La vie avec les autres

Le complexe de Salomon
Hélène Vachon
Alto
100 pages
Trois étoiles et demie

Hélène Vachon aime les rencontres inusitées, les contraires qui s’attirent, les liens qui se tissent. Autrice d’une vingtaine de livres jeunesse en 25 ans, elle a aussi à son actif trois romans dits pour adultes – dont l’excellent Attraction terrestre, publié en 2010 – et maintenant un recueil de nouvelles, en librairie depuis mardi.

Dans Le complexe de Salomon, l’œil aiguisé d’Hélène Vachon se pose sur toutes sortes de gens et de situations, sans complaisance, mais avec toujours cet éclat d’humanité qui la distingue. Dès la première nouvelle, L’arrêt 139, dans laquelle un homme tout juste sorti de prison résiste aux provocations d’un grossier personnage qui déverse sur lui sa mauvaise foi et ses préjugés, on sait que ce recueil de 12 très courts textes – le livre tient en moins de 100 pages – atteindra sa cible chaque fois.

Un soupçon de cruauté, une dose de surréalisme, de l’humour, de la sensibilité, de la profondeur, et une écriture tellement précise que chaque petit récit se tient parfaitement même si les univers décrits sont à des lunes les uns des autres : c’est ce qui fait la force d’Hélène Vachon. L’autrice de Québec est capable autant de nous tenir en haleine avec l’histoire d’un écrivain qui cherche à se débarrasser de ses livres invendus que de nous faire partager la douleur d’un ado en deuil de son chien, d’entrer dans la tête de Stefan Zweig ou de nous faire rire franchement avec un entretien décalé entre une jeune journaliste et un écrivain dur d’oreille.

Certaines nouvelles laissent un peu dubitatif, particulièrement celles qui se veulent davantage absurdes. Par exemple, le dialogue des deux psys à propos du bonheur et l’histoire de ce monsieur trop gentil qui ne saisit pas la méchanceté du monde sont peut-être un peu trop théoriques. Mais l’ensemble reste vraiment subtil, brillant et original – mention à la bouteille d’eau « intelligente » –, et rendu avec une telle économie de moyens qu’on ne peut qu’être impressionné.

On ressort de cette lecture aussi charmé que dérangé par cette étrange galerie de personnages, tous plus ou moins bien adaptés à la vie avec les autres. Mais n’est-ce pas notre cas à tous ? C’est probablement ce qu’Hélène Vachon, en totale maîtrise de ses moyens, a envie de nous dire. En cette période de déconfinement, alors qu’on réapprend doucement les rapports sociaux, ce livre arrive d’une certaine manière à point pour nous rappeler que la vie en société n’est pas toujours aussi facile qu’on le pense.

Critique

Poésie du territoire

Et arrivées au bout nous prendrons racine
Kristina Gauthier-Landry
La Peuplade
128 pages
Trois étoiles et demie

Il y a une telle douceur et un ravissement qui touchent à la fois à la naïveté de l’enfance et à la nostalgie de l’adulte qui se la remémore dans ce magnifique recueil de poésie signé Kristina Gauthier-Landry. Originaire de Natashquan sur la Côte-Nord, elle nous y fait voyager à travers une série de petits poèmes instantanés qui se seraient fixés sur la rétine comme un soleil fixé trop longtemps, laissant des traces qui accompagnent le regard où qu’il se pose. Au fil des pages qu’on parcourt comme un roadtrip poétique, émerge un sentiment de nostalgie qui flotte et enveloppe, dans l’œil de celui qui regarde le temps passé qui décolore lentement les souvenirs comme « les photos javel / qui t’efface en boucle ».

Signant ici son premier recueil, Gauthier-Landry, qui a remporté en 2019 le prix Geneviève-Amyot pour sa suite poétique tes choses sauvages, sait manier avec doigté et une simplicité désarmante images et métaphores, crée des alliages étonnants qui donnent vie aux choses et à la matière, alors que l’homme, lui, s’unit à l’immensité de la nature et en prend les caractéristiques. « ce matin / tu reviens / comme le capelan tes yeux trempes/roulés dans les miens / tes épaules cadre de porte/me frétillent ». Mariant l’anecdotique au poétique, elle égrène la liste de bonheurs simples (« un sac de chips / un crush aux fraises/un tour de char/au dépanneur »), comme autant de bijoux précieux sur ce « territoire qui force la patience ». Elle y frôle au passage les rêves impossibles et doux portés par la marée et l’air du large, mais évoque aussi la solitude et l’enfermement de ce coin de pays du bout du monde.

Ce recueil est une volonté de faire jaillir la parole faite femme, de renouer cette relation intime entre la féminité et le territoire, comme on le comprend dans l’incipit du recueil : « retourner au début / rebrousser les entrailles / pour qu’un jour bien droites/telles des épinettes nous puissions dire / c’est ici que nous sommes nées ». L’autrice trace avec ses poèmes ce chemin à l’envers, ce retour à la source, et tente de saisir la promesse que tend l’espace sauvage (« cueillir l’air mouillé / du pays vert / puis émerge l’évidence/nous sommes venues de la mer »). Et, enfin, y prendre racine.

Une bouffée d’air frais poétique qui fait grand bien en ces temps teintés de couleurs moroses.

— Iris Gagnon-Paradis, La Presse

Comprendre les facteurs humains d’une tuerie

Le noir entre les étoiles
Stefan Merrill Block
Albin Michel
450 pages
Quatre étoiles

Cela fait presque 10 ans qu’Oliver Loving gît dans un coma profond, victime d’un tireur fou dans son école secondaire. Un nouvel examen médical semble toutefois déceler une certaine activité cérébrale. Oliver a-t-il été présent, emprisonné dans son propre corps, pendant toutes ces années ? Les membres de sa famille, rongés par la détresse et les regrets, pourront-ils enfin comprendre ce qui s’est vraiment passé le soir du drame ? Habilement, Stefan Merrill Block alterne entre les points de vue des divers personnages et leur confère ainsi une très grande humanité. L’auteur aborde avec empathie cette période charnière que constitue l’adolescence et engage une réflexion sur la valeur d’une vie. En chemin, il dresse un portrait fascinant de la société texane.

— Marie Tison, La Presse

Les touches de couleur de Christine Eddie

Un beau désastre
Christine Eddie
Alto
186 pages
Trois étoiles et demie

On pourrait trouver que les romans de Christine Eddie sont saturés de bons sentiments et les juger un peu cucul. Pourtant, il y a un ton chez l’autrice des Carnets de Douglas, un humour teinté d’ironie, et surtout une affection pour les personnages légèrement désespérés, qui finissent par vaincre toutes les résistances. C’est le cas particulièrement pour Un beau désastre, joli récit d’apprentissage qui suit les traces de M.-J., ado pas comme les autres qui voit la vie en noir jusqu’au jour où lui-même commence à mettre de la couleur dans son quartier populaire tout gris. Dans le Vieux-Faubourg, M.-J. et sa tante Célia sont entourés d’une foule de gens « ordinaires » auxquels Christine Eddie, qui sait dépeindre avec autant de justesse que d’empathie une situation, une relation ou un sentiment, donne une touche d’extraordinaire. L’autrice arrive toujours le doigt sur la faille, la beauté, le moment de leur histoire où tout a basculé pour le meilleur ou pour le pire. Résultat : ce qui au départ peut sembler une histoire pas mal tirée par les cheveux devient une belle allégorie sur la force de l’art, la puissance de la solidarité et l’amour capable de tout. Ce très beau roman sorti en février, juste avant la pandémie, est certainement un antidote à la morosité et à l’incertitude ambiantes, comme M.-J. l’aura lui-même été pour le monde autour de lui.

— Josée Lapointe, La Presse

Unis dans le désir de vivre

Les belles histoires d’une sale guerre
Alain Stanké
Hugo Doc
256 pages
Trois étoiles

La Seconde Guerre mondiale, c’est autour de 62 millions de morts. Et des centaines de millions, voire des milliards de désirs de vivre. C’est ce qu’ont en commun les personnages de cet ouvrage d’Alain Stanké : un formidable désir de vivre et, bien souvent, d’aider l’autre à vivre. Encore aujourd’hui, ce n’est pas banal ! Ici, un amour retrouvé 75 ans après le débarquement de Normandie. Là, un Canadien qui a sauvé les arbres de Paris. Plus loin, une amitié de 40 ans entre un lieutenant de vaisseau québécois et le capitaine d’un sous-marin allemand, le navire du premier ayant coulé celui du second dont l’équipage a été rescapé. Ou encore, une fausse infirmière qui, dans la Pologne occupée par les nazis, réussit à sauver la vie de quelque 2500 enfants. Et que dire de ce soldat allemand devenu archevêque après un séjour, comme occupant, chez les Bénédictines ! Des histoires gentilles, bénignes, qui font sourire et qui font du bien sont ici regroupées. Racontées sur un ton très décontracté, comme si l’auteur s’adressait à un vieil ami, les histoires courtes sont moins intéressantes que les plus longues, mieux documentées. Pour les regrouper, M. Stanké a plusieurs fois puisé dans le matériel de ses documentaires.

— André Duchesne, La Presse

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