Libre-échange et médicaments

Attendons un peu avant de nous alarmer

Depuis le 2 octobre, les commentaires fusent quant à l’impact du nouvel accord de libre-échange conclu avec les États-Unis (AEUMC). La plupart des intervenants ont indiqué que l’accord avait pour effet de prolonger la durée des brevets et que cela ferait grimper les dépenses en médicaments. Il m’apparaît ici important d’intervenir dans le débat afin d’y apporter certaines nuances. 

Qu’est-ce qu’un « biologique » ? 

1 - Un biologique est un médicament dit de « spécialité ». Ce type de médicament est de plus en plus utilisé dans le traitement de maladies graves et de maladies chroniques. 

2 - Dans la très grande majorité des cas, il est utilisé en dernière ligne, lorsque les autres traitements ont échoué. 

3 - Un biologique comporte une structure complexe et est créé à partir de cellules « vivantes ». 

4 - Le temps de développement et de commercialisation du biologique d’origine se situe entre 8 et 10 ans. 

5 - En raison de leur complexité, les biologiques sont coûteux à développer et, conséquemment, leur prix est considérablement plus élevé que celui d’un médicament « chimique ». 

6 - Les médicaments de spécialité représentent 2 % du nombre total de prescriptions, mais engagent plus de 30 % des dépenses en 2017 pour l’ensemble des médicaments d’ordonnance. 

7 - Contrairement aux médicaments « chimiques » pour lesquels des produits bioéquivalents (génériques) peuvent être commercialisés à moins de 20 % du prix du novateur, aucun médicament bioéquivalent ne peut être commercialisé pour un biologique d’origine. Seuls des produits « biosimilaires » peuvent l’être.

8 - Les biosimilaires prennent plus de temps à être développés qu’un produit générique en raison de la complexité du produit. Ils sont donc plus chers. En moyenne, au Canada, le prix d’un produit biosimilaire correspondra à environ 60-80 % du prix du biologique d’origine. 

9 - Le pharmacien ne peut pas remplacer un biologique d’origine par un biosimilaire. Celui-ci peut être offert lorsque le patient n’a pas commencé un traitement avec un biologique d’origine. Si substitution il y a, elle droit être encadrée, ayant préférablement lieu en établissement et, surtout, elle doit suivre une discussion entre médecin et patient. Ceci est lié au fait qu’un composé biologique déclenche une réaction donnée du système immunitaire, cette réaction pouvant varier avec un biosimilaire (ou vice versa). 

Qu’implique l’AEUMC ? 

1 - Contrairement à ce qui a été soulevé, l’AEUMC ne prolonge pas la période de brevet pour les biologiques. La durée d’un brevet, peu importe l’invention, est de 20 ans, avec une possibilité de prolongation de deux ans pour certains médicaments. 

2 - L’AEUMC fait plutôt passer la période de « protection des données » de 8 à 10 ans pour les médicaments biologiques. Cette période est de 12 ans aux États-Unis. 

3 - La protection des données fait en sorte qu’un fabricant qui souhaite développer un biosimilaire ne pourra, pendant la protection, se référer aux données cliniques relatives au biologique d’origine pour démontrer sa « similarité ». Santé Canada ne pourra donc pas autoriser la mise en marché du biosimilaire. 

4 - La protection des données court à partir du moment où Santé Canada autorise la commercialisation du biologique d’origine. 

Bref, si le temps de développement d’un biologique d’origine varie de 8 à 10 ans et que son brevet est de 20 ans, le biologique d’origine sera, une fois commercialisé, encore protégé par brevet pendant 10 à 12 ans. Même avec une protection des données de 10 ans, le biosimilaire ne pourra donc être commercialisé avant l’expiration du brevet. 

Ainsi, dans les faits, la prolongation conférée par l’AEUMC n’accroîtra la durée de commercialisation exclusive des biologiques d’origine que lorsque ces derniers prendront un temps particulièrement long à être commercialisés.

La mesure vise à inciter la recherche et le développement de produits complexes et/ou leur commercialisation au Canada. 

L’AEUMC aura-t-il pour conséquence de faire grimper les dépenses en médicaments des provinces ? Peut-être. Il me semble toutefois hasardeux de se prononcer à ce sujet alors même que peu ont considéré et quantifié la mesure avec les nuances qu’elle comporte. 

Par ailleurs, il importe de souligner que les impacts négatifs de cette nouvelle protection, le cas échéant, se feront sentir dans un avenir lointain, la période conférée au gouvernement canadien pour son adoption étant de cinq ans suivant la mise en œuvre de l’Accord. 

D’ici là, mentionnons que nos gouvernements s’activent présentement à identifier et à appliquer des mesures visant à faire baisser le coût de tous les médicaments au Canada. Je pense ici à l’Alliance pharmaceutique pancanadienne, qui est chargée de négocier des ententes d’inscription au nom de toutes les provinces dont le Québec, et à la réforme du CEPMB envisagée présentement par le gouvernement fédéral. Peut-être que ces efforts permettront de nous faire bénéficier d’investissements en recherche tout en assurant le contrôle des dépenses en médicaments. Dans la négative, chiffres en mains, il sera alors pertinent de s’alarmer.

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