Cannabis médical

Se soigner sans se geler

Pendant que tous les yeux sont tournés vers la légalisation du cannabis récréatif, des milliers de patients québécois consomment du pot pour des raisons médicales. Si on attend encore les conclusions de ces essais, des entrevues menées par La Presse permettent déjà de constater une tendance : le CBD, un agent actif du pot qui ne gèle pas comme le THC, suscite un réel engouement autant chez les patients que chez les médecins.

Cannabis médical

Du pot tous les jours pour fonctionner

Quand Thérèse David s’est fait proposer par son médecin d’essayer le cannabis pour soulager ses douleurs, sa réponse a été catégorique.

« Je lui ai répondu : “Je ne veux rien savoir !”, raconte-t-elle. Quand j’étais jeune, j’ai fait comme tout le monde et j’ai fumé du pot. Mais je me souviens que je n’aimais pas ça. L’effet d’être écrasée, à part pour écouter les Moody Blues ou Pink Floyd, j’haïssais ça. Ça me ralentissait, et je n’aime pas les choses qui ralentissent. »

Thérèse David est en effet du genre à vivre à la vitesse supérieure. Ancienne chef du bureau de la culture de la Ville de Longueuil, elle dirige aujourd’hui sa propre firme de communications. Elle donne des formations, des conférences, des cours à l’université. Mais il y a quelques années, un ennemi encore plus écrasant que le cannabis a menacé de la ralentir : la douleur.

Tout a commencé quand Mme David a dû subir une chimiothérapie contre un cancer du côlon. L’oncologue l’avait avertie que le médicament pouvait causer des douleurs aux extrémités des doigts et des pieds. Et il lui avait bien dit de le signaler si ces douleurs devenaient trop intenses.

« Mais moi, la nounoune, je me disais : “Il faut souffrir pour que ça marche.” Alors je souffrais en silence et je ne disais rien », dit-elle.

Résultat : Mme David est aujourd’hui affligée de neuropathie périphérique permanente. Ses nerfs, endommagés par la chimio, lui envoient constamment des signaux de douleur en provenance des doigts et des orteils. Elle a de la difficulté à marcher et à rester debout longtemps. Le froid exacerbe les sensations, si bien qu’elle doit mettre un gant pour tenir une bouteille de bière. Elle a longtemps eu peur de ne plus pouvoir taper à l’ordinateur.

Du pot qui ne gèle pas

Après avoir refusé spontanément le cannabis, Mme David a écouté son médecin, la Dre Lyne Desautels, lui parler d’une substance appelée cannabidiol, ou CBD. Cet agent actif du pot, contrairement au THC, n’est pas un psychotrope. La Dre Desautels lui a proposé une huile à forte teneur en CBD et ne contenant que des traces de THC. Mme David a accepté de l’essayer. Depuis, chaque soir, elle avale un compte-gouttes d’un millilitre de cette huile.

« Ça me fait vraiment du bien, dit-elle. Ça n’enlève pas tout, mais la douleur est devenue de l’inconfort.  » Aujourd’hui, elle peut promener son chien dans le grand parc qui se trouve en face de chez elle plutôt que de se contenter de le sortir dans la cour.

« Pour moi, c’est une grande victoire », dit-elle.

Protocole de recherche

Au Québec, le Collège des médecins a insisté pour que tout patient qui consomme du cannabis pour des raisons médicales le fasse dans le cadre d’un protocole de recherche. Mme David fait ainsi partie de ce qui s’appelle le Registre cannabis Québec. Lors de son lancement, en 2015, le registre avait été présenté comme une « première mondiale ».

« On fait un suivi de quatre ans avec les patients. On décrit leur diagnostic et comment ils consomment le cannabis – sous quelles formulations et en quelles quantités. On documente ensuite les symptômes de la maladie, les effets secondaires rapportés et on fait passer des questionnaires sur des aspects comme leur qualité de vie », explique Mark Ware, chercheur principal de l’étude et directeur de la recherche en clinique de l’unité de gestion de la douleur Alan Edwards, au Centre universitaire de santé McGill.

Il est important de préciser que cette expérience n’est pas une étude randomisée en double aveugle, dans laquelle un groupe de patients consommerait un placebo alors qu’un autre prendrait du cannabis. C’est habituellement de cette façon qu’on évalue l’efficacité d’un médicament pour une condition précise. Le Registre cannabis Québec vise plutôt à comprendre qui consomme quoi et pourquoi.

Le Dr Ware explique que le recrutement des 3000 patients est presque terminé, mais qu’il est trop tôt pour dévoiler des conclusions. La Dre Lyne Desautels, qui a prescrit du cannabis à plus de 450 patients dans sa clinique privée ayant pignon sur rue à Brossard, Saint-Bruno et Bromont, a toutefois accepté de faire part de certaines tendances à La Presse.

« On est la clinique avec la plus grande expérience en cannabis médical au Québec », souligne-t-elle.

Ses conclusions ?

« Je ne dis pas que le cannabis est fait pour tout le monde. Des gens qui ne voient pas d’effets thérapeutiques et qui vivent des effets secondaires, on en voit. Mais ça aide un paquet de monde à aller mieux et à améliorer leur qualité de vie, et je pense qu’il est important d’en parler. »

— La Dre Lyne Desautels

Douleurs chroniques, troubles du sommeil, sclérose en plaques, arthrite, migraines, fibromyalgie, anxiété, parkinson : la Dre Desautels prescrit du cannabis pour un grand nombre de conditions. Et si une tendance se dégage, c’est la place de plus en plus grande que prend le CBD dans sa pratique.

« Comme on connaissait plus le THC au début, on pensait plus aux propriétés thérapeutiques du THC. Mais le CBD est très intéressant parce qu’il y a moins d’effets secondaires. Il arrive évidemment qu’on ait aussi besoin des effets thérapeutiques du THC. C’est l’art de prescrire, ça vient avec l’expérience. »

Le jour de notre visite, Priscillia Hébert avait fait le trajet de Drummondville pour un suivi avec la Dre Desautels. À 33 ans, on lui a diagnostiqué la sclérose en plaques.

« J’étais en déambulateur et je prenais 13 pilules de codéine par jour. Là, vous voyez, je marche avec une canne et j’ai diminué à cinq pilules par jour », dit-elle. Mme Hébert consomme elle aussi de l’huile à forte concentration de CBD, avec très peu de THC.

Réduire les opiacés

À Lac-Brome, le Dr William Barakett prescrit aussi du cannabis médical à environ 250 patients. Il siège également au comité du Registre cannabis Québec. Spécialisé à la fois dans la douleur et la toxicomanie, il dit observer le potentiel du cannabis pour calmer les douleurs neuropathiques – celles causées par des dommages aux nerfs plutôt que par des lésions actives.

« Chez environ 20 % des patients atteints de douleurs neuropathiques, les opiacés, loin de calmer la douleur, l’accentuent par un phénomène appelé hyperalgésie. Ça conduit à un cercle vicieux : les gens en prennent de plus en plus et deviennent toxicomanes. On brûle la vie des gens avec ça », dit le Dr Barakett.

Selon lui, le cannabis est l’arme idéale contre ces douleurs, surtout qu’il n’observe aucun sevrage quand on enlève les opiacés aux patients qui en souffrent.

Tant le Dr Barakett que la Dre Desautels relèvent toutefois un obstacle : le prix du cannabis médical. Une bouteille de 60 ml d’huile de cannabis se vend environ 150 $, et certains patients doivent débourser jusqu’à 400 $ par mois pour leur cannabis. Expliquant que des jugements de la Cour supérieure ont confirmé que le cannabis est un médicament au sens de la Loi sur les accidents du travail et des maladies professionnelles, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) le rembourse parfois aux patients. C’est aussi le cas de quelques assureurs privés. Mais la plupart du temps, la substance est aux frais des patients.

« J’ai retourné des gens sur le marché du travail avec le cannabis médical, dit le Dr Barakett. Mais il faut apprendre à l’utiliser, et ce n’est pas facile. Chaque individu est différent. Le ratio CBD/THC varie d’un patient à l’autre, tout comme les quantités. »

La Dre Desautels parle elle aussi de « médecine personnalisée ».

« Je veux qu’on remette la marijuana médicale à sa place, dit-elle. Le récréatif et la légalisation, c’est une chose. Mais on oublie qu’il y a tout un volet médical en train de se développer autour des propriétés médicales du cannabis. »

Cannabis médical

THC contre CBD

Le THC et le CBD sont les deux principaux agents actifs du cannabis. Voici les propriétés que leur prêtent les médecins québécois qui prescrivent du cannabis. Précisons que ces effets proviennent d’observations sur les patients et de certains travaux en laboratoire, mais qu’ils n’ont pas été confirmés par des études dans lesquelles l’efficacité des molécules aurait été testée contre un placebo. — Philippe Mercure, La Presse

THC

Psychotrope

Analgésique

Antispasmodique (soulagerait les spasmes musculaires)

Anti-inflammatoire

Stimule l’appétit

Anxiolytique/anxiogène (pourrait à la fois soulager et provoquer l’anxiété selon les doses, les gens et le contexte)

Somnifère

CBD

Non-psychotrope

Antiépileptique

Analgésique

Anxiolytique (soulagerait l’anxiété)

Antispasmodique

Antipsychotique (soulagerait les psychoses et autres conditions de l’humeur)

Apoptogène (favoriserait la mort programmée des cellules, ce qui procurerait des propriétés anticancers)

Effets secondaires (les médecins estiment que la majorité des effets secondaires proviennent du THC)

Somnolence / Étourdissements / Bouche sèche / Augmentation du rythme cardiaque / Hypotension hypostatique (cette baisse de pression qui survient quand on se lève et qui provoque malaises et étourdissements)

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