Hubert Reeves  La Terre vue du cœur

« Les étoiles peuvent attendre… »

Paris — Un œil sur les étoiles, l’autre sur notre planète, Hubert Reeves poursuit sa croisade pour l’environnement. La Presse a rencontré l’astrophysicien chez lui à Paris, pour parler d’un nouveau documentaire dans lequel il tient la vedette, mais aussi de Churchill, du Québec et de la vie après la mort.

Ça devait être une conversation tranquille, sans interférences. Mais ce jour-là, l’actualité prend le dessus. Le scientifique Stephen Hawking est mort la veille, et de nombreux médias français sollicitent Hubert Reeves pour une réaction ou un commentaire.

Entre deux coups de fil, l’astrophysicien le plus connu de la francophonie a tout de même le temps de parler de La Terre vue du cœur, un nouveau documentaire sur l’environnement signé Iolande Cadrin-Rossignol, dans lequel il est le personnage central.

On dit « parler », mais il faudrait plutôt dire répéter, tant Reeves, 85 ans, ne cesse de marteler la même chose depuis des années, à savoir que la Terre va mal et que si on continue à la saccager, l’espèce humaine disparaîtra. Il le disait il y a cinq ans ; il le disait il y a dix ans. Il en a lui-même pris conscience de façon très sérieuse dans les années 80 et 90, après les premiers cris d’alarme du chercheur américain James E. Hansen.

La différence est que Reeves se dit aujourd’hui beaucoup moins pessimiste que par le passé. C’est là toute l’essence de son nouveau message.

« On n’est plus dans la même impression de morosité. On a vu croître le combat pour la restauration, des événements qui amènent à montrer que la situation n’est pas si désespérée qu’on pense », observe-t-il, assis entre les piles de papiers, les statuettes africaines et la dizaine de tableaux qui décorent son salon.

On lui fait valoir que beaucoup de gens ne seraient pas d’accord. Il en est conscient. Mais il a choisi de ne pas baisser les bras, devant la multiplication de signaux encourageants. Les citoyens s’organisent, de grandes entreprises révisent leur logique, les énergies renouvelables prennent de l’essor à grande vitesse, l’éducation fait son œuvre, l’écologie est désormais solvable dans l’économie.

« L’avenir dépend de comment cette prise de conscience va se généraliser. L’idée, c’est de continuer même si on sait que ça ne marchera peut-être pas. » — Hubert Reeves

Et de citer l’exemple de Churchill, dont il se dit un grand admirateur : « Au début des années 40, quand on pensait que le nazisme allait détruire la civilisation, Churchill est celui qui a dit : “Non, je ne laisserai jamais la civilisation être démolie.” C’est la même chose qu’il faut se dire aujourd’hui. Je ne laisserai jamais l’humanité être détruite par ses propres méfaits. On ne sait pas si ça va marcher, mais on fait comme si. Ce n’est pas une attitude intellectuelle. C’est une attitude affective. »

Un carillon digne de la série X-Files retentit. C’est son téléphone. Il répond. Donne une autre entrevue. Toujours ce ton affable. Ce roulement de « r » à l’ancienne qui le rend immédiatement reconnaissable. Puis il raccroche et nous revient.

On lui demande si la Terre l’intéresse désormais plus que les étoiles, qui ont longtemps été au centre de ses recherches et de son œuvre de vulgarisation scientifique. « Je m’intéresse toujours aux deux », dit-il. Mais dans le cas de l’écologie, il y a une « urgence », alors que les étoiles, elles, « peuvent attendre encore un peu ».

Sa vie parisienne

On aime ses formules de poète. Son absence de prétention. De pontification. On aime l’écouter, et lui, visiblement, semble toujours heureux de faire partager son savoir au plus grand nombre.

Cela dit, il semble qu’on l’avait un peu oublié. Depuis qu’il vit à temps plein en France, c’est-à-dire depuis cinq ans, l’astrophysicien est médiatiquement moins présent au Québec.

Que fait-il de ses journées ? À quoi ressemble sa vie parisienne ? « Je lis beaucoup. J’écris. Je prends des marches le long de la Seine. Je vais parfois au cinéma… »

Il passe aussi du temps dans sa maison de Malicorne, en Bourgogne, où il plonge dans ce que les Japonais appellent des « bains d’arbres ». « Pour moi, c’est une façon de me ressourcer. »

Forcément, on parle du temps qui passe. Ou plutôt qui fuit… La vieillesse ? « Je ne suis pas contre, il y a des avantages », répond-il.

Et après ? L’idée le laisse moins serein.

« On est à quelques années d’un autre aspect. On ne sait absolument pas à quoi on sera confronté. Alors, bien sûr, il y a de l’angoisse. Qu’il vous arrive quelque chose de totalement inconnu est quand même préoccupant. »

Pour autant, il ne croit pas plus en Dieu. Et ajoute, comme il l’a souvent dit, que ses églises sont les salles de concert : « Quand j’écoute de la musique, je pense parfois qu’il y a quelque chose de sublime au-delà. C’est ce qui me laisse penser qu’on participe à quelque chose de beaucoup plus grand.

« Mais quoi ? God knows… »

La Terre vue du cœur prendra l’affiche au Québec le 13 avril.

Le meilleur des deux mondes

Quand il est parti vivre en Europe, Jean Lesage était premier ministre du Québec et le métro de Montréal n’existait pas encore. C’était en 1965. Cinquante-trois ans plus tard, Hubert Reeves se dit aussi français que québécois. Les deux cultures ont leurs avantages, dit-il. « Il y a des choses que j’aime au Québec et des choses que je n’aime pas. Il y a des choses que j’aime en France et des choses que je n’aime pas. Mais ce ne sont pas les mêmes. C’est ce qui rend la vie diversifiée ! »

Au Québec, les contacts sont plus faciles, dit-il. « C’est plus chaleureux. Il n’y a pas de castes, comme en France. Mais vous êtes limité à un monde avec moins de possibilités d’échanges internationaux. C’est un peu provincial, il faut bien le dire. Et très consensuel. » Un de ses quatre enfants vit au Québec. Hubert Reeves a la nationalité française. Il a été fait grand officier de l’Ordre national du Québec le 9 mars dernier.

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