Petite enfance

Bals de « finissants » et « collations des grades »... à la garderie !

Un bal de « finissants » dans un manoir, photo officielle avec toge et mortier, cérémonie de remise de diplômes… Est-ce que les directions de certaines garderies – souvent à la demande de parents – en font un peu trop lorsque vient le temps de souligner le départ d’enfants de 4 ou 5 ans vers la maternelle ?

À la garderie La Gazouillerie, à Saint-Lambert, les célébrations de fin d’année n’avaient rien à envier à celles d’écoles secondaires. Au programme : bal de finissants comprenant un menu trois services au Manoir Rouville-Campbell, au prix de 29 $ par adulte et 15 $ par enfant. Une vingtaine de parents et autant d’enfants tirés à quatre épingles auraient participé à cette célébration tenue la semaine dernière.

Cet établissement n’est évidemment pas le seul à souligner le départ de ses petits « finissants ». Certains mettent à l’horaire un spectacle de fin d’année, des photos souvenirs, une sortie à la crémerie ou un rassemblement au parc, par exemple.

Nathalie Lévesque gère une garderie en milieu familial dans le Bas-Saint-Laurent et souligne l’événement, mais « sans trop de flafla », dit-elle. « Un matin, on se bricole un mortier, et je les photographie avec. Ils repartent avec des photos souvenirs et un cornet de bonbons. »

« C’est quand même pas la fin du secondaire non plus. »

— Nathalie Lévesque, gestionnaire d’une garderie en milieu familial dans le Bas-Saint-Laurent, au sujet des cérémonies de « collation des grades »

D’autres garderies empruntent les codes scolaires de la collation des grades et mettent sur pied de véritables cérémonies, où chaque enfant est appelé à l’avant pour se voir remettre un « diplôme ». Ève Laurier, mère d’un garçon de 5 ans, a adoré la cérémonie avec toge, photo et petit spectacle. « Ce qui m’a vraiment touché, et mon fils aussi, c’est que chaque enfant a reçu son diplôme avec un petit discours. Vraiment émouvant et ça, ça ne coûte rien », confie-t-elle.

Pour France Paradis, formatrice en intervention psychosociale, cette « tendance » n’est pas étonnante dans une société « où on cultive l’idée que plus, c’est mieux ». « Les rituels servent à donner du sens aux événements, aux passages… Ils ne servent pas à créer du sens ! Il n’y a pas de signification particulière au passage de la garderie à la maternelle. Ce n’est pas un accomplissement, une victoire, de finir son CPE. Ce que les garderies soulignent, dans le fond, c’est la fin du lien avec l’éducatrice, une forme d’au revoir », indique-t-elle, en ajoutant que le rite de passage se trouve plutôt lors de l’entrée à la maternelle.

Perte de sens

À force de célébrer toutes les étapes du parcours scolaire – aujourd’hui, en plus des garderies, on souligne généralement par une cérémonie ou une fête la fin de la maternelle, puis du primaire et du secondaire –, est-ce qu’on ne finit pas par diluer le sens du rituel de fin d’études, le vrai, celui qui souligne le passage au marché du travail ?

Quelques parents interrogés par La Presse se sont dits mal à l’aise avec la récupération de symboles associés à la fin des études supérieures pour des enfants de 4 ou 5 ans qui n’ont même pas commencé leur parcours scolaire.

C’est le cas de Catherine Gendreau, mère d’une fille de 8 ans : « Qu’on fasse une petite fête pour marquer la transition vers l’école, je suis tout à fait d’accord. Mais faire passer ça pour une collation des grades avec toge, mortier et diplôme, je trouve ça absolument ridicule ! Les cérémonies de collation des grades sont censées célébrer les efforts mis en œuvre pour obtenir un diplôme. » 

« Il n’y a rien de plaisant à attendre que ton nom soit dit dans le micro pour aller chercher un papier qui n’a aucune signification réelle quand tu as 4 ou 5 ans. D’ailleurs, je n’ai jamais commandé les photos de collation des grades de ma fille à la garderie, je trouvais ça trop ridicule. »

— Catherine Gendreau, mère d’une fille de 8 ans

« J’ai joué le jeu, mais j’étais mal à l’aise, se souvient Marie Custeau, mère de deux garçons de 8 et 6 ans qui ont fréquenté un CPE du Plateau Mont-Royal. Je trouve important de fêter les passages de la vie, mais est-ce qu’on peut célébrer sans avoir le petit mortier ? Au moins, les parents ont refusé d’organiser une séance de photos ! »

« Surtout pour les parents »

« C’est la marchandisation des enfants qui se poursuit ! renchérit France Paradis. On fait perdre son sens aux codes. On sort les enfants de leur stade de développement, de leur enfance. Ça n’a aucun sens, ce n’est pas utile pour eux. C’est surtout fait pour les parents », estime la formatrice en intervention psychosociale.

Ève Laurier n’est pas d’accord et trouve, au contraire, que ces cérémonies sont l’occasion d’aborder différents sujets avec les enfants. « Je trouve que ça ouvre la porte à de belles discussions sur l’école, les diplômes, l’effort et la fierté. La scolarité, c’est important ! »

Mais si on célèbre le passage à la maternelle avec un bal de finissants, ne risque-t-on pas de créer une certaine surenchère ? C’est ce que croit Mme Paradis. « Notre société veut toujours plus : plus de fêtes, plus de cadeaux, plus d’occasions de célébrer. » 

« Après le manoir, ce sera quoi en 6e année ? Le Cirque du Soleil dans sa cour ? On perd la perspective de la vie, la justesse du geste. »

— France Paradis, formatrice en intervention psychosociale

D’autant plus que cette multiplication de célébrations amène un certain consumérisme, souligne Mme Gendreau. « Je suis aussi contre les bals de finissants au primaire : louer une salle dans un hôtel, dépenser des centaines de dollars en robe ou habit, maquillage, coiffure, transport [certains enfants arrivent en limousine !], ça me semble indécent. Et ça perpétue les inégalités sociales en créant un stress de plus pour les parents… »

La garderie La Gazouillerie n’a pas rappelé La Presse.

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