COVID-19

DIX RÉSIDENCES CLASSÉES « ROUGE »

La Presse a obtenu la liste des lieux d'hébergement pour aînés les plus durement touchés par la COVID-19. Devant l'ampleur de la crise, Québec a annoncé que toutes les résidences pour aînés de la province seraient inspectées. Notre chroniqueur Patrick Lagacé s'interroge : là où la situation est la plus critique, pourquoi ne pas envoyer l'armée ?

CHSLD et de résidences pour aînés

Un document qui lève le voile sur les « zones chaudes »

Une dizaine de CHSLD et de résidences pour aînés de la province ont plus du quart de leurs résidants infectés à la COVID-19 et sont classés « rouge » par le gouvernement. C'est ce que révèle une liste envoyée la fin de semaine dernière par Québec à des gestionnaires du réseau de la santé et que La Presse a obtenue. Le document, qui évolue chaque jour et que le premier ministre a refusé de rendre public lundi, offre un premier portrait global de la situation dans les 134 établissements pour personnes âgées touchés par la pandémie.

Intitulé « CHSLD et RPA ayant des résidants confirmés COVID-19 », le tableau est « un document de travail », explique-t-on au ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS). « Il permet au MSSS de voir quelles sont les zones chaudes dans le réseau. C’est l’objectif du gouvernement d’avoir un coup d’œil rapide sur la situation à tout moment. Le tableau n’est pas un outil utilisé pour compilation statistique, car il change régulièrement selon les nouvelles données récoltées partout en province. Puisque c’est un document de travail interne, nous ne le rendons pas public », a écrit le porte-parole du MSSS, Robert Maranda.

Puisque la situation évolue constamment, certaines données contenues dans le tableau ne sont donc déjà plus à jour. D’ailleurs, La Presse a noté quelques erreurs en vérifiant les données auprès des CIUSSS. Par souci de transparence, nous avons décidé de le publier.

Depuis des jours, La Presse et d’autres médias tentaient d’obtenir un portrait actualisé des éclosions dans les CHSLD et résidences privées pour aînés du Québec. Plusieurs lecteurs réclamaient aussi cette information, que Québec refusait de dévoiler. Questionné lundi en conférence de presse pour savoir pourquoi il ne rendait pas ce tableau public, le premier ministre François Legault a mentionné que le document « change chaque jour ».

« Je ne pense pas, là, qu’on va commencer à donner la situation des 2600 résidences. »

— François Legault, premier ministre du Québec

M. Legault a mentionné qu’une trentaine de résidences et CHSLD comptaient plus de 15 % de patients infectés. Une donnée qui coïncide avec le tableau obtenu par La Presse.

« Donc, ceux-là, on les a sous surveillance. Ça ne veut pas dire que la situation n’est pas sous contrôle, mais quand on a plus de 15 % de nos patients qui ont la COVID-19, là, c’est un défi à gérer tout ça. Donc, on les suit bien, ces trente-là », a dit M. Legault.

Classés « rouges »

En tout, ce sont 134 établissements, divisés en trois catégories, qui enregistrent des cas confirmés de COVID-19 dans leurs murs. Le Québec compte 2600 établissements accueillant des personnes âgées.

Dans les 10 premiers établissements, considérés comme « rouges » par Québec, entre 27 % et 57 % de la clientèle a reçu un diagnostic positif de COVID-19. Seize autres milieux de vie, classés « orange », luttent contre des éclosions touchant de 16 % à 24 % de la clientèle.

En pourcentage, le Manoir du Havre à Maria, en Gaspésie, arrive en tête de liste avec 57 % de ses bénéficiaires malades, soit 17 sur 30. Selon le CISSS de la Gaspésie, 3 usagers sont morts et 16 employés sont aussi infectés. « Quelques pistes d’hypothèse sont en cours, mais pour l’instant, la cause [de l’éclosion] n’est pas confirmée », indique la porte-parole Clémence Beaulieu Gendron.

En chiffres absolus, le CHSLD de Sainte-Dorothée, qui a fait la manchette la semaine dernière, demeure le pire foyer d’infection de la province avec 107 cas confirmés du nouveau coronavirus. C’est 55 % des bénéficiaires.

Également considérés comme « rouges » : le CHSLD Laflèche de Shawinigan, la résidence EVA de Lavaltrie, premier foyer d’éclosion au Québec, et le Manoir Liverpool à Lévis, placé sous tutelle par Québec.

Cinq établissements montréalais – le centre d’accueil Les Cèdres, l’Institut universitaire de gériatrie, les centres d’hébergement Yvon-Brunet et Alfred-DesRochers et le CHSLD Joseph-François-Perreault – complètent la liste des 10 endroits les plus touchés de la province.

À l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal (IUGM), les données indiquées au tableau ne semblent pas correspondre à la réalité sur le terrain. La présidente par intérim du Syndicat des professionnelles en soins de santé du CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal, Françoise Ramel, indique qu’au moins la moitié des patients de l’IUGM seraient infectés par la COVID-19, alors que le tableau indique 39 %. Les décès liés à la maladie y seraient aussi de plus d’une trentaine, alors que la donnée officielle du MSSS (donnée non indiquée dans le tableau) est actuellement de 5. Selon une source bien au fait du dossier, les statistiques à jour sur les décès ont pourtant été transmises quotidiennement à Québec. « Depuis le début de la crise, il y a beaucoup plus de décès que ce que l’on rapporte officiellement », affirme Mme Ramel.

Scène déchirante

Dimanche, des proches de résidants se sont présentés devant le centre d’hébergement Yvon-Brunet, à Ville-Émard, dans l’espoir d’y apercevoir l’être cher. France Boulet a pu saluer sa mère Georgette Laramée, 96 ans, à travers une fenêtre, ce qui a donné lieu à une scène déchirante.

Mme Boulet a appris il y a quelques jours que sa mère avait reçu un résultat de test positif. « Elle a toute sa tête. Elle s’ennuie beaucoup. » Sa fille est donc allée lui parler au téléphone devant l’édifice. « Elle était correcte. On lui a envoyé la main. »

Quelques heures plus tard, le choc. Le téléphone a sonné.

« Ils nous ont dit qu’elle est en fin de vie. Quand on lui parle, elle dit qu’elle n’a pas mal, mais elle ne mange pas. Le problème, c’est qu’elle s’ennuie à mourir confinée dans sa chambre. »

— France Boulet, dont la mère réside au CHSLD Yvon-Brunet

La famille a reçu l’autorisation de lui rendre visite pour des motifs humanitaires.

« On est en train de discuter de comment on va faire ça. Elle dort beaucoup. On a peur qu’elle se réveille et nous voie tous avec nos masques. Elle va vouloir nous embrasser et elle ne pourra pas. On ne sait pas quoi faire », avoue France Boulet.

« Situation critique »

Le CHSLD Joseph-François-Perreault, dans l’est de la métropole, vit aussi une situation difficile. De nombreux employés sont tombés au combat depuis le début de la crise, et deux sources ont confié à La Presse que l’endroit a frisé la rupture de service au début du mois.

« On manquait de personnel soignant avant, c’est encore pire », constate l’infirmière auxiliaire Isabelle Tanguay. Elle commençait son quart de travail quand La Presse l’a rencontrée dimanche. Plusieurs résidants dont elle s’occupe ont contracté la COVID-19 au cours des dernières semaines.

« J’ai appelé à maintes reprises pour dire qu’il faudrait mettre tous les gens positifs sur une aile et on me disait qu’on ne pouvait pas faire ça. Il y en avait un peu partout plutôt qu’ils soient regroupés. Ça s’est mis à se multiplier », déplore Mme Tanguay, qui travaille dans ce CHSLD depuis 30 ans.

Des résidants qui ont été déclarés positifs ont eu des contacts avec d’autres jusqu’à tout récemment, déplore l’infirmière, qui cite en exemple une femme qui allait de chambre en chambre.

« C’est inacceptable. La personne se promène, mais ce n’est pas de sa faute, elle est démente. »

— Isabelle Tanguay, infirmière auxiliaire au CHSLD Joseph-François-Perreault

Cloé Gingras, étudiante en communications qui entame sa deuxième semaine comme préposée aux bénéficiaires, témoigne de situations crève-cœur. « C’est dur à voir. En deux semaines, on s’attache et c’est dur de voir l’état des gens qui diminue », confie la femme de 23 ans. Des résidants sont morts depuis son arrivée. « Mais on était là pour eux, ils ont eu des soins. »

Elle estime que les patients sont bien traités comparativement à ce qu’elle voit ailleurs dans les médias. « Ce n’est pas si pire ici », assure-t-elle.

Le CIUSSS de l’Est-de-l’Île-de-Montréal, qui chapeaute l’établissement, admet que les choses sont difficiles. « Nous sommes conscients qu’il s’agit d’une situation critique, tant pour les résidants, leurs familles que pour notre personnel. Il s’agit de notre CHSLD le plus touché. Nous avons avisé toutes les familles des résidants dès que le premier cas a été confirmé et les familles reçoivent au moins un appel ou une communication par Skype par semaine », assure le porte-parole Christian Merciari.

« Nous avons accueilli des résidants qui n’avaient aucun symptôme à leur arrivée. Soudainement, des résidants et des employés ont eu des symptômes de la COVID-19 et ont été testés positifs. À titre préventif, du personnel du CHSLD a également été mis en isolement et a fait l’objet d’un dépistage. […] Nous avons eu une journée très critique au début du mois d’avril, alors que près de 50 employés ont été mis en isolement à titre préventif. Grâce à la mobilisation et à la disponibilité du personnel et des gestionnaires des autres équipes du CIUSSS, il n’y a toutefois pas eu de rupture de services. »

COVID-19

Les 2600 résidences pour aînés de la province seront inspectées

Le gouvernement Legault rejette toute responsabilité dans la crise qui accable les lieux d'hébergement

QUÉBEC — À la suite de ses inspections, Québec place 5 des 40 CHSLD privés non conventionnés, comme le CHSLD Herron, « sous surveillance ». Et c’est maintenant au tour des 2600 résidences publiques et privées pour aînés d’être inspectées pour vérifier si la situation est maîtrisée en ce qui a trait à la propagation de COVID-19.

Le premier ministre François Legault tient surtout la pénurie de personnel, et pas la stratégie de son gouvernement, comme responsable de la crise dans les CHSLD – une pénurie qui ne date pas d’hier, insiste- t-il. Cette crise est toutefois en train de lézarder la muraille de son gouvernement quasi intacte depuis le début de la pandémie. L’opposition se permet maintenant, pour une rare fois, des critiques contre son travail.

Samedi, après la mise sous tutelle du CHSLD Herron, François Legault a annoncé des inspections dans les 40 CHSLD privés non conventionnés de la province. Résultat : « Il y en a quelques-uns, cinq, qu’on garde sous surveillance », a-t-il annoncé lundi, sans les nommer. 

« On ne va pas s’arrêter là. On va aller inspecter toutes les résidences publiques et privées – CHSLD, résidences pour aînés, ressources intermédiaires – pour aller voir exactement si la situation est sous contrôle. » 

— François Legault, premier ministre du Québec

Une trentaine d’établissements comptent plus de 15 % de résidants infectés par le coronavirus et sont suivis par Québec.

« Plusieurs raisons » expliquent la mise sous surveillance de cinq CHSLD privés non conventionnés, selon le premier ministre : « un problème de gestion », « des pénuries de personnel », des lacunes dans l’application des directives sur l’utilisation de l’équipement de protection et sur la création de « zones chaudes » pour traiter les personnes infectées par le coronavirus.

« Il y en a cinq où il y a des choses à améliorer, mais je ne suis pas prêt à jeter le blâme [sur la direction]. Ça se peut que, dans certains cas, ça soit un manque de personnel », a-t-il précisé.

« Pas comme Herron »

L’Association des établissements de longue durée privés du Québec, qui représente les CHSLD privés non conventionnés, relativise d’ailleurs la décision du gouvernement. « Les cinq en question ne sont pas comme Herron. S’il y a une surveillance, c’est pour voir comment ça va se développer en ce qui concerne le virus, et non pas parce que c’est mal géré. C’est une surveillance pour s’assurer qu’ils ne soient pas en rupture de services », a soutenu son président, Michel Nardella, en entrevue. 

Selon lui, « il n’y a personne en danger », mais « il y a possibilité qu’il manque un ou deux employés pour donner le minimum » de services, d’où la surveillance du gouvernement. « Le problème, le nerf de la guerre, c’est le manque de personnel », a-t-il insisté.

Selon François Legault, la « grande majorité » des 40 CHSLD privés non conventionnés sont « très bien gérés » et leur « personnel soigne bien les patients ».

Dans le cas du CHSLD Herron, où 31 résidants sont morts depuis le 13 mars, c’est une tout autre histoire. « Ce qu’on me rapporte, c’est que le problème venait vraiment de la direction du CHSLD, mais on va faire la lumière sur toute cette affaire » avec les trois enquêtes en cours, celles de la police, de la Santé publique et du coroner, a affirmé M. Legault. Il a décoché une flèche vers les propriétaires : « Les loyers variaient de 3000 $ à 10 000 $ par mois. Donc, il me semble que le CHSLD aurait dû être capable de payer des bons salaires pour garder son monde. »

Signal d'alarme

Comme La Presse l’a révélé lundi, un coroner avait sonné l’alarme l’année dernière sur des manquements envers la santé et la sécurité des résidants au CHSLD Herron. Questionnée pour savoir quelles sont les mesures qui ont été prises à la suite du rapport, la ministre responsable des Aînés, Marguerite Blais, a simplement répondu que les PDG des CISSS et des CIUSSS ont été « avisés qu’on doit mettre en place toutes les recommandations » faites par les coroners.

Le CHSLD Herron « avait déjà été certifié correctement », et une « dégradation, fort probablement, s’est produite au fil du temps », a-t-elle simplement relevé.

Elle balaie les critiques sur le plan d’action du gouvernement pour préparer les CHSLD à faire face à la pandémie. Elle considère que le gouvernement « a tout mis en place » et que la COVID-19, « on savait que c’était pour toucher les personnes vulnérables ».

« La critique, je suis capable de la prendre. Mais si je suis devant vous aujourd’hui, c’est pour vous dire qu’on veut prendre soin de nos aînés, on prend soin de nos aînés et qu’on va tout faire pour mettre en œuvre des changements au niveau de la culture organisationnelle de nos milieux de vie. » 

— Marguerite Blais, ministre responsable des Aînés

Mme Blais, rappelons-le, a été ministre des Aînés sous les libéraux de Jean Charest de 2007 à 2012.

De son côté, François Legault a fait valoir que la pénurie de personnel dans les CHSLD et les résidences pour aînés ne datait pas d’hier. Et avec la pandémie, « elle s’est empirée ». Des travailleurs qui avaient voyagé ont dû s’isoler, tout comme d’autres qui ont été infectés par le coronavirus. 

« On me dit aussi qu’il y a une partie du personnel, puis je peux les comprendre, qui ont des inquiétudes puis qu’ils ne veulent pas aller travailler dans des milieux où il y a des patients qui ont la COVID-19 », a-t-il affirmé.

« Problème de salaire »

À l’origine de la pénurie, « le problème le plus important, c’est un problème de salaire », selon lui. « On n’arrive pas, même si on a affiché beaucoup de postes, à combler les postes. C’est encore plus difficile dans certaines résidences au privé qui paient moins cher, mais même dans le secteur public, c’est très difficile d’aller attirer tout le personnel qu’on a besoin », a-t-il expliqué. Le personnel présent se retrouve surchargé de travail, ce qui rend le métier « encore moins attrayant ». Cela se traduit dans le faible nombre d’inscriptions en formation professionnelle pour devenir préposé aux bénéficiaires.

Il a rappelé les « primes COVID-19 » qui bonifient le salaire des préposés dans le public comme dans le privé. Son gouvernement veut également accorder des hausses salariales plus importantes aux préposés du secteur public qu’aux autres employés de l’État. « Certains syndicats ont de l’ouverture, d’autres en ont moins, donc ce n’est pas simple, cette négociation-là », a-t-il souligné.

Selon le chef intérimaire du Parti libéral, Pierre Arcand, le travail du gouvernement est en cause dans la crise actuelle. Il y a selon lui « un décalage » entre les informations transmises lors des points de presse du gouvernement et les informations qui proviennent du terrain. Sur la gestion du matériel de protection, par exemple. « Il doit y avoir une plus grande transparence quant à l’état des lieux pour chacun des CHSLD, tant publics que privés. Ces informations auront pour effet de donner l’heure juste au public », ajoute-t-il dans une lettre ouverte envoyée aux médias. Le Parti québécois dénonce quant à lui « le déni de la réalité et les discours fleur bleue » des dernières années qui ont mené à la crise actuelle.

BILAN AU QUÉBEC

32 personnes ont succombé à la COVID-19 en 24 heures, faisant porter le total des morts à 360. Dans 90% des cas, il s’agit de personnes de plus de 70 ans. Elles habitaient principalement en CHSLD et en résidences pour aînés.

879 personnes sont hospitalisées (+55), dont 226 se trouvent aux soins intensifs (+9)

13 557 cas confirmés de COVID-19 (+711)

2645 personnes sont sous investigation, et un total de 118 013 tests ont donné un résultat négatif jusqu’ici

1982 personnes qui étaient atteintes de la COVID-19 sont guéries (+237)

L’opposition veut recommencer à débattre

Les leaders parlementaires des partis de l’opposition ont envoyé lundi une lettre commune au gouvernement de la Coalition avenir Québec pour lui demander de mettre en place « quatre périodes d’échanges virtuels et publics de quelques heures entre certains ministres interpellés par la crise et des députés de l’opposition » d’ici la reprise des travaux parlementaires, qui pourrait survenir le 5 mai. « Alors qu’émergent des débats de société importants, il nous apparaît essentiel de relancer le débat démocratique », ont-ils écrit. L’Assemblée nationale a suspendu ses travaux le 17 mars dernier jusqu’au 21 avril en raison de la pandémie de COVID-19. Les enjeux qui marqueront l’avenir du Québec quant à sa relance méritent toutefois d’être débattus de manière publique et transparente, jugent les partis de l’opposition. À son point de presse quotidien, lundi, le premier ministre François Legault a semblé rejeter cette proposition. « Je ne pense pas que ça serait une bonne idée, que ça soit par conférence ou d’une autre méthode, de prendre des heures [aux ministres] pour répondre aux questions pour l’instant », a-t-il dit.

— Hugo Pilon-Larose, La Presse

COVID-19 / Chronique

Pourquoi pas l’armée ?

Aujourd’hui, La Presse révèle la liste du ministère de la Santé qui montre quels CHSLD et RPA sont particulièrement frappés par des éclosions de coronavirus.

Il y a quelque temps, La Presse a tenté d’avoir accès au nombre de cas et de décès dans ces lieux d'hébergement, à la suggestion de plusieurs lecteurs inquiets qui se demandaient : ma mère, mon père habitent-ils dans un foyer d’éclosion ?

Réponse de Québec : cette information est compilée par les directions de santé publique locales et est confidentielle. 

Le Québec est au cœur d’une pandémie qui frappe au premier chef les immeubles où les vieux vivent et…

Et le gouvernement du Québec n’avait pas de liste pour déterminer les endroits où agir en priorité ?

Pas rassurant !

Puis, le ministère de la Santé a invité nos journalistes à sonder les CIUSSS et les CISSS… un par un.

Combien y a-t-il de CIUSSS et de CISSS au Québec ? Il y en a 22. C’est la façon dont le ministère de la Santé dit fuck you aux Québécois : en invitant les journalistes à appeler 22 patentes à gosse pour avoir de l’information de base.

Pourquoi les Québécois et les Québécoises qui n’ont pas le droit de visiter leurs vieux parents n’ont-ils pas le droit de savoir si la résidence privée (RPA) de maman ou le CHSLD de papa est sujet à une éclosion ?

Ou, info rassurante, si le foyer où le parent aimé habite est épargné par le mal invisible ?

Pandémie ou pas, l’appareil d’État aime l’opacité.

***

Maintenant, parlant de transparence, peut-on se dire les vraies affaires ?

Il y a des endroits frappés par des éclosions de COVID-19 qui ont été ou qui sont encore des zones sinistrées, qui fonctionnent à effectifs très, très réduits. Selon nos informations, le CHSLD François-Perreault de Montréal a frôlé la rupture de services au début du mois.

Un « bris de service », c’est quand les services de base comme la distribution des plateaux de repas, le lavage des résidants et le changement de leurs couches ne peuvent pas être fournis comme d’habitude.

Pourquoi ?

Manque de personnel.

Pourquoi, le manque de personnel ?

Trois raisons : un, pénurie de main-d’œuvre chronique ; deux, employés infectés à la COVID-19 et donc indisponibles ; et trois, employés qui se déclarent malades parce qu’ils ont peur d’être infectés à la COVID…

Pour le troisième point, il faut le dire et le répéter : contrairement à plusieurs déclarations du trio santé dans les points de presse de 13 h, début avril, on manquait bel et bien de masques et de blouses dans les RPA et dans les CHSLD.

Ceci expliquant cela, résidants et employés ont été infectés. Voyez le CHSLD Sainte-Dorothée de Laval.

La situation est catastrophique, en certains endroits. On me raconte que dans un CHSLD frappé par la COVID – pour protéger la source, je ne dirai pas lequel –, une infirmière d’hôpital qui s’était portée volontaire pour aller donner un coup de main a préféré rebrousser chemin quand elle a vu les conditions de misère dans lesquelles on s’occupait des malades…

Pas de masques N95, rideaux de douche séparant des patients infectés et des patients non infectés, pas de réflexe de décontamination, employés qui passent de chambres « chaudes » à « froides » sans se changer, manque de blouses et manque de bras : cette infirmière a décidé qu’elle n’allait pas contracter la COVID-19 parce que ce CHSLD est désorganisé.

Ce n’est pas comme ça partout. Mais les médias ont exposé depuis quelques jours quelques-uns des endroits où c’est exactement comme ça, comme Sainte-Dorothée, comme Herron, comme LaSalle. La liste révélée par La Presse en fait le portrait, bien sûr imprécis parce que la situation change vite.

***

Parlons de leadership, maintenant.

Je cite un médecin qui occupe un poste de gestionnaire à Montréal, qui est heureux de voir que les urgences et les soins intensifs des hôpitaux ne sont pas submergés comme les hôpitaux italiens l’ont été : « Ils attendent quoi, à Québec, pour arriver avec un plan pour redéployer ces effectifs dans les CHSLD ? »

On a commencé à comprendre l’ampleur de la déroute dans les CHSLD et dans les RPA – où habitent nos vieux – il y a quoi, une semaine environ ?

C’est la catastrophe du CHSLD Sainte-Dorothée à Laval qui a forcé un moment de clarté dans l’imaginaire collectif : non, ça ne va pas si bien que ça. Puis, ce fut le CHSLD privé Herron.

Il y a des gens dans le réseau qui se demandent pourquoi Québec n’a pas déjà accouché d’un plan pour les CHSLD, une semaine après la débâcle de Sainte-Dorothée.

La réponse est à Québec. Elle se fait encore attendre.

***

Chez les artisans du réseau, dans les couloirs des CHSLD et des RPA, on trouve des réservoirs immenses de bonne volonté et même d’héroïsme. Il faut le dire. Et le redire.

Mais en plus d’un manque d’équipement et de personnel, les CHSLD et les RPA souffrent d’un manque de direction et de leadership au-dessus de leur tête.

On a vanté à juste titre les talents de communicateur de François Legault dans cette crise. Je ne parle pas ici de forme, mais de fond : sans son leadership, les Québécois n’auraient jamais adhéré aux mesures de distanciation sociale cruciales pour dompter le coronavirus. Ce qui aurait été catastrophique.

Mais il est temps que le PM fasse preuve du même leadership pour sauver les CHSLD et les RPA qui sont dans la liste des établissements particulièrement touchés par des éclosions de coronavirus.

Et si les nombreuses strates entre le trio santé et le plancher – sous-ministres, PDG et PDG-A de CISSS et de CIUSSS – nuisent à un plan pour sauver les vieux qui peuvent encore l’être, c’est au politique d’aplatir ces strates.

Et si on n’a pas les bras, et si on n’a pas l’équipement pour faire la job dans les CHSLD et RPA en zone rouge, permettez-moi de rappeler qu’il y a une institution au Canada qui possède des bras, de l’équipement et de l’expertise : l’armée canadienne.

On me dira : on n’est pas rendus là !

OK…

Mais on en est où, là, maintenant, dans les CHSLD et RPA qui figurent dans la liste que Québec voulait cacher ?

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