Festival de jazz

Joie et consternation devant l’annulation de SLĀV

Après une semaine de controverse, le Festival international de jazz de Montréal (FIJM) a décidé d'annuler le spectacle SLĀV, créé par le metteur en scène Robert Lepage et la chanteuse Betty Bonifassi. Une décision qui suscite depuis hier après-midi de nombreuses réactions, alors que la manière dont la crise a été gérée par l'organisation s’attire les critiques.

En 39 éditions, c’est la première fois que le FIJM annule un spectacle dans la foulée d’une controverse. La nouvelle s’est répandue comme une traînée de poudre hier, faisant même l’objet d’un long article dans le New York Times. 

« Depuis le début des représentations de SLĀV, l’équipe du Festival est ébranlée et fortement touchée par tous les témoignages reçus. Nous tenons à nous excuser auprès des personnes qui ont été blessées et évidemment cela n’était pas du tout notre intention », peut-on lire dans le communiqué de presse du Festival.

Il y aura donc eu trois représentations de ce spectacle présenté au Théâtre du Nouveau Monde et qui devait rester à l’affiche jusqu’au 14 juillet. Les détenteurs de billets seront remboursés.

Selon le communiqué du Festival, cette décision aurait été prise conjointement avec Betty Bonifassi. Cette dernière – qui a subi une intervention chirurgicale au cours des derniers jours en raison d’une fracture à la cheville – a réagi sur Facebook.

« Je n’ai pas parlé jusqu’à présent pour deux raisons : la première, c’est que tout ceci m’a dépassée et que je n’ai absolument pas voulu cela. La deuxième, c’est que, depuis jeudi dernier, je suis à l’hôpital pour une triple fracture du pied et de la cheville, sous grosse médication et je ne pouvais donc pas répondre », a écrit l’auteure-compositrice-interprète.

Dans un communiqué, la compagnie théâtrale de Robert Lepage, Ex Machina, s’est gardée de tout commentaire, mais a précisé : « Robert Lepage travaille présentement à une nouvelle création, mais promet de réagir à la controverse entourant le spectacle SLĀV, et ce d’ici la fin de la semaine. »

Du côté du Théâtre du Nouveau Monde, on a expliqué hier en fin d’après-midi dans un communiqué que le théâtre n’avait « pas hésité à ouvrir sa scène pour offrir aux créateurs un lieu à la hauteur de leurs désirs artistiques ». Devant la décision du Festival de jazz d’annuler le spectacle et la controverse qui l’a entouré, la direction du théâtre s’est dite « sensible aux réactions qui ont été exprimées ». 

« Bien que l’annulation soit un échec pour l’acte créateur, il aura permis de débattre sur la place publique un important enjeu de notre société. »

— Extrait du communiqué du Théâtre du Nouveau Monde

De nombreuses personnes se sont injuriées sur les réseaux sociaux à propos de cette récente décision du Festival international de jazz de Montréal d’annuler le spectacle. 

Un groupe Facebook appelé « Je suis SLĀV » a entre autres été créé. « Boycottons le Festival de jazz de Montréal pour avoir annulé les représentations de SLĀV, le spectacle de Betty Bonifassi mis en scène par Robert Lepage, sous la pression des fâchistes (l’extrême gauche constamment fâchée). Leur chantage émotif a assez duré », peut-on lire dans la description de cette page Facebook. 

L’ART DE LA GESTION DE CRISE

Rappelons que bien avant le début des représentations, des personnes manifestaient leur malaise ou critiquaient le spectacle, accusant notamment les créateurs d’« appropriation culturelle ».

Lors de la première représentation, presque une centaine de personnes ont manifesté devant le Théâtre de Nouveau Monde. « Shame on you » et « Cancel the show » faisaient partie des slogans répétés.

Lundi, le musicien afro-américain Moses Sumney a annulé son spectacle prévu le lendemain dans le cadre du Festival de jazz, en réponse à la controverse.

Après la publication d’un communiqué défendant le spectacle et ses créateurs la semaine dernière, le Festival a systématiquement refusé de commenter le dossier.

Pour Frédéric Verreault, expert en gestion de crise chez Tact, le Festival n’aurait pas dû garder le silence et laisser la situation s’envenimer de la sorte.

« Il faut agir ! Il ne faut pas laisser le ciment prendre. C’est clair, clair, clair qu’en situation de crise, il faut dire le maximum de choses que l’on peut dire, même si c’est imparfait », explique l’associé chez Tact. 

« L’absence de communication est une communication en soi. Et sur la patinoire du gros bon sens, on dit souvent : “Qui ne dit mot consent.” Donc en ne parlant pas, ça suggère que nous sommes d’accord avec tout ce qui se dit. »

— Frédéric Verreault, expert en gestion de crise

« Or, poursuit-il, il y a assurément des gens compétents, des gens de bonne foi qui ont pris les décisions qui ont été prises, et là, elles sont incomprises parce qu’on ne les connaît pas. »

À la fin de son court message publié sur Facebook, Betty Bonifassi a d’ailleurs écrit qu’elle expliquerait sous peu ses décisions artistiques : « Je tiens à finir par dire que je m’exprimerai sur la musique que j’ai jouée et que j’ai conçue pour le show dès que je le pourrai physiquement. »

Le débat relancé sur les réseaux sociaux 

L’annulation du spectacle SLĀV a entraîné une pluie de réactions sur les réseaux sociaux. Voici quelques gazouillis de personnalités québécoises. 

La directrice du Théâtre du Rideau Vert, comédienne, réalisatrice et metteure en scène Denise Filiatrault prend peu la parole sur Twitter. Hier soir, elle a écrit : « Du mal à accepter cet affront au très grand créateur qu’est Robert Lepage et aux artisans de ce spectacle. »

Paul Arcand n’a pas mâché ses mots : « Quand on programme une œuvre, on la laisse traverser les tempêtes. À moins de vivre dans une société aseptisée. Ce qui est le cas du Québec aujourd’hui. Pathétique ! »

Myriam Fehmiu, animatrice à ICI Musique, a écrit : « On a manqué une belle occasion de se rapprocher, de se parler, peut-être de se comprendre. »

Benoît Dutrizac, qui a vu le spectacle, a entre autres écrit : « SLĀV, avec tous ses défauts et qualités, est censuré parce que le casting n’est pas au goût des intégristes de gauche. Je ne reconnais plus le Québec. »

L’humoriste Guy Nantel a publié un texte sur sa page Facebook. Il y dit notamment : « Incroyable comme tout le monde plie devant les doléances des nonos paranos de notre société qui voient du racisme partout. »

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