Opinion Fabrice Vil

Comment vivre ensemble ?

La militante Valarie Kaur affirme que les plus grands révolutionnaires de l’Histoire ont enraciné l’entièreté des mouvements qu’ils ont menés dans l’éthique de l’amour. 

Mercredi, l’émission ALT à Vrak a diffusé l’une de mes chroniques où je parlais de préjugés et de représentativité des minorités à l’écran. J’ai tout bonnement partagé la nouvelle sur Facebook, ce à quoi un internaute a répondu : « tayeule on sen cowliss tes pas content change de pays ». 

À la lecture du commentaire, je me suis demandé quoi faire en réponse. Et j’ai décidé de faire l’amour. 

Pas ce que vous imaginez. Je parle de faire l’amour, l’acte de résistance nécessaire à un meilleur vivre-ensemble. 

Octobre 1995. J’avais 10 ans. « Toi, t’es pour le oui ou pour le non ? » C’était la question sur toutes les lèvres dans la cour de récré. Je me souviens des pancartes du référendum. Le « OUI », dont le « O » était remplacé par une marguerite. Le symbole du peace and love. La Terre. Le Québec, un pays ou une province ? J’ignorais alors la profondeur de la question. Mais je savais déjà que l’enjeu nous divisait. 

Octobre 2018. Je ne m’aventurerai pas à expliquer, au terme des dernières élections, toutes les raisons du rouge orangé concentré dans la métropole, mis en relief par la mer bleue colorant le reste du territoire. 

Je constate simplement qu’à travers les couleurs du découpage électoral, on peut déceler que le Québec ayant mis en veilleuse la question référendaire est aux prises avec des divisions d’autres natures : Montréal et les régions, bien sûr. Les francophones et les anglophones, en partie. Mais aussi, la gauche et la droite. Les descendants français et les immigrants. En oubliant, comme d’habitude, les autochtones. 

Le tout génère des divergences qui, elles, débordent en tensions indues. Il m’apparaît, dans ce contexte, nécessaire que nous ouvrions nos cœurs les uns aux autres, au-delà des préjugés. C’est ce que j’entends ici, par faire l’amour. Et qu’est-ce que ça veut dire, au-delà des paroles envoyées en l’air ? 

Le meilleur levier

La question est difficile, puisqu’elle interpelle tous les forums permettant les rencontres entre humains dans leur complexité, que ce soit dans la réalité ou en fiction, en chair et en os ou virtuellement. L’économie, l’urbanisme, la culture, le sport ou le tourisme pourraient ainsi devenir vecteurs de mixité favorisant le vivre-ensemble. Et s’il fallait choisir un seul levier, je favoriserais le secteur de l’éducation. 

Parce que c’est le système éducatif qui offre les plus belles occasions d’aménager, concrètement, des projets encourageant la mixité. Il y a quelques années, j’ai déjà plaidé auprès des anciens du Collège Jean-de-Brébeuf l’idée d’échanges entre les élèves du Collège et ceux de la Pointe-Saint-Charles. Voilà un exemple d’un ensemble de possibilités visant à placer en osmose des élèves de différents horizons.

Fier Montréalais que je suis, quels auraient été mes apprentissages impromptus si j’avais étudié, même une semaine, à la polyvalente de la Forêt à Amos ?

Ma mère, elle, se serait fait un plaisir d’héberger des élèves de Chicoutimi et de les gaver de riz haïtien. 

Cela étant dit, la mixité provoquée par de tels projets ne devrait pas être érigée en solution unique. La coexistence des hommes et des femmes, de tout temps, n’a pas empêché le sexisme et la misogynie de gangréner nos relations. C’est encore là que repenser l’éducation peut aplanir la discrimination qui résulte de la diversité. 

Au gré de mes expériences professionnelles, j’ai remarqué que lorsqu’un individu réalise être l'auteur d’actes discriminatoires, il souffre.

Cette prise de conscience, plutôt que de mener vers une émancipation, crée un choc cognitif, émotionnel et physique qui entraîne une fermeture. Contrairement à une éducation strictement utilitaire en fonction des besoins de l’économie de marché, une éducation holistique dès la petite enfance favorisant le développement cognitif, mais aussi socioaffectif, est susceptible de permettre l’ouverture nécessaire pour adopter une posture plus inclusive au quotidien. 

Comme bien d’autres, je vois au loin l’oasis où nous vivrons ensemble, dans la beauté de l’universalité humaine. Il s’agit là, cependant, du travail de plusieurs générations, qui doit commencer auprès des humains n’ayant jamais eu peur du bogue de l’an 2000. 

Bien sûr, il est nécessaire de dénoncer immédiatement, et avec vigueur, les injustices que vivent les personnes vulnérables en raison de leur statut économique, de leur couleur, de leur sexe, de leur orientation sexuelle, de leur religion, de leur langue, de leurs origines ou d’un handicap. Enfin, cette lutte contre les systèmes discriminatoires, j’essaie de la mener avec amour. Après tout, Jésus, mourant sur la croix, a dit : « Père, pardonne-leur, car ils ne savent pas ce qu’ils font. »

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.