Les Filles Fattoush

Des réfugiées syriennes cuisinent pour mieux s’intégrer

Une odeur d’épices flotte dans la petite cuisine du quartier industriel de Mont-Royal où quatre cuisinières s’affairent. Elles ont une commande à livrer : mezze syriens, hommos (purée de pois chiches), mutabal (purée d’aubergines), rouleaux au fromage, kibbé, feuilles de vigne et kataief, le dessert.

Ces femmes sont toutes des réfugiées syriennes arrivées à Montréal il y a environ deux ans, parfois moins. Elles sont ravies de travailler pour le projet d’économie sociale Les Filles Fattoush, fondé par l’entrepreneuse Adelle Tarzibachi et Josette Gauthier, productrice de documentaires à caractère social.

Les Filles Fattoush est un service de traiteur syrien pour particuliers et entreprises au service de petits et grands groupes, à domicile ou au bureau. Au choix : buffet ou boîte à lunch composés de salades, de mezze froids et chauds, de plats authentiques parfumés aux épices et au sumac, végétariens ou avec de la viande.

L’intégration par le travail

Josette Gauthier et Adelle Tarzibachi avaient envie de faire quelque chose de très concret pour aider les réfugiés. « Au-delà de l’accueil, des tuques, manteaux et passes d’autobus qu’on leur donne, ce qui est très bien, je me demandais ce qu’on pouvait faire pour les intégrer, et l’étape suivante, c’est le travail. J’ai rencontré Adelle et nous étions emballées par cette idée de créer un service de traiteur de cuisine syrienne, une première à Montréal », explique Josette Gauthier, qui a produit le documentaire Théâtre de la vie sur l’expérience sociale du célèbre chef Massimo Bottura, qui a créé à Milan une soupe populaire pour les plus démunis.

Il existe aussi à Toronto Newcomer Kitchen, mais le concept est différent : une fois par semaine, des réfugiées syriennes se réunissent pour cuisiner un repas, le vendent en ligne et le font livrer.

Les Filles Fattoush est une entreprise qui a une mission sociale : celle d’engager des réfugiées syriennes pour qu’elles puissent s’intégrer, gagner leur vie et se faire des amies.

« Ça leur permet de retrouver leur dignité, indique Mme Gauthier. Elles sont parties de Syrie, sont arrivées ici sans rien. Elles sont très reconnaissantes de l’accueil, mais il faut en faire plus pour les aider. »

Adelle Tarzibachi, originaire d’Alep, est arrivée à Montréal en 2003. Elle a fondé l’entreprise Adeco Import, qui se spécialise dans l’importation de produits artisanaux naturels syriens comme le savon d’Alep. Elle a toujours gardé des liens étroits avec la Syrie, mais en 2015, lorsque le Canada a décidé d’accueillir 25 000 réfugiés, elle s’est impliquée dès les premiers jours. « Ils ont été obligés de quitter leur pays, il fallait agir pour leur donner du courage et leur dire : “Vous allez recommencer à zéro, on est là pour vous, il y a de l’espoir” », souligne l’entrepreneuse.

« J’espère qu’à travers Les Filles Fattoush, les femmes vont aimer leur nouvelle vie, vont sortir de leur maison, découvrir d’autres gens, tout en gagnant de l’argent. »

— Adelle Tarzibachi, cofondatrice des Filles Fattoush

Mme Tarzibachi estime que la plus grande difficulté reste la langue, qui constitue un grand défi, car apprendre le français à 50 ans est plus difficile qu’à 15 ans.

Le service de traiteur des Filles Fattoush, dont les activités ont commencé en septembre, a reçu ses premières commandes grâce au bouche-à-oreille : Sid Lee, IGA, C2 Montréal et l’agence Bob sont parmi ses premiers clients. « On cuisine toujours la journée même, jamais à l’avance, c’est très frais et authentique », précise Adelle Tarzibachi. 

Il y a désormais une vingtaine de femmes qui y travaillent en rotation, selon les commandes. « Elles sont fières de leur culture, de leurs traditions, mais elles ne font pas que cuisiner les mets de leur pays, elles les apportent aussi sur place. Lors d’événements, elles sont présentes pour assurer le service, elles discutent avec les clients, ce qui suscite de belles rencontres », explique la cofondatrice.

Une atmosphère conviviale

Dans la cuisine, l’atmosphère est joyeuse, les femmes parlent arabe, mais s’exercent aussi à parler français. Elles expliquent qu’un de leurs plats préférés est l’aubergine farcie. « Il faut choisir les petites aubergines, car ce sont les meilleures », nous conseille Hala Saadeh, qui est arrivée à Montréal il y a un an, avec son mari et leurs quatre enfants. Elle travaillait déjà en cuisine en Syrie, dans une entreprise familiale avec sa fille. Elle confie qu’elle s’est fait des amies ici, au sein des Filles Fattoush.

Mathiled Shahinian vit à Montréal depuis deux ans. Elle est arrivée avec son mari et leurs deux enfants. La Syrie lui manque, mais celle qui était mère au foyer apprécie le sourire des Montréalais.

Seba Chahda, qui a trois enfants, était enseignante à l’école primaire. Sa voisine de Laval, Majdoline Saad, a deux enfants et « ils parlent très bien français, mieux que nous ».

« Aimez-vous la cuisine syrienne ? nous demandent-elles. Et le kibbé, vous avez goûté ? Il y a toutes sortes de kibbé. Vous avez le choix ! Une fois que vous goûtez à notre cuisine, vous allez en redemander, c’est certain ! », lancent les quatre femmes en riant.

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