Opinion Nadia El-Mabrouk

Hurler à l’islamophobie et se taire sur Asia Bibi

C’est par ce titre que l’écrivain Kamal Daoud, dans une tribune algérienne, s’indigne de l’absence d’intérêt des Algériens pour cette chrétienne du Pakistan, mère de cinq enfants, pourchassée par les islamistes pour avoir bu un verre d’eau dans un « puits réservé aux musulmans ». Chez nous, le silence entourant cette affaire est tout aussi assourdissant.

Les images qui circulent dans les journaux internationaux et sur les réseaux sociaux sont pourtant terrifiantes. Des manifestations monstres d’hommes réclamant Asia Bibi au bout d’une corde. Son crime ? Avoir répondu que le prophète Mahomet n’aurait pas approuvé qu’on accuse une chrétienne d’avoir « souillé » l’eau du puits.

Asia est accusée de blasphème, condamnée à mort par pendaison, les politiciens pakistanais qui l’ont défendue sont assassinés, et son avocat prend la fuite.

Asia Bibi ayant finalement été acquittée en novembre après huit ans de prison, le pays est bloqué par des milliers de fanatiques intégristes qui réclament sa pendaison et la mort des juges.

Sur nos chaînes nationales, à part quelques lignes pour nous informer que le Canada est « en discussion » avec les autorités pakistanaises pour éventuellement accueillir Asia Bibi, la couverture médiatique de cet événement est presque totalement absente.

Pourquoi un tel silence ?

La lutte contre l’islamophobie serait-elle en cause ? À la suite de la motion M-103 adoptée à Ottawa en 2017, le Comité permanent du patrimoine canadien a été mandaté pour formuler des recommandations. Elles se retrouvent dans le rapport Agir contre le racisme systémique et la discrimination religieuse, y compris l’islamophobie, qui renferme une partie concernant les médias. Celle-ci appelle à dénoncer l’islamophobie tout en prenant garde à ne pas véhiculer « des idées arrêtées sur la violence inhérente à l’islam ».

Loin de bénéficier aux musulmans, cet appel à peine voilé à la censure contribue à nourrir le cynisme de la population.

Dans le cas d’Asia Bibi, le silence médiatique est d’autant plus choquant à l’heure où défilent, sur nos écrans, les témoignages larmoyants de futures enseignantes revendiquant le voile islamique comme faisant partie de leur identité. 

Ces fières représentantes d’un islam soi-disant « authentique », dont l’identité serait menacée par une loi sur la laïcité, ne sont-elles pas heurtées par cette caricature hideuse de l’islam renvoyée par le Pakistan ?

Dénoncer l’islamophobie ne peut être crédible si l’on ne dénonce pas également les exactions commises au nom de l’islam. La députée Iqra Khalid, qui a présenté la motion M-103 sur l’islamophobie au Parlement, est d’origine pakistanaise. Une déclaration de sa part témoignant de sa solidarité avec Asia Bibi aurait été de mise.

Peut-on prétendre que le Canada ne serait pas concerné par cette affaire ? Avec plus de 200 000 Canadiens d’origine pakistanaise, le Pakistan est la sixième source d’immigrants au Canada. Le modèle d’intégration basé sur le multiculturalisme canadien appelant à la promotion des cultures d’origine ouvre grand la porte aux dérives communautaristes.

On en a eu la preuve avec Zunera Ishaq, une immigrante pakistanaise portant le niqab qui, en 2015, est allée jusqu’en Cour d’appel fédérale pour pouvoir prêter serment de citoyenneté canadienne à visage couvert. Selon l’enquête des journalistes Hugo Joncas et Andrew McIntosh, elle était bénévole pour une association liée au parti islamiste radical Jamaat-e-Islami, qui fait d’ailleurs partie des groupes pakistanais qui réclament la mort d’Asia Bibi. Pourtant, Zunera Ishaq a bénéficié d’un large soutien de la part de plusieurs de nos politiciens et du Parti libéral de Justin Trudeau.

Comment expliquer ce laxisme face au fondamentalisme islamiste ?

Au Royaume-Uni, selon l’Association britannique des chrétiens pakistanais, l’accueil d’Asia Bibi a été refusé par crainte de « troubles » islamistes. Le Royaume-Uni redouterait, en particulier, des attaques de « terroristes islamistes » contre ses ambassades et ses ressortissants à l’étranger. La prétendue lutte contre l’islamophobie cacherait-elle une peur de nos gouvernements face à une partie de leur propre immigration ?

Mesures pour un « recadrage » médiatique

Le Pacte mondial sur les migrations de l’ONU, qui a été adopté lundi à Marrakech et signé par le Canada, renferme des mesures visant à « façonner une perception positive des migrations ». Il est question d’« éduquer les professionnels des médias aux questions et à la terminologie liées à la migration », et même de supprimer le financement de médias qui ne respecteraient pas les règles du jeu.

Ainsi, à l’heure de la rectitude politique où les médias mainstream sont déconnectés de la population, ce sont encore davantage de mesures de contrôle de l’information qui sont proposées. Or, la lutte contre le racisme et l’islamophobie ne passe pas par la censure. Bien au contraire. Le déni de certaines réalités ne fait qu’exacerber l’impatience de la population et alimenter les extrêmes.

Avant toute considération idéologique, le rôle des médias n’est-il pas de nous informer ? Comme le dit Kamal Daoud, « que l’extrême droite “récupère ou pas”. L’essentiel est de sauver une vie, de témoigner d’une solidarité, de faire du bruit pour que le meurtre et le meurtrier ne passent pas inaperçus ».

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.