Montréal

Les trottoirs glacés pourraient coûter cher à la Ville

Vous êtes tombé sur un trottoir transformé en patinoire cet hiver ? Vous n’êtes pas seul : la Ville de Montréal a reçu 108 réclamations de piétons blessés à la suite d’une chute sur la glace depuis le début de la saison froide, ce qui dépasse les plaintes reçues au cours des deux dernières années à la même date.

Peu de plaignants réussissent généralement à être indemnisés (seulement sept en 2017). Mais cet hiver, beaucoup pourraient faire valoir la négligence de la Ville pour recevoir un dédommagement, selon un avocat.

Réclamations à la Ville de Montréal*

Du 1er décembre 2017 au 8 mars 2018 :  108

Du 1er décembre 2016 au 8 mars 2017 :  92

Du 1er décembre 2015 au 8 mars 2016 :  67

Du 1er décembre 2014 au 8 mars 2015 :  190

* Pour des blessures causées par des chutes sur des trottoirs glacés

À la fin de janvier, l’administration municipale a admis avoir trop tardé pour décréter une opération de déneigement, en misant sur un éventuel redoux pour faire fondre la neige et la glace des rues et des trottoirs.

« Les autorités ont fait leur mea culpa, dans leurs déclarations aux médias. La Ville a reconnu qu’elle n’avait pas réagi assez rapidement, alors c’est certain qu’on va faire valoir cet élément », a souligné l’avocat Jamie Benizri, de Legal Logik, qui représente plusieurs personnes blessées dans de telles circonstances.

« Dans la dernière semaine de janvier, il y avait de la glace partout. J’ai reçu une centaine d’appels et de messages. Et environ 25 personnes ont entrepris des démarches pour faire une réclamation à la Ville. »

— L'avocat Jamie Benizri

Nadya Mirarchi est l’une d’entre elles. La mère de deux enfants est tombée sur la glace devant sa maison, à Rivière-des-Prairies, le 25 janvier. La chute lui a infligé de graves blessures : trois os fracturés dans la jambe et dans le pied, qui lui ont valu deux opérations, deux plaques et deux tiges de métal, neuf vis, une hémorragie, des médicaments contre la douleur, un lit d’hôpital à la maison, puisqu’elle doit garder sa jambe surélevée en tout temps, un plâtre qu’elle devra porter au moins six mois, la physiothérapie ensuite…

« C’est encore très douloureux, et je ne peux rien faire, déplore-t-elle. Ma mère est revenue de Floride pour m’aider à la maison, avec les enfants. »

Pourtant, Mme Mirarchi et des voisins avaient téléphoné à la Ville peu avant pour se plaindre du mauvais entretien de leur rue. Ils se sont finalement occupés de la glace eux-mêmes après le départ de la blessée en ambulance.

Jamie Benizri a déjà signifié à la Ville de Montréal qu’il la tenait responsable de l’accident de Nadya Mirarchi. « On n’a pas encore chiffré le montant de la réclamation, dit l’avocat. À cause de la gravité des blessures, elle est encore en traitement et on ne saura pas avant plusieurs mois quelles seront les séquelles de l’accident. »

Prouver la négligence

Pour obtenir un dédommagement, il faut faire la preuve que la Ville a été négligente dans l’entretien de ses rues ou de ses trottoirs, ce qui a causé la blessure.

Les citoyens qui poursuivent leur municipalité devant les tribunaux semblent le plus souvent voir leur plainte rejetée, selon un survol des jugements rendus ces dernières années.

On explique dans ces décisions, en citant la jurisprudence et la Loi sur les cités et villes, que les municipalités ont des « obligations de moyens et non de résultat », et qu’elles ne sont « pas tenues à un standard de perfection ». « On ne peut exiger que [la Ville] protège chaque pouce et chaque pied de ses trottoirs à chaque instant », souligne un jugement de 1965, qui fait maintenant jurisprudence.

Si une municipalité démontre qu’elle a un plan d’entretien structuré, adéquat, et qu’elle le respecte, cela suffit souvent à prouver qu’elle n’a pas commis de faute, même si des plaques de glace résistent à ses efforts.

Mais certains ont obtenu gain de cause, en apportant des preuves (photos, bulletins météo) démontrant que la Ville n’avait pas fait son travail adéquatement.

En mai 2015, Gertrude Forstinger a obtenu l’une des indemnisations les plus importantes pour ce type de poursuite : la dame de LaSalle a empoché 130 000 $ (plus intérêts) après s’être fracturé un poignet à la suite d’une mauvaise chute survenue trois ans plus tôt.

Glace, pirouettes et fractures

Pendant la dernière semaine de janvier, quand la Ville était critiquée de toutes parts parce qu’elle tardait à enlever la neige et à déglacer les trottoirs, les urgences de l’hôpital Royal Victoria et de l’Hôpital général ont reçu de deux à trois fois plus de cas de fractures que deux semaines auparavant. « On ne sait pas dans quelles circonstances les fractures sont survenues », souligne Gilda Salomone, porte-parole du Centre universitaire de santé McGill, qui chapeaute les deux établissements. Mais les observations des employés des urgences permettent de relier une bonne partie de ces blessures à la glace recouvrant les trottoirs.

Nombre de visites aux urgences pour des fractures

Hôpital Royal Victoria

Du 8 au 14 janvier : 8

Du 22 au 28 janvier : 25

Hôpital général de Montréal

Du 8 au 14 janvier : 38

Du 22 au 28 janvier : 72

Beaucoup de chutes, peu de dédommagements

Seule une infime minorité de plaignants sont indemnisés pour leurs fractures, entorses et autres blessures. « Les décisions sont prises au cas par cas », explique Marilyne Laroche-Corbeil, porte-parole de la Ville de Montréal. Pour qu’une réclamation soit acceptée, les plaignants doivent démontrer que la Ville est fautive et que leurs blessures découlent de cette faute. Les réclamations financières contre la Ville de Montréal sont d’abord traitées par son Bureau des réclamations, qui analyse les demandes et fait généralement enquête. « Le délai de traitement habituel d’une réclamation est d’environ 60 jours. Il n’est pas rare de voir un délai plus significatif lors d’une réclamation pour dommages corporels, compte tenu de la nature des dommages potentiels, par exemple selon le temps de rémission ou la durée des soins », a indiqué Marilyne Laroche-Corbeil, porte-parole de la Ville.

Quelques jugements récents

Hanifa Metallaoui

Quand : jugement du 24 janvier 2018, pour un incident du 1er décembre 2015

Où : rue Beaubien, à Montréal

Blessure : fracture de la cheville

Indemnisation : 6900 $

Pourquoi : la preuve a démontré que la pluie verglaçante avait commencé à 13 h, mais que les employés de la Ville avaient épandu des abrasifs à 20 h seulement. L’accident de Mme Metallaoui est survenu à 16 h 45. Les ambulanciers ont même dû répandre eux-mêmes des abrasifs pour se rendre jusqu’à la victime. La plaignante demandait 13 785 $, mais comme elle n’était pas chaussée adéquatement (elle portait des souliers d’été), le juge a réduit la somme accordée.

Nicole Gervais

Quand : jugement du 11 avril 2017, pour un incident du 31 mars 2014

Où : près de la Place Montréal Trust, à Montréal

Blessure : fracture de la jambe et de la cheville

Indemnisation : 15 000 $

Pourquoi : le trottoir de cet endroit très fréquenté était mouillé et glacé par endroits. Mais la blessure de Mme Gervais a été causée par un trou dans le ciment, dans lequel le talon de sa botte est resté coincé, ce qui a entraîné sa chute. Il y avait plusieurs de ces trous à cet endroit, après le retrait de panneaux qui recevaient une exposition de photos. Ces trous étaient impossibles à distinguer à cause de la neige et de la glace.

Danielle Bolduc

Quand : jugement du 2 août 2017, pour un incident du 18 janvier 2015

Où : rue King, à Sherbrooke

Blessure : fracture de la cheville

Indemnisation : 35 400 $

Pourquoi : la société de transports avait signalé à la Ville de Sherbrooke le trottoir glacé près d’une station d’autobus, mais les employés municipaux avaient fait l’entretien de la rue seulement, sans envoyer de patrouilleur pour vérifier l’état du trottoir.

Caroline Descôteaux

Quand : jugement du 7 décembre 2016, pour un incident du 25 janvier 2013

Où : près de l’aréna municipal, à Shawinigan

Blessure : fracture du poignet

Indemnisation : 65 000 $

Pourquoi : dans le contrat accordé à un sous-traitant pour l’entretien hivernal du stationnement de l’aréna, la Ville de Shawinigan n’a pas inclus l’entretien des voies d’accès au stationnement. Aucun abrasif n’a donc été épandu à l’endroit où circulent les piétons.

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