Guatemala  Migrants expulsés des États-Unis

Les rêves brisés des deportados

Depuis le début de l’année, près de 40 000 migrants guatémaltèques ont été expulsés des États-Unis, une augmentation de plus de 80 % par rapport à l’année précédente. Quelle vie attend les deportados une fois de retour au pays ? Notre collaboratrice est allée à leur rencontre. Un dossier de notre collaboratrice Cécile Debarge

Guatemala

« Revenir ici, pour nous, c’est  Ground Zero »

Chaque jour, des centaines de personnes débarquent à l’aéroport militaire de Ciudad de Guatemala après avoir été expulsées des États-Unis. Certaines d’entre elles, l’air un peu perdu, retournent dans un pays qu’elles ont à peine connu. Comment reconstruiront-elles leur vie ?

Ciudad de Guatemala, — Guatemala — Sur l’écran de son ordinateur, Ramón René Francisco Díaz suit attentivement les mots qui s’affichent en anglais. Aussi vite que possible, il les recopie. La sanction est immédiate : vert pour une dactylographie impeccable, rouge à chaque faute de frappe. « Il faut écrire au moins 30 mots par minute pour intégrer un centre d’appels », explique cet ancien aide-photographe.

Ce matin-là, dans les locaux de Te Conecta, ils sont trois hommes, comme lui, à se former à la dactylographie dans l’espoir de décrocher rapidement un travail. Tous sont des deportados, des migrants guatémaltèques de retour au pays après avoir été expulsés des États-Unis ou, plus rarement, du Mexique.

« Je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait »

Au septième étage d’une tour ultramoderne, la petite association est la seule à les accompagner dans leur recherche d’emploi. « Quand j’ai mis les pieds ici, je n’avais aucune idée de ce qui m’attendait », se souvient Ramón René Francisco Díaz. « Revenir ici, pour nous, c’est Ground Zero. »

Deux mois tout juste après son retour forcé des États-Unis, ce Guatémaltèque de 26 ans n’a pas encore tout à fait apprivoisé sa nouvelle vie. Originaire de Santa Cruz Barillas, dans la province de Huehuetenango, non loin de la frontière mexicaine, il a passé plus de 24 ans aux États-Unis.

« J’ai grandi avec les valeurs américaines, j’ai fait mes études là-bas et aujourd’hui, je suis de retour dans un pays dont je ne connais même pas le nom du président. »

— Ramón René Francisco Díaz dans un anglais américain aux inflexions californiennes

Comme lui, 39 573 migrants guatémaltèques ont été expulsés des États-Unis entre le 1er janvier et le 10 octobre. L’année dernière, ils étaient près de 25 000 à la même période. « Chaque jour, il y a entre un et trois vols qui atterrissent sur le tarmac de l’aéroport militaire de Ciudad de Guatemala, avec entre 120 et 130 passagers, c’est un flux continu », indique José Andrés Ordoñez, directeur général de Te Conecta.

Livrés à eux-mêmes

Inlassablement, chaque jour, les employés de l’ONG déploient une grande banderole à la sortie de l’aéroport militaire. « On présente nos activités aux migrants de retour et on les invite à passer nous voir au bureau », explique José Andrés Ordoñez. Son collègue, Yefri Naaman Ramos Gonzalez, a vécu des dizaines de fois ce moment. « C’est dur, ils sont complètement désorientés », décrit le jeune homme.

Le comité d’accueil qui attend les migrants de retour est sommaire : une fois leurs menottes retirées, ils descendent en file indienne avant d’être invités à décliner leur identité auprès des services de l’immigration. Cela peut durer une heure, une heure et demie. Puis, plus rien. « Je n’ai reçu aucune aide de la part du gouvernement, je n’ai eu aucun contact avec eux depuis mon arrivée », déplore Ramón René Francisco Díaz.

Par chance, quelques tantes et cousins étaient venus l’accueillir à l’aéroport. À ses côtés, Marlon Oliver Trujillo a eu moins de chance. « J’ai laissé mon fils de 9 ans aux États-Unis, mon père est à Chicago, mon frère à New York et le reste de ma famille éparpillée au Texas », détaille-t-il en ajustant un bandana blanc sur sa tête. À 44 ans, après plus de 25 années passées entre le Texas, le Michigan, la Californie et finalement l’Illinois, cet ancien ouvrier rêve de repartir aux États-Unis.

Mauvaise réputation

« Environ 30 % des personnes qui arrivent n’ont plus personne ici », constate le coordonnateur de projet de Te Conecta, Yefri Naaman Ramos Gonzalez. « Parfois, après un atelier, on mange une pizza tous ensemble, on essaie de recréer du lien », explique le directeur de l’association. Car au-delà de la solitude, les migrants de retour subissent surtout une forte discrimination.

« On nous prend pour des criminels », s’énerve Marlon Oliver Trujillo. « Moi, quand je me présente à un entretien d’embauche, on me demande pourquoi je parle si mal espagnol », raconte Ramón René Francisco Díaz. Certaines offres de travail, raconte-t-il, exigent au moins trois ans sur le territoire guatémaltèque, ce qui exclut, de fait, tous les migrants à peine arrivés.

Or, il est difficile d’envisager un changement des mentalités sans des prises de position fortes de la part des autorités. « Le gouvernement a une attitude honteuse sur ces questions de migration », tranche sans détour Enrique Álvares, député du parti de l’opposition Partido de Convergencia. « Tout ce qui leur importe, c’est de garder de bons rapports avec les États-Unis. » Après six ans à la tête de Te Conecta, José Andrés Ordoñez sait que le chemin est encore long : « Au-delà du travail, le défi, c’est que [les expulsés] se sentent à nouveau appartenir à cette société. »

500 000

Nombre de personnes qui traversent chaque année illégalement la frontière sud du Mexique pour tenter ensuite de remonter vers les États-Unis, selon des chiffres de l’ONU. Plusieurs fuient la violence et la pauvreté au Guatemala, au Salvador et au Honduras.

15,4 millions

Population du Guatemala. Environ la moitié des citoyens est âgée de moins de 19 ans.

Fuir le Honduras en passant par le Guatemala

Cette semaine, une autre caravane de migrants partie du Honduras s’est arrêtée au Guatemala en route vers les États-Unis, et s’est du coup attiré les foudres du président américain Donald Trump. Épuisés par des heures de marche sous le soleil et sous la pluie, avec quelques trajets en auto-stop pour les plus chanceux, un millier de migrants ont fait étape dans la nuit de mardi à mercredi dans la ville de Ciudad de Guatemala. Comme au Guatemala et au Salvador, les gangs font régner la terreur au Honduras, où 68 % des 9 millions d’habitants vivent sous le seuil de pauvreté. María Ramos, originaire du village d’Ocotepeque, près de la frontière avec le Guatemala, a expliqué à l’AFP qu’elle a décidé de s’exiler en assistant à la progression de la foule des migrants. « Quand nous les avons vus passer, nous avons décidé de partir nous aussi », dit la quadragénaire qui, dans une région en proie à la sécheresse, survivait à peine de la culture de maïs et de haricots. En apprenant que des milliers de migrants se dirigeaient vers les États-Unis, Donald Trump a vu rouge et a menacé de supprimer les aides de son pays au Guatemala et au Honduras s’ils ne mettaient pas un terme à cet exode. Pour le prêtre catholique Mauro Verzeletti, qui dirige la Maison des migrants de Guatemala, ces déclarations sont « démagogiques ». Le gouvernement américain « ne fait jamais rien pour les pauvres » et incite ainsi à l’exil, a-t-il dénoncé.

— D’après l’Agence France-Presse

« Je suis parti sans rien, je suis revenu sans rien »

L’histoire d’Elmer Leonel Hurtarte Mazen, 56 ans, de retour au Guatemala 30 ans après l’avoir quitté.

Elmer Leonel Hurtarte Mazen n’a jamais eu peur de l’inconnu.

« J’ai toujours voulu vivre, au jour le jour, comme si tout pouvait s’arrêter demain », explique-t-il en rigolant.

Tour à tour soudeur, homme de ménage, charpentier, peintre en bâtiment, surveillant de stationnement, il a vu sa maxime lui porter chance. Pendant près de 30 ans, il accumule les petits boulots aux États-Unis, au Rhode Island d’abord, puis à Los Angeles. Début 2016, pourtant, tout s’arrête.

« Je m’amusais beaucoup, j’allais au bar avec les copains et puis un jour, je me suis fait arrêter pour conduite en état d’ivresse. » Verdict du tribunal : l’expulsion immédiate. « Je suis parti sans rien, je suis revenu sans rien », résume cet homme de 56 ans.

Quand il arrive à l’aéroport La Aurora, personne ne l’attend. Une vie laissée aux États-Unis, une autre à reconstruire au Guatemala et, au milieu, l’inconnu. « Ç’a été beaucoup de sacrifices et maintenant, il faut tout recommencer, explique le quinquagénaire. Quand j’étais jeune, ça n’avait pas d’importance de ne rien manger. Aujourd’hui, le corps ne supporte plus. »

Ce qu’il supporte encore moins, c’est la discrimination dont souffrent les migrants de retour.

« Il ne faut pas oublier qu’on aidait aussi notre famille restée au Guatemala quand on travaillait aux États-Unis, dit-il. Aujourd’hui, c’est nous qui n’avons nulle part ailleurs où aller. »

Comment se passe une expulsion ?

« Ils sont venus me chercher chez moi, je n’ai pas eu le temps d’emporter quoi que ce soit » se souvient Marlon Oliver Trujillo, arrêté à Chicago à la fin de 2015. Ramón René Francisco Díaz, lui, a pu rentrer chez lui et récupérer quelques affaires après que le tribunal lui a notifié son expulsion. Alors qu’Elmer Leonel Hurtarte Mazen a été expulsé après une condamnation pour conduite en état d’ivresse et séjour illégal sur le territoire américain, sans rien emporter avec lui. Des différences qui s’expliquent, car la loi américaine prévoit des procédures d’expulsion différentes en fonction du type d’infraction.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.