MON CLIN D’ŒIL 

« Février n’est pas seulement le mois sans alcool, c’est aussi le mois sans cannabis. »

— La SQDC

Opinion

Sexologie et politique victimaire

Dans un texte paru dans La Presse+ du 24 janvier, le chroniqueur Yves Boisvert a été l’un des premiers à oser critiquer publiquement le rapport sur les violences sexuelles en milieu universitaire qui a valu à la sexologue Manon Bergeron le titre de «  scientifique de l’année  » décerné par Radio-Canada. Je suis complètement en accord avec son analyse, que j’aimerais pousser plus loin, en montrant comment Mme Bergeron, sous le couvert de la science, fait la promotion d’un féminisme victimaire. 

L’enquête qu’elle a réalisée avec 11 autres femmes visait à amplifier l’importance du phénomène des agressions sexuelles et du harcèlement, et les questions du sondage étaient biaisées dans ce but. Contrairement à ce qui est mentionné dans l’émission Découverte de Radio-Canada (27 janvier), ces données sont bien loin d’être rigoureuses.

Je ne nie pas que le sujet soit important et que, comme société, nous devrions améliorer la vie sociale en tentant de diminuer ces problèmes à tous les niveaux, mais les statistiques issues de ce rapport doivent être décrites pour ce qu’elles sont : des exagérations. Ce rapport indique «  que 36,9 % des répondants ont subi une forme de violence sexuelle depuis leur arrivée à l’université  ». Pourtant, la grande majorité des comportements recensés dans ce sondage ne sont que des incivilités.

Soulignons ici que la définition de violence implique la présence d’une force intense, de coercition ou du caractère extrême d’un sentiment, et cette violence ne se retrouve pas dans les incivilités recensées par ce sondage et associées aux violences sexuelles.

La définition de victime comme personne « mal à l’aise »

La nouvelle façon de définir si vous êtes une victime, prônée dans cette recherche selon une tendance d’extrême gauche victimaire, est de déterminer si vous avez été « mal à l’aise » dans certaines situations : lorsqu’on vous regarde, vous déshabille du regard, vous aborde avec un sujet d’ordre sexuel, vous conte des blagues à caractère sexuel ou lorsque vous êtes en présence d’une personne peu vêtue. Dans ce dernier cas, que devrait-on penser des Femen, des nudistes qui ont manifesté lors du printemps érable et des mouvements hippies des années 70  ?

De plus, vous êtes aussi victime de « violence » dès qu’on vous fait une remarque désobligeante sur votre apparence, un sifflement, une caresse, un frottement non désiré, ou même des « invitations à prendre un verre ou à sortir pour manger, malgré vos refus ».

Oui, vous l’avez deviné, les définitions données aux violences sexuelles, implicites au questionnaire, sont extrêmement larges et vagues.

Qui plus est, dans ces situations, la personne qui engendre le malaise devient un agresseur ou un harceleur.

Si on poursuit la logique victimaire des auteures de ce rapport, on devrait aussi éliminer les cours d’éducation sexuelle donnés dans les écoles primaires et secondaires. Ces cours abordent des sujets gênants pour certains professeurs et certains élèves, tels la description des organes sexuels, l’homosexualité, les transgenres, le condom et l’avortement. Bien des parents sont tellement mal à l’aise que ces sujets soient abordés avec leurs enfants qu’ils veulent éliminer ces cours. Les professeurs et le ministère de l’Éducation deviennent ainsi des harceleurs sexuels.

Les remarques désobligeantes et les attouchements, selon ce rapport, font partie des actes violents propres au harcèlement, qu’on devrait rapporter aux autorités en place. Tout frôlement corporel lors de festivités devient donc suspect. S’il s’avère ne pas être reçu favorablement, il est immédiatement associé au harcèlement.

Des conclusions non représentatives de la situation à l’université

De plus, près de la moitié de ces « violences » sexuelles (47 %) ont été commises lors d’activités sociales, ce qui inclut les activités hors de l’université. D’autres études rapportent que la majorité des violences sexuelles se produisent à l’extérieur des campus, lors d’événements sociaux ou d’activités festives. Alors, attribuer toutes ces violences sexuelles au milieu universitaire, comme le souligne le titre du rapport, ainsi que le reportage de Radio-Canada du 16 janvier 2017 intitulé « L’université, terreau fertile pour les violences sexuelles », est tout simplement fallacieux.

Ce n’est donc pas étonnant que 90 % des violences sexuelles n’aient pas donné lieu à des plaintes, parce que 79 % des « violenté(e)s » « croyaient que la situation n’était pas assez grave pour la signaler ». Selon le rapport, « cette faible fréquence de dénonciation fait écho à (une autre) étude… qui conclut que les victimes éprouvent des difficultés à reconnaître ce qu’est une violence sexuelle »… Ben voilà  ! Va falloir aussi éduquer les victimes pour qu’elles puissent décrire le malaise provoqué par une situation comme une violence dont elles sont victimes  !

Un problème d’échantillonnage qui biaise les résultats

Yves Boisvert, dans son article, a bien détecté le problème d’échantillonnage. J’évalue à au moins 150 000 le nombre de personnes contactées dans les universités québécoises et invitées à répondre au sondage. De ce nombre, il y a eu 9284 réponses, soit un taux de participation de moins de 6 %. On peut être certain que le très faible pourcentage des gens qui ont répondu au sondage sont ceux qui se sont sentis concernés par cet enjeu, et plus particulièrement ceux et celles qui ont été victimes d’agression ou de harcèlement.

Les auteures du rapport reconnaissent ce qui suit : « Comme les résultats obtenus n’ont pu faire l’objet d’une pondération, ils ne sauraient être généralisés à l’ensemble de la population étudiante ou travaillant à l’université. » Mais cette limite méthodologique a été évacuée du sommaire : « Cette recherche […] a permis d’établir un portrait des violences sexuelles se déroulant en contexte universitaire au Québec. » Et c’est cette dernière conclusion qui a été médiatisée.

En entrevue à l’émission Découverte, Manon Bergeron mentionne qu’elle veut déconstruire les mythes et préjugés liés à la violence sexuelle.

Par contre, je pense que ses démarches tendent davantage vers la construction de nouveaux péchés traduisant des inconduites sexuelles, non violentes, en violence sexuelle.

Elle aurait pu recevoir de Radio-Canada un prix pour son implication politique, mais sa nomination comme « scientifique de l’année » basée sur cette enquête tendancieuse est très discutable.

Finalement, j’aimerais inviter la communauté scientifique, ainsi que tous ceux qui s’intéressent aux violences de toutes sortes, à différencier davantage ce qui est vraiment violent de ce qui ne l’est pas. Faire des statistiques et mettre ensemble les cas graves d’agressions comme les viols avec les incivilités comme le fait de déshabiller du regard, ce n’est pas de la science. C’est de la militance politique victimaire. Et quand une bonne portion de la population peut se reconnaître à la fois comme victimes et comme agresseurs, je crois qu’il y a un problème majeur de définition des termes.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.