Opinion Gérard Bouchard

Le Québec traite mal ses écrivains

J’imagine que pour la plupart des Québécois qui s’intéressent à la culture, et tout particulièrement à la littérature, l’Académie des lettres du Québec est considérée comme l’une des institutions phares de notre société, comme l’un des piliers de sa vie culturelle. Et ils ont bien raison. Il suffit de se tourner vers l’Europe pour y trouver de très prestigieux équivalents, l’Académie française en tête, et aussi pour bien mesurer toute la place que ce genre d’organisme tient au sein d’une nation.

Et pourtant ! Croira-t-on que notre Académie est présentement menacée de disparaître faute d’appuis financiers en provenance tant du public que du privé ? Même, les efforts effectués par ses membres pour obtenir de l’État une forme de reconnaissance ou de statut officiel ont jusqu’ici échoué.

Pour ce qui est de l’aspect financier, les demandes de l’Académie sont pourtant très modestes, grâce en partie aux contributions de ses membres. Néanmoins, pour des raisons très difficiles à comprendre, les trois organismes subventionnaires parapublics qui soutenaient ses activités lui ont retiré leur appui, l’un après l’autre, mais sans lui reprocher quoi que ce soit, tout simplement en vertu soit de coupes budgétaires, soit de nouveaux critères de financement qui disqualifient désormais un organisme comme l’Académie.

Pourtant, celle-ci a su se montrer à la hauteur de sa vocation en faisant un important travail d’animation, d’échanges (internationaux ou autres) et d’interventions diverses dans le domaine culturel. Elle encourage et récompense (au moins symboliquement) le talent d’ici tout en contribuant à la reconnaissance internationale du Québec, notamment par sa participation aux programmes de la francophonie. Elle publie aussi un magazine (Les Écrits) et célèbre de multiples façons la mémoire des grands littéraires québécois envers lesquels nous sommes tous endettés collectivement. En plus, dans la mesure de ses très modestes moyens, elle s’est toujours dévouée pour la cause de la langue et de la culture française au Québec.

L’Académie se donne enfin pour mission de faire connaître et reconnaître les meilleurs créateurs du Québec pour favoriser la diffusion de leurs œuvres, pour les offrir en modèles aux jeunes et les faire rayonner à l’étranger.

Elle aimerait se faire beaucoup plus active. Par exemple, elle pourrait épauler la lutte contre l’analphabétisme. Elle pourrait aussi se joindre au mouvement de relance de la francophonie internationale dont le président Macron entend se faire le leader en s’appuyant justement sur les académies nationales dans lesquelles il voit un rouage efficace et malheureusement sous-utilisé.

Étonnamment, tous ces arguments et ces perspectives semblent laisser indifférents les hauts fonctionnaires et les membres du cabinet du premier ministre Couillard qui ne répondent même pas aux lettres et appels des dirigeants de l’Académie. Quant à Marie Montpetit, ministre de la Culture et des Communications, elle a bien voulu les recevoir, mais elle ne paraît pas avoir été très sensible au plaidoyer qui lui a été présenté, la brève rencontre n’ayant eu aucune suite.

Bref, l’Académie s’active depuis plusieurs mois pour éviter sa disparition, mais sans résultat.

Or, le Québec est une société prospère qui valorise la culture, regorge de talents et, avec raison, se réjouit de ses succès. C’est aussi une société qui, depuis quelque temps, a investi très généreusement dans la plupart des sphères de la vie collective. Dans le cas présent, pourquoi cette fin de non-recevoir ? Le gouvernement pourrait-il au moins faire connaître les vrais motifs de sa résistance ?

Quoi qu’il en soit, est-il possible qu’après bientôt 75 ans, l’Académie des lettres du Québec ne trouve pas les quelques dizaines de milliers de dollars qui lui permettraient de survivre et de continuer à œuvrer à la poursuite de sa mission ? Est-il possible que le rêve de ses fondateurs, qui comptaient parmi nos meilleurs esprits, s’achève subitement pour cause d’indifférence ? Il semble bien que oui, aussi incroyable que la chose puisse paraître.

Mais si jamais nous devions en arriver là, nous qui sommes si sensibles au regard que les pays étrangers portent sur notre société, songeons bien au poids de la honte et de l’humiliation que nous devrons alors tous porter.

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