100 idées pour améliorer le Québec  Intégration de nouveaux modes de financement

Miser sur le Bureau de l’innovation

Le Canada et le Québec font face à un paradoxe inquiétant : l’excellente performance au chapitre de la recherche scientifique ne se traduit pas par plus d’innovation dans les organisations.

Selon le Global Innovation Index, le Canada est classé au cinquième rang pour ses universités et les références aux publications scientifiques de ses chercheurs1, mais il occupe le 59e rang au niveau de l’efficience de l’innovation, soit un recul de deux places par rapport au classement de 2016. C’est particulièrement vrai en santé. Bien que nous investissions en recherche publique quelques centaines de millions de dollars par année, les données ne nous permettent pas de conclure à une amélioration de la productivité du système de santé.

C’est pour faire face à cet enjeu que le Québec propose de mettre en œuvre trois initiatives en vue de faciliter l’intégration des innovations. Soit, un Bureau de l’innovation dont le rôle sera de soutenir l’intégration des innovations dans le Réseau de la santé et des services sociaux (RSSS) ; un groupe de travail pour faciliter l’accès aux marchés publics et un Fonds de soutien à l’innovation en santé et en services sociaux (FSISSS) pour appuyer l’évaluation en situation réelle de soins2

Par ces initiatives, le gouvernement du Québec souhaite permettre de mieux arrimer les projets d’innovation avec les besoins du réseau, soutenir la gestion du changement afin d’assurer l’obtention des bénéfices espérés, puis en mesurer les impacts en milieu réel. Le succès de cette stratégie repose sur au moins deux conditions essentielles : que les données administratives de santé soient accessibles en temps réel ; que les critères des appels d’offres publics soient orientés sur la problématique que l’on souhaite régler et le résultat souhaité, plutôt que sur les spécificités du produit ou simplement le coût.

Toutefois, pour réellement faire une différence, l’intervention du Bureau de l’innovation devra être élargie au-delà des innovations technologiques.

Il pourrait par exemple soutenir l’intégration de nouveaux modes de financement.

Il est maintenant généralement reconnu que le meilleur moyen d’améliorer la valeur de nos services est de faire en sorte que ceux-ci soient intégrés. Du point de vue du patient, des services intégrés impliquent qu’il ait accès à tout ce dont il a besoin à partir d’un seul endroit. Pour les fournisseurs, cela implique la création d’une offre de services qui couvre l’ensemble du continuum de soins dont le patient a besoin pour obtenir les résultats espérés aux meilleurs coûts3

Or, un des obstacles les plus importants au développement d’une offre de services intégrés est le mode de financement des services de santé. Le Bureau de l’innovation pourrait soutenir le lancement d’un appel de propositions pour des services intégrés destinés à une population donnée.

L’idée est simple : des acteurs intéressés du réseau – un établissement, un groupe de médecins, un centre communautaire... – se regroupent pour développer une offre de soins qui couvre l’ensemble des besoins d’un groupe de patient (par exemple des patients diabétiques ou ceux ayant besoin d’un remplacement de la hanche) dans le but d’améliorer les résultats. Ils se portent volontaires pour fusionner les budgets qu’ils reçoivent pour cette clientèle et les redistribuer en fonction de cette nouvelle offre des services. Le budget serait ainsi réalloué en fonction d’un objectif de résultat pour le patient et les marges dégagées pourraient être réinvesties.

Actuellement, bien que le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) ait incité les organisations du réseau à déployer des trajectoires de soins, il n’existe toujours pas d’incitatif pour appuyer ce changement. En effet, les budgets sont encore attribués par activité sur une base historique et les organisations ont très peu de marge de manœuvre pour investir là où elles l’estiment nécessaire. Ce manque d’autonomie nuit au développement de services intégrés et à l’obtention des bénéfices qui y sont associés.

De nombreuses juridictions ont d’ailleurs entrepris l’évaluation de telles initiatives : les Pays-Bas, le Royaume-Uni, mais aussi l’Ontario. L’action conjointe du Bureau de l’innovation et du FSISSS pour tester ce mode de financement au Québec permettrait d’identifier comment appliquer de nouvelles façons d’offrir et de financer des services continus dans un contexte québécois en s’assurant que cela porte ses fruits. 

Il est également à espérer que le lancement d’une telle initiative puisse marquer les prémices d’un système de santé où ce modèle serait généralisé. On pourrait même imaginer un scénario où l’allocation éventuelle des budgets se ferait sur une base pluriannuelle, encourageant ainsi les organisations à investir davantage sur des pratiques innovantes si celles-ci peuvent démontrer leurs effets sur les résultats-patients sur un horizon plus long qu’une année financière.

Un tel projet permettrait de faire la démonstration que de nouveaux modes de financement peuvent conduire à l’obtention de meilleurs résultats de santé.

* Attachées au pôle santé HEC Montréal, Joanne Castonguay est directrice de recherche IRPP et professeure associée ; Nadia Benomar est coordonnatrice aux activités de formation et chargée de projets ; et Marie-Hélène Jobin est professeure titulaire et directrice associée

1 Global Innovation Index 2017, développé par l’INSEAD et l’Université Cornell https : //www.globalinnovationindex.org/

2 Gouvernement du Québec (2017), STRATÉGIE QUÉBÉCOISE DES SCIENCES DE LA VIE 2017•2027 

3 http : //www.who.int/healthsystems/technical_brief_final.pdf (Traduction libre)

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