Réseaux sociaux

Pourquoi s’accroche-t-on encore à Facebook ?

Après le scandale retentissant de Cambridge Analytica, qui a déclenché des enquêtes des deux côtés de l’Atlantique et conduit Facebook, lundi dernier, à suspendre « environ 200 » applications sur sa plateforme, la question refait surface : pourquoi ne pas larguer le réseau social de Mark Zuckerberg ? La Presse a discuté de notre dépendance à Facebook avec la psychiatre du Centre universitaire de santé McGill Karine Igartua et le psychologue Joe Flanders, fondateur de la clinique MindSpace.

Croyez-vous que Facebook modifie notre rapport au monde ?

Karine Igartua (KI) : « Oui, même si Facebook est rendu une affaire de vieux. Ce sont les parents et les grands-parents qui sont là-dessus. Les jeunes sont sur Instagram et Snapchat. Cela dit, on se compare de plus en plus aux autres. On s’occupe de notre image comme on ne l’a jamais fait. On perd l’intimité du moment présent. Une partie de notre cerveau est ailleurs, en train de penser à comment on va mettre ça en ligne. »

Joe Flanders (JF) : « Facebook a changé notre façon de vivre. Tout d’abord, le temps que les gens passent sur Facebook est stupéfiant. Nos interactions sont de plus en plus axées sur les manchettes : les nouvelles brèves, captivantes et l’autopromotion. Les gens consomment aussi des nouvelles, des opinions et des idées qui sont choisies pour eux par l’algorithme de Facebook, dans le but de garder leur attention. Ces contenus viennent les conforter dans leurs croyances. »

Pourquoi sommes-nous « accros » à Facebook ?

KI : « C’est une question de renforcement positif. Il y a plusieurs façons de renforcer un comportement, mais le plus efficace est le renforcement intermittent, comme le bonus de fin d’année pour le travailleur. Sur Facebook, quand on publie quelque chose, on ne sait pas combien de personnes vont réagir ni combien on va avoir de “likes”. Tout est calculé pour retenir notre attention à court terme. »

JF : « Si quelqu’un que vous aimez aime ou partage votre message, c’est très enrichissant pour votre cerveau. Ce type de rétroaction agit sur un des neurotransmetteurs qui joue un rôle majeur dans le processus de dépendance : la dopamine. Facebook améliore constamment son habileté à servir juste le bon nombre, la bonne fréquence et la bonne ampleur des récompenses pour agir sur ce neurotransmetteur. Les machines à sous, dans les casinos, fonctionnent selon le même principe. »

Comment expliquer que si peu de gens suppriment leur profil pour protester contre l’utilisation abusive des données personnelles ?

KI : « On est habitués de vivre dans ce monde. La plupart des gens ne sont pas conscients du pouvoir détenu par les gens qui possèdent nos informations. On ne mesure pas encore ce que ça veut dire. Il y a aussi un plaisir à aller sur les réseaux sociaux. »

JF : « Une partie de l’explication est à coup sûr la dépendance. Mais il y a aussi “l’effet du réseau”. Il y a tellement de gens qui sont sur Facebook que vous manquez forcément quelque chose si vous n’y êtes pas. Et c’est un outil incroyablement utile pour rester connecté aux autres et savoir ce qui se passe dans le monde. Je ne peux pas me permettre de quitter Facebook ! Je dois rester en contact avec les clients, promouvoir nos évènements et communiquer avec mes collègues. »

Devrions-nous faire confiance à Facebook ?

KI : « C’est une business ! C’est clair que l’entreprise va vendre les données des utilisateurs à des fins commerciales. »

JF : « Je pense que nous devrions exercer beaucoup de pression pour que Facebook améliore sa sécurité, protège nos données personnelles et prévienne le piratage politique qu’on a vu au cours des derniers mois. La réglementation gouvernementale est vraiment nécessaire. »

Est-ce possible d’avoir un usage sain des réseaux sociaux ?

KI : « Oui, mais tout est une question de modération. Il faut qu’on se questionne si on commence à avoir une dépendance. »

JF : « Oui. Facebook, tout comme le téléphone intelligent, la télévision ou l’ordinateur, est un outil qui permet aux gens de faire des choses incroyables. Mais il faut s’informer sur les risques et mieux comprendre comment ce réseau social conditionne notre comportement, particulièrement quand on constate que de plus en plus de gens deviennent accros. »

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