grande, souligne Mireille St-Pierre. « C’est difficile de dire que le jugement est plus présent en région, mais la peur d’être jugé est plus grande. On peut imaginer que moins les gens côtoient la diversité, plus il y aura de mauvaises réactions. Cela dit, il y a des gens ouverts et fermés d’esprit partout. »

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