Les leçons de la crise pour les gestionnaires

François Legault, Horacio Arruda et Danielle McCann, de même que l’équipe qui les appuie dans les coulisses, ont été largement vantés pour leur gestion de la crise de la COVID-19 depuis le départ. Si le contexte est sans commune mesure avec ce que peuvent affronter des gestionnaires en temps normal, il y a d’importantes leçons à tirer de leur travail, estiment les spécialistes.

Communication

« Ici, on a des gens qui [répondent de leurs actes] de façon ouverte, à la télévision, sur une situation qu’ils ne contrôlent pas totalement. La notion du sacrifice personnel est à la base de leadership. S’ils font une gaffe, on va le leur reprocher. On en voit d’autres, sans nommer de nom, qui sont plus prudents. Ils ne feront peut-être pas de gaffes, mais ils n’ont pas de charisme. »

— Kevin Johnson, professeur à HEC Montréal spécialisé en transformation et en gestion du changement

« Ils sont toujours à l’heure, très structurés, très rigoureux, ils remercient leurs alliés, ils renforcent les comportements positifs et ont parfois une petite touche d’humour sans être déplacés. »

— Caroline Ménard, présidente et associée chez Brio, firme de consultation

« Ils font preuve d’empathie, mais aussi de force de caractère pour encourager les gens, leur dire que c’est possible. »

— Louis Hébert, directeur du programme de MBA à HEC Montréal

« La présence régulière [même à l’écran] est importante. Quand Obama s’est rendu sur les lieux de tueries dans des écoles, il ne pouvait bien sûr ramener personne à la vie, mais sa présence rassurait. »

— Carole Lalonde, professeure à l’Université Laval spécialiste de la gestion de crise

« Ce n’est pas un gestionnaire de projet qui parle, c’est le premier ministre. Ça démontre l’importance de la situation. Aussi, il est entouré d’experts. Ce n’est pas toujours ce que l’on fait en entreprise. »

— Kevin Johnson

Stratégie

« Il faut reconnaître que peu importent les choix qui ont été faits, la façon me semble bonne parce qu’il y a une cohérence dans les décisions. »

— Christophe Roux-Dufort, professeur à l’Université Laval spécialiste de la gestion de crise

« Un des principes importants est de faire savoir ce qui va se passer si on ne change pas. Avant, on disait aux gestionnaires de mettre l’accent sur les avantages de changer. Le discours a un peu évolué. On a plus de facilité à opérer des changements en disant aux gens ce qu’ils vont perdre en ne changeant pas que ce qu’ils vont gagner en changeant. Ils le font bien. »

— Pierre Lainey, professeur à l’École des sciences de la gestion de l’UQAM et à HEC Montréal

« Parmi les facteurs de résistance, il y a les facteurs psychosociaux. Si mon groupe de référence ne fait rien, pourquoi je le ferais ? On l’a vu avec des synagogues ou avec les adolescents. C’est normal et il faut le reconnaître. La meilleure façon dans ce cas-là, c’est d’utiliser des leaders d’opinion, qui doivent être crédibles et visibles dans ces groupes. »

— Pierre Lainey

« On en est à trois semaines, ça va être important à un moment donné de donner une vision. C’est correct d’avancer au jour le jour, mais il faut rester stratégique et anticiper. »

— Caroline Ménard

« Il faut préparer la sortie de crise. C’est souvent un écueil. Devant l’urgence de la situation, on se trouve à court de recul pour voir comment on va sortir de la crise. Il ne faut pas confondre confinement et crise. Là, on est plus dans la gestion de l’urgence. La crise va commencer après, quand on va se retrouver devant l’ampleur des conséquences. Pour ça, les stratégies n’existent pas. On ne pourra pas s’inspirer de ce qui se fait ailleurs comme on le fait pour l’urgence en ce moment. »

— Christophe Roux-Dufort

Authenticité ou transparence

« Il ne faut pas confondre transparence et authenticité. La pleine transparence pour gérer une situation critique a ses dangers. L’authenticité, c’est être capable de personnaliser et de porter les messages qui sont véhiculés, plutôt que de simplement les rapporter. Si un gestionnaire se présente en avant en disant : “On m’a dit de vous dire que…”, il crée du cynisme. Il doit traduire le message pour le porter et donner l’impression qu’il lui appartient. On peut être transparent en lisant un téléscripteur, mais on ne peut pas être authentique. »

— Kevin Johnson

« L’authenticité sort beaucoup dans les études sur le leadership. On a l’impression que ce trio pourrait jouer dans notre ligue de balle-molle, qu’ils vivent les mêmes choses que nous, comme quand Legault a dit qu’il avait dû appeler sa mère pour lui dire de ne pas sortir et qu’elle n’était pas contente. Une notion importante, c’est celle du leadership “servant”, par rapport au leadership autoritaire. On a l’impression qu’ils se lèvent le matin pour servir, pas se servir, comme on le sent souvent avec les politiciens. »

— Jean-François Bertholet, professeur en ressources humaines à HEC Montréal

« Je n’aime pas le mot “transparence”. Tout ne peut pas se dire. Dans les coulisses, ça va vite. Les gens disent qu’ils veulent de la transparence, mais pensez-y, dites-vous toujours la vérité ? Je ne pense pas que les gens peuvent être vraiment transparents. Ils peuvent être honnêtes, mais pas transparents. Une entreprise comme Desjardins, pendant sa crise, avec ses rivaux qui écoutaient à côté, vous pensez qu’elle pouvait dire dans le détail tout ce qu’elle faisait ? »

— Carole Lalonde

« Les Québécois sont conscients que leur gouvernement n’a pas géré 50 fois des pandémies comme celle-là. Quand ils répondent qu’ils ne savent pas, ça rassure parce qu’on se dit : quand ils répondent autre chose, c’est parce qu’ils le savent. »

— Jean-François Bertholet

Gradation des mesures

« En gestion de crise, les décisions que l’on prend doivent être proportionnelles à l’évolution des évènements. Là, on a bien ça. On n’a pas commencé à bloquer des régions tout de suite, par exemple. »

— Christophe Roux-Dufort

« Dans ce contexte, c’est une bonne décision d’annoncer les décisions une à une. Comment on mange un éléphant ? Une bouchée à la fois. Le cerveau a une limite à ce qu’il peut retenir d’un coup. »

— Louis Hébert

« Ce qu’on voit, c’est des dirigeants qui s’ajustent chaque jour en fonction des données, plutôt que de maintenir l’idée originale. Tout en ayant une direction, il ne faut pas se figer à son objectif. On voit l’effet aux États-Unis, où Trump a peut-être tenu à son idée originale trop longtemps. »

— Kevin Johnson

« Ils ont une méchante légitimité [pour utiliser plus d’autorité] en ce moment, parce qu’ils ont fait appel à la bonne volonté au moins 50 fois. La plupart des gens en sont même rendus à vouloir qu’ils sévissent envers ceux qui n’agissent pas. »

— Jean-François Bertholet

« Ça aide aussi à la création de sens. Les gens voient mieux pourquoi on agit ainsi. Et on a des données de performance aussi pour appuyer ces décisions à mesure. »

— Kevin Johnson

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