« Il était sur la liste de ceux qui devaient partir. Cela faisait des années qu’on se demandait pourquoi ce gars-là respirait encore », confie une source policière à La Presse.
« Il était le dernier dossier à régler », renchérit une autre.
La vengeance posthume de l’ancien parrain de la mafia montréalaise, Vito Rizzuto – mort de façon naturelle il y a cinq ans – est l’hypothèse privilégiée par les policiers spécialisés dans la lutte contre le crime organisé pour expliquer l’assassinat de l’entrepreneur en construction Antonio Magi.
Le corps de l’homme d’affaires de 59 ans a été découvert atteint de plusieurs balles, certaines à la tête, vers 11 h 15 hier en matinée devant une porte de garage d’un immeuble en construction de la rue Beaconsfield, près de la rue Saint-Jacques, dans le secteur Notre-Dame-de-Grâce. Le décès a été constaté sur place, même si, officiellement, les autorités ont d’abord déclaré que l’homme se trouvait dans un état critique.
Un homme marqué
L’homme d’affaires était sur la corde raide depuis des années, particulièrement depuis le 28 décembre 2009, date à laquelle son associé obligé, le fils aîné de Vito Rizzuto, Nicolo a été tué près des bureaux de la compagnie de Magi, FTM Construction, sur la rue Upper Lachine.
Les noms de Magi et d’un chef de gang qui travaillait pour sa sécurité, Ducarme Joseph, sont constamment revenus dans l’enquête policière sur l’assassinat du fils du parrain au fil des ans. L’entrepreneur a toujours nié son implication.
En 2005, Magi a été victime d’un enlèvement pour une affaire vraisemblablement liée à la mafia et est parvenu à fuir ses ravisseurs, les mains encore attachées dans le dos.
En 2008, il a été criblé de projectiles alors qu’il se trouvait à bord de son véhicule sur le boulevard Cavendish et a miraculeusement survécu. Magi a soupçonné les Rizzuto d’être derrière cet attentat et ceux-ci ont nié également.
Par la suite, Magi s’est déplacé en VUS blindé, flanqué de gardes du corps, dont d’anciens policiers. En septembre 2010, il a été arrêté pour possession d’arme par les enquêteurs du SPVM, dont Philippe Paul, aujourd’hui retraité.
« À l’époque, on présumait qu’il y avait un contrat d’opportunité sur Tony Magi et Ducarme Joseph. »
— Philippe Paul
Dans le milieu criminel, on appelle « contrat d’opportunité » un contrat ouvert qui peut être exécuté par quiconque souhaite gagner quelques dizaines de milliers de dollars. L’offre circule de bouche à oreille, et la première personne à accomplir la funeste mission peut venir toucher la prime.
Lorsqu’ils ont perquisitionné chez l’homme d’affaires, les enquêteurs ont trouvé un pistolet semi-automatique dans sa table de chevet et des rouleaux de plastique à appliquer sur les fenêtres pour les rendre à l’épreuve des balles. Magi a plaidé coupable, mais a reçu une absolution inconditionnelle. Il a souvent été avisé par les policiers que sa vie était en danger et il se servait de cet argument pour justifier sa conduite.
Après le meurtre de Nicolo Rizzuto, Tony Magi a été victime d’au moins deux attentats ratés connus, alors qu’un homme avait ouvert le feu en direction de la voiture conduite par sa femme durant l’hiver 2011 et qu’un individu avait été aperçu, avec une arme d’épaule, sur son terrain privé en 2013.
« Selon moi, Magi avait baissé la garde », a réagi un policier, tentant d’expliquer comment il a pu se faire tuer après tant d’années.
Pacte avec le diable
Selon des policiers, les problèmes de Tony Magi et ses liens avec la mafia ont commencé lorsque l’homme d’affaires a eu des ennuis financiers liés à la construction de l’édifice de condos de luxe du 1000, de la Commune, dans un ancien entrepôt frigorifique du Vieux-Montréal.
Des investisseurs, qui craignaient de perdre leur argent, ont demandé à Vito Rizzuto de s’impliquer dans ce dossier. C’est à ce moment que le parrain a placé son fils Nicolo auprès de Tony Magi, selon ce qu’il a raconté lui-même à des enquêteurs qui l’ont visité au pénitencier de Florence, au Colorado, où il purgeait une peine pour un triple meurtre commis à New York en 1981, et aux enquêteurs de la commission Charbonneau.
« Mon fils ne devait pas mourir ! », avait-il lancé à Pascal Leclair et Jean-François Veillette du SPVM, en frappant de son poing une table de la salle commune du pénitencier de Florence.
Ce serait à la fin des années 2000 que Magi aurait embauché Ducarme Joseph pour sa protection. Selon nos informations, les enquêteurs ont découvert des indices qui laissent croire que Ducarme Joseph et certains de ses hommes étaient présents sur les scènes des meurtres de Nicolo Rizzuto jr et de Federico Del Peschio, copropriétaire du restaurant La Cantina et ami très proche des Rizzuto tué durant l’été 2009.
Joseph a été tué en 2014. « C’était une question de temps » avant que Magi ne subisse le même sort, nous ont écrit hier des sources des milieux judiciaire et policier. D’autant que plus le temps passait, plus ces délais auraient pu être interprétés comme un signe de faiblesse de la part du clan des Siciliens.
« C’est l’influence de la famille. Il fallait venger la mort violente du fils. La boucle s’est bouclée hier », a conclu un autre policier.
Relations houleuses
Mais même si la vengeance posthume du parrain est la thèse privilégiée, les enquêteurs devront également examiner les affaires de Magi, qui n’avait pas la réputation d’être un partenaire facile.
Par exemple, Tony Magi et sa famille étaient impliqués depuis des années dans un litige extrêmement acrimonieux avec le financier Allan Schachter. L’affaire tirait sa source d’un prêt de 2,4 millions accordé en 2008 par Schachter pour appuyer la réalisation d’un projet immobilier dans le secteur de la rue Bois-des-Caryers, auquel participait l’entreprise de construction des Magi. La cause devait revenir devant le tribunal en février, après une douzaine d’allers-retours devant le juge au fil des ans.
Schachter prétendait que le prêt avait été renouvelé verbalement au taux d’intérêt de 12 % en 2013, ce que les Magi niaient. Un expert chimiste était venu analyser l’encre des signatures sur certains documents en raison de soupçons d’irrégularités. Des allégations relatives à des centaines de milliers de dollars en argent comptant collectés en cachette auprès des acheteurs de maisons et de condos du secteur avaient été lancées. Le juge avait même dû se pencher sur la trahison d’un ami d’enfance de Schachter parti travailler pour la famille Magi. Certaines estimations chiffraient maintenant la créance à 5 millions de dollars, en raison des intérêts accumulés.
En décembre 2017, la résidence d’Allan Schachter à Mont-Royal avait été la cible d’un cocktail Molotov. Puis, en mai dernier, un immeuble du secteur Bois-des-Caryers a été la cible d’un incendie criminel. Une femme de 61 ans est morte dans le brasier. Selon nos informations, la police soupçonne que l’incendie mortel pourrait avoir un lien quelconque avec cette dispute entre le prêteur et les emprunteurs.
Pour joindre Daniel Renaud, composez le 514 285-7000, poste 4918, écrivez à drenaud@lapresse.caou écrivez à l’adresse postale de La Presse.