Analyse

Des élections partielles périlleuses

Ottawa — Profitant de son passage à Kamloops, en Colombie-Britannique, hier, le premier ministre Justin Trudeau a finalement exaucé le souhait de tous ses adversaires politiques en déclenchant des élections partielles dans trois circonscriptions jugées cruciales au pays.

Les électeurs des circonscriptions d’Outremont, au Québec, de York–Simcoe, en Ontario, et de Burnaby-Sud, en Colombie-Britannique, iront aux urnes le lundi 25 février, a confirmé hier le bureau du premier ministre dans un bref communiqué de presse. La durée de la campagne pour ces partielles sera assez longue – 47 jours en tout –, alors qu’elle était limitée à 36 jours dans le passé, soit le minimum requis par la Loi électorale du Canada.

À l’unanimité, le chef du Parti conservateur, Andrew Scheer, le chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), Jagmeet Singh, la leader du Parti vert, Elizabeth May, et le chef intérimaire du Bloc québécois, Mario Beaulieu, avaient réclamé en octobre le déclenchement de ces élections partielles dans les plus brefs délais dans une lettre qu’ils avaient fait parvenir à Justin Trudeau, jugeant inacceptable le temps qu’il s’accordait pour donner une voix à Ottawa aux électeurs de ces circonscriptions.

À moins de 10 mois des élections générales, ces élections partielles constituent un test de la plus haute importance pour l’ensemble des chefs et de leurs troupes. Dans les coulisses, les stratèges des principales formations politiques soutiennent qu’elles donneront le ton aux échanges – déjà acrimonieux à la Chambre des communes – qui meubleront les prochains mois d’ici la tenue du scrutin fédéral, le 21 octobre.

« S’il perd, il est cuit »

Sans siège aux Communes depuis qu’il a été élu à la tête du NPD, en octobre 2017, Jagmeet Singh joue essentiellement sa carrière le 25 février, lui qui brigue les suffrages dans la circonscription de Burnaby-Sud.

D’aucuns croient qu’une défaite pourrait le forcer à démissionner de son poste de chef du parti. Un sondage publié en novembre et mené par la firme Mainstreet Research démontrait qu’il arrivait troisième dans les intentions de vote avec seulement 27,2 % des voix, derrière le Parti libéral (35,9 %) et le Parti conservateur (29,3 %). Dans une entrevue de fin d’année accordée à La Presse, en décembre, Jagmeet Singh a promis de faire mentir les sondages – et les prophètes de malheur – qui lui prédisent un cuisant revers.

Même s’il a réitéré cette semaine son intention de rester à la tête du NPD en cas de défaite, peu de néo-démocrates croient que Jagmeet Singh pourrait s’accrocher. 

« S’il perd, il est cuit », a résumé hier un stratège néo-démocrate. Dans les coulisses, on a déjà pensé à un plan B pour lui désigner un successeur. Les coffres du NPD étant loin d’être garnis et le parti ne pouvant se permettre une course au leadership à quelques mois des élections, il incomberait au caucus de choisir un nouveau chef. Les noms des députés Nathan Cullen, de la Colombie-Britannique, et Guy Caron, du Québec, reviennent le plus souvent dans les conversations sur le chef qui pourrait faire consensus. Nathan Cullen est un parlementaire redoutable, tandis que Guy Caron assume les fonctions de chef parlementaire du NPD aux Communes depuis 15 mois.

Perdre pour gagner ?

L’arrivée d’un nouveau chef au NPD capable de mobiliser les troupes à l’approche des élections pourrait modifier considérablement la donne politique. Le NPD pourrait-il reconquérir une partie du terrain perdu au cours des dernières années au profit des libéraux de Justin Trudeau et grappiller suffisamment de votes sur le flanc gauche pour mettre en péril un deuxième mandat majoritaire ? 

Cette possibilité n’est pas écartée par les stratèges libéraux, qui voient en Jagmeet Singh un allié objectif en raison de la faiblesse de son leadership. D’ailleurs, ces mêmes stratèges libéraux ont longtemps jonglé avec l’idée de ne pas présenter de candidat dans Burnaby-Sud. Les libéraux auraient pu ainsi emboîter le pas à la leader du Parti vert Elizabeth May, qui a choisi de ne pas présenter de candidat en signe de courtoisie.

« Si le NPD peut remonter un peu au cours des prochains mois, ce serait une bonne nouvelle pour nous », a affirmé hier une source conservatrice, qui s’exprimait sous le couvert de l’anonymat.

La source conservatrice s’est dite convaincue qu’une remontée du NPD pourrait donner de sérieux maux de tête aux libéraux de Justin Trudeau et chambouler leur stratégie électorale visant à obtenir un deuxième mandat.

Ayant claqué la porte du Parti conservateur en août avant de fonder son propre parti, le Parti populaire du Canada, Maxime Bernier joue aussi gros durant ces élections partielles. Son parti présentera des candidats dans les trois circonscriptions. Lundi, Maxime Bernier a annoncé que Laura-Lynn Tyler Thompson, qui milite ouvertement contre l’avortement, porterait la bannière de son parti dans Burnaby-Sud. Le député de Beauce affirme que son parti présentera des candidats dans chacune des élections partielles à venir. On pourra alors jauger l’attrait de ses politiques qui visent à réduire la taille de l’État, à abolir le système de gestion de l’offre et à diminuer le nombre d’immigrants qui s’installent au pays, entre autres choses.

Partielles dans Outremont et York–Simcoe

Au Québec, l’élection partielle dans Outremont fait figure de symbole, d’autant qu’il s’agit de l’ancienne circonscription de l’ex-chef du NPD, Thomas Mulcair, qu’il a remportée pour la première fois en septembre 2007 à la faveur d’une élection partielle, jetant ainsi les bases de la vague orange survenue en 2011. Éjecté de son poste de chef du parti par les militants en 2016, M. Mulcair a démissionné en août pour devenir professeur invité à l’Université de Montréal.

Les libéraux entendent tout mettre en œuvre pour arracher cette circonscription au NPD. 

Dans les coulisses, les stratèges néo-démocrates estiment qu’une victoire est quasi impossible, compte tenu de l’état du parti au Québec, même si une candidate de marque, Julia Sánchez, ex-présidente-directrice générale du Conseil canadien pour la coopération internationale, porte les couleurs du NPD dans Outremont. 

Rachel Bendayan, qui avait affronté Thomas Mulcair en 2015, sera de nouveau candidate pour le Parti libéral.

Dans York–Simcoe, le Parti conservateur devrait conserver facilement cette circonscription ontarienne qu’a représentée à la Chambre des communes l’ex-ministre Peter Van Loan de 2004 jusqu’à sa démission, le 30 septembre dernier.

Depuis la première victoire de l’ex-bloquiste Gilles Duceppe dans Laurier–Sainte-Marie en 1990, et celle de la députée réformiste Deborah Grey un an plus tôt en Alberta – des victoires obtenues lors d’élections partielles qui annonçaient un chambardement de la carte électorale en 1993 –, rarement a-t-on vu un tel intérêt pour des élections partielles sur la scène fédérale. Le soir du 25 février, les stratèges de tous les partis politiques auront les yeux rivés sur leur téléviseur, impatients de connaître le verdict des électeurs dans Burnaby-Sud, Outremont et York–Simcoe.

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