Chansons pour filles et garçons perdus

Stonerie avec poètes d’ici

Pendant 10 ans, Loui Mauffette a convié sur scène prose et poésie d’ici et d’ailleurs avec ses spectacles-événements Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent. L’homme de théâtre est de retour avec une nouvelle stonerie poétique, Chansons pour filles et garçons perdus. La Presse a assisté à une répétition.

Ils sont quinze. Quinze à bourdonner, texte en main, entre les bouts de ruban gommé qui délimitent ce qui sera un vaste carré de sable. Au milieu de l’espace, un coffre, quelques chaises, un piano. Dans un coin, les instruments des musiciens.

Quinze interprètes, ce n’est pas trop pour s’attaquer au dernier spectacle sorti de la tête survoltée de Loui Mauffette. Avec son complice, le metteur en scène Benoit Landry, Mauffette a rassemblé autour de lui des amis, ceux qu’il appelle ses passeurs de poésie : acteurs et musiciens qui, depuis l’été dernier, fouillent la prose et la poésie d’ici à la recherche de vers qui émeuvent, de strophes qui mobilisent, de mots qui apaisent.

« Le processus est le même que pour Poésie, sandwichs et autres soirs qui penchent, explique Benoit Landry. On lit, on lit, pour trouver des textes qui nous conviennent, sauf que cette fois, on avait un nouveau défi. Comme le spectacle est d’abord présenté au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui pour souligner ses 50 ans d’existence, puis à la Place des Arts, nous nous sommes imposé la contrainte de ne présenter que des textes québécois. »

Un changement qui donne le vertige à Loui Mauffette, habitué de piger dans toutes les littératures et toutes les époques pour concevoir ses stoneries poétiques qui ont marqué le paysage culturel montréalais de 2006 à 2016.

Pour « varier les saveurs, les textures », il doit donc faire appel à des poètes jeunes ou plus anciens. Il puise allègrement dans le répertoire de la chanson québécoise. Il convoque de grands noms – on pense à Nelligan, à Joséphine Bacon, à Miron – et d’autres, méconnus ou oubliés, comme la chanteuse Chantal Beaupré ou l’auteure Jacqueline Barrette.

« Le texte de Jacqueline Barrette est tiré d’une revue Patriote de 1972. Je l’ai lu pour la première fois quand j’avais 12 ans ! J’ai un côté kitsch très assumé », lance en riant celui qui n’a découvert la poésie que tardivement, alors qu’il devait lire un poème signé par son père, l’animateur de radio et poète Guy Mauffette, aux funérailles de ce dernier, en 2005.

Un spectacle anti-cynisme

Ses Chansons pour filles et garçons perdus, Loui Mauffette les voit comme « des retrouvailles d’amis qui ont envie de se chanter des tounes, de se refaire des classiques qu’ils connaissent. Ce n’est ni grandiloquent ni prétentieux. Et ce n’est surtout pas une encyclopédie de la poésie québécoise. C’est un show sur l’enfance, la période amoureuse et la mort, parce que la mort a beaucoup frappé autour de moi dans les dernières années ».

« C’est un spectacle anti-cynisme où on fait beaucoup de place au rêve. Car nous sommes tous des filles et des garçons désorientés, qui cherchent l’absolu et qui sont en recherche constante de leur enfance. »

— Loui Mauffette

Malgré la distribution imposante, Chansons pour filles et garçons perdus se veut un spectacle implosif et intimiste. Un happening jubilatoire sans être un carnaval, une communion qui ne verse pas dans la grand-messe. Et une forme de résistance au climat ambiant, estime Benoit Landry.

« En 2019, il n’y a pas grand-chose de plus politique ou qui ait plus de teneur sociale qu’un spectacle de poésie. Dans la poésie, il y a de l’invisible, de l’intangible, du temps… C’est tout ce qui manque au monde en ce moment. »

Au Centre du Théâtre d’Aujourd’hui, du 23 avril au 4 mai, et à la Cinquième Salle de la Place des Arts, du 9 au 19 mai

Les coups de cœur poétiques de quatre acteurs

Kathleen Fortin

« Tue-moi. Si j’oublie. »

— Joséphine Bacon

« Je ne sais pas pourquoi ce vers résonne si intensément en moi présentement ; c’est peut-être à cause de notre devoir de mémoire collective que je trouve inexistant. J’adore Joséphine Bacon. Elle a une simplicité, une sobriété. C’est une auteure très enracinée. J’ai un grand appel de la poésie autochtone ; il y a quelque chose qui me parle viscéralement là-dedans, même si je n’ai pas de racines autochtones. Et Joséphine Bacon est la mère de la poésie contemporaine autochtone. »

Jean-Simon Leduc

« Je n’oublierai jamais comment rêver avec mes mains »

— François Guerrette

« Quand j’entends ce vers, il me rentre dedans. Je trouve ça beau parce que ça relie vraiment l’acte de la poésie, qui est de l’ordre du rêve et de l’intangible, avec l’écriture, qui est hyper concrète. Ça nous rappelle de continuer à rêver, mais de le faire de façon concrète, dans des projets incarnés. »

Mylène Mackay

« J’étais enfant et j’ai dit à la lune des paroles entremêlées de vase et de lumière comme un arc-en-ciel ensorcelé par un prisme et j’ai souvenir de vêtements trop étroits ou trop larges. »

— Claude Gauvreau

« La jeune fille et la lune est un texte tellement grandiose et extraordinaire ! Gauvreau nous amène dans un niveau de subconscient entre douceur et violence, entre fragilité et rudesse. Il nous ramène directement à l’enfance. Ce texte est une espèce de mort lente ou de renaissance. Ça va bien avec le printemps et l’hiver qui ne se termine pas. C’est un espoir de lumière. Ça représente bien ce spectacle qui est là pour réconforter les gens et qui nous aide à avancer dans la noirceur. »

Macha Limonchik

« j’élève une voix parmi des voix contraires

sommes-nous sans appel de notre condition

sommes-nous sans appel à l’universel recours

hommes, souvenez-vous de vous en d’autres temps »

— Gaston Miron

« J’ai choisi cet extrait des Années de déréliction parce que j’aime beaucoup les moments où Miron fait des appels à tous les hommes du Québec. C’est un appel à se souvenir, à se tenir debout, à rêver ensemble… Gaston Miron est un poète qui me jette à terre, qui a le talent de me démolir et de me reconstruire à l’intérieur d’un même poème. Il me démolit par sa lucidité, sa violence, sa peine, mais en même temps, il me donne du courage. Ce sera la première fois que je dirai du Gaston Miron sur scène. J’en ai dit à mon mariage, mais je pleurais tellement que personne n’a compris un mot, c’est sûr ! »

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